Selon un article de la revue française L’ADN publié le 13 décembre 2022 sur les mots qui ont fait l’année, « inflation » a été la vedette de 2022 dans l’univers économique. Ce mot risque fort d’être supplanté par le mot « récession » en 2023. L’inflation semble en effet ralentir, malgré une légère hausse au Canada en avril.
L’inflation mesurée par la Banque du Canada selon l’indice des prix à la consommation (IPC) global révèle une hausse de 4,4 % d’un panier de biens et services en avril 2023, par rapport à avril 2022. En mars 2023, le taux d’inflation s’était établi à 4,3 %, son plus bas depuis le sommet de 8,1 % atteint en juin 2022.
La Banque centrale canadienne fait de plus miroiter une accalmie dans les taux d’intérêt à court terme. Depuis qu’elle a augmenté son taux directeur de 4,25 % à 4,5 % le 25 janvier 2023, elle n’y a pas touché dans ses deux annonces suivantes (la dernière survenue le 12 avril).
Une analyse plus approfondie de l’IPC révèle toutefois que les prix demeurent élevés dans plusieurs secteurs de l’économie. Dans une vidéo intitulée Perspectives financières et économiques 2023 diffusée le 17 mai, l’économiste en chef et stratège de Desjardins, Jimmy Jean, évoque des signaux mixtes. « L’hiver dernier, on a beaucoup parlé des signaux conflictuels dans l’économie. Est-ce qu’on a vraiment plus de clarté aujourd’hui ? Pas vraiment ! »
Bonnes nouvelles et dette américaine
Au chapitre des bonnes nouvelles, M. Jean mentionne toutefois un début d’année meilleur que prévu pour l’économie. « La croissance économique a été positive à travers le monde, même si elle n’est pas très forte. Il n’y a pas de récession au moment où l’on se parle, et la tendance désinflationniste s’est poursuivie », énumère l’économiste en chef de Desjardins.
Une économie résiliente et une inflation qui tend à la baisse depuis plusieurs mois : n’est-ce pas le meilleur des mondes ? Selon Jimmy Jean, tout n’est pas si simple puisqu’on se retrouve avec plusieurs facteurs de complexité. « La correction immobilière semble derrière nous, mais les taux d’intérêt paraissent vouloir repartir à la hausse. Les remous des turbulences bancaires aux États-Unis continueront de se faire sentir. Il y a aussi des enjeux politiques et géopolitiques, dont celui de la dette américaine », dit M. Jean.
Il prévoit que le taux directeur demeurera à 4,5 % et qu’il commencera à descendre vers le mois de décembre 2023. La descente sera selon lui progressive. Elle visera à atteindre un niveau neutre auquel les taux d’intérêt ne sont plus restrictifs pour l’économie.
Secrétaire américaine au Trésor, Janet Yellen a signalé au président républicain de la Chambre des représentants, Kevin McCarthy, que les États-Unis pourraient ne plus être en mesure de satisfaire aux obligations du gouvernement dès le début du mois de juin. Dans une lettre du 1er mai 2023 adressée à M. McCarthy, elle ajoute que le Congrès américain doit relever ou suspendre le plafond de la dette du pays, pour éviter plus de dommages à l’économie américaine.
Au 30 septembre 2022, la dette américaine atteignait près de 31 000 milliards de dollars américains (G$ US), selon les données disponibles sur le site du Trésor américain. « Les républicains demandent une limite des dépenses substantielle sur 10 ans, soit une réduction du déficit d’environ 5 000 G$ US. La position des démocrates est non », résume M. Jean. Il ajoute que les marchés sont aux aguets et que le coût d’un défaut des États-Unis face à leur dette n’a jamais été aussi élevé. Le cours des contrats d’échange sur défaillance de crédit (crédit default swaps) en témoigne, selon lui.
« Plus les négociations piétineront à l’approche du 1er juin, plus on risque de voir des soubresauts sur les marchés financiers. Il pourrait y avoir des décotes, ce qui énerverait les investisseurs », commente l’économiste. M. Jean a constaté dans le passé que les réactions des marchés financiers amènent les politiciens à s’entendre, parce que ces réactions sont déstabilisantes pour l’économie et l’emploi. Il ne croit pas que l’entente ira dans le sens de la position républicaine.
