Les conseillers et courtiers en assurance collective ont le devoir de sensibiliser leurs clients à leurs obligations concernant le bien-être au travail de leurs employés. Être prévoyant peut s’avérer un choix payant.
C’est le message qu’a partagé un trio de panélistes rassemblé le 27 février dernier au Palais des congrès de Montréal dans le cadre du Congrès collectif des Éditions du Journal de l’assurance.
Les organisations ont jusqu’au 6 octobre 2025 pour se conformer aux nouvelles exigences imposées par la Loi modernisant le régime de santé et de sécurité du travail (Loi 27), de la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (CNESST), rappelle Martin Binette, vice-président développement et croissance chez inpowr. À cette date, elles devront avoir élaboré un programme de prévention ou un plan d’action, car les inspections de la CNESST commenceront.
La Loi 27 exige que les employeurs identifient et mesurent les risques psychosociaux de leur milieu de travail, en plus de développer des politiques de prévention claires ainsi que des protocoles d’intervention et des mesures de soutien aux employés.
« Ça veut dire qu’un employeur qui est témoin d’une situation doit intervenir, résume Marie-Claude Pelletier, fondatrice et présidente du centre d’expertise Global-Watch. Ces nouvelles obligations font que l’employeur doit créer un environnement de travail plus sécuritaire et plus respectueux. »
En ce sens, Martin Binette suggère fortement aux conseillers d’approcher leurs clients actuels et même leurs prospects pour les sonder sur leur préparation en vue de la date-butoir prévue par la loi. « Vous allez voir, plusieurs n’auront aucune idée de ce qu’est la Loi 27 ! »
Les conseillers qui en rappelleront la teneur à leurs clients pourraient donc se démarquer et les soutenir dans l’atteinte de ces objectifs, en leur proposant des solutions adaptées à leur réalité.
Mieux vaut prévenir…
Souvent perçus comme une dépense, les investissements des