Turbulences du secteur bancaire
Dans son scénario le plus probable d’une récession, Desjardins a aussi intégré les effets du resserrement monétaire agressif sur le système financier. Les turbulences qui ont forcé First Republic Bank a déclarer faillite en ont été l’exemple le plus frappant.
« Dans un environnement de taux d’intérêt à la hausse, des fragilités se sont matérialisées », explique Jimmy Jean. La situation actuelle révèle selon lui que les dépôts bancaires sont plus volatils que jamais, à l’ère des réseaux sociaux et des taux d’intérêt élevés. Il rappelle que les épargnants peuvent transférer leur argent en quelques clics.
« On apprend en second lieu qu’une banque n’a pas besoin d’avoir de mauvais actifs pour faire faillite. Il suffit d’avoir un bilan mal apparié ou une concentration dans un secteur donné, ce qui a été le cas de Silicon Valley Bank spécialisée dans le secteur technologique », estime M. Jean.
Jimmy Jean croit que ces turbulences ne sont pas complètement passées. Il y aura selon lui des répercussions sur les plus petites banques, qui sont la principale source de financement des petites entreprises. Ces banques pourraient réduire leurs activités de crédit. Jimmy Jean dit en voir déjà l’impact sur les activités de prêts commerciaux et industriels.
Récession décalée
Pendant ce temps, l’économie continue de croître. Desjardins revoit donc à la hausse ses prévisions 2023 quant à la croissance du produit intérieur brut (PIB) de plusieurs économies. Cette révision positive vient toutefois au prix d’une révision à la baisse pour 2024, précise M. Jimmy Jean.
Desjardins repousse du même coup l’éventualité d’une récession à plus tard que prévu. « La récession que l’on prévoyait se trouve à être décalée. C’est un ajustement du timing de la récession, pas de son ampleur », explique M. Jean. L’économiste croit qu’il s’agira d’une récession modeste, avec une augmentation relativement faible du taux de chômage. Il parle d’une récession courte et passagère qui pourrait survenir au second semestre de 2023.
Surprises…
Au chapitre des signaux mixtes, Jimmy Jean a commencé par les surprises qui expliquent la vigueur mondiale des économies depuis le début de 2023. L’économiste en chef et stratège de Desjardins parle entre autres d’un miracle en Europe. Les pays européens ont pu selon lui éviter une crise énergétique en limitant leur consommation et en pivotant de la Russie à d’autres sources d’approvisionnement en gaz naturel. « L’inventaire de gaz est très élevé en Europe, même pour l’hiver prochain », remarque-t-il.
M. Jean note aussi que les chaînes d’approvisionnement reviennent à plus d’efficacité : « On se noie maintenant dans les puces électroniques », lance-t-il en mentionnant une baisse de 50 % de leur prix. Ces composantes ont cruellement fait défaut au marché de l’automobile et de la haute technologie pendant la pandémie de COVID-19.
L’abandon de la politique zéro COVID par la Chine, les efforts des gouvernements pour mitiger l’impact des tensions financières sur les ménages et la vigueur du marché de l’emploi semblent aussi porter l’économie, remarque M. Jean. Il estime d’ailleurs que le marché du travail canadien se démarque de celui des États-Unis. Le Canada vit selon lui un boom démographique avec un million de nouveaux arrivants en 2022 : 60 % sont des résidents non permanents, dont la majorité est formée de travailleurs temporaires. Jimmy Jean ajoute que le taux d’emploi est élevé, avec 423 000 emplois créés au Canada dans les huit derniers mois, dont 98 900 au Québec et 185 000 en Ontario.
Bien qu’elle atténue la pénurie d’effectifs et la croissance des salaires, cette nouvelle main-d’œuvre n’aidera pas à freiner l’inflation à elle seule, pense Jimmy Jean. La hausse démographique des travailleurs entraîne d’après lui une demande accrue de biens et de logements, alors que le secteur locatif est en pleine pénurie.
L’économiste croit par ailleurs opportun d’accélérer les investissements dans le secteur privé canadien. Il rappelle que ces investissements permettent aux entreprises d’être plus concurrentielles, ce qui avantage les consommateurs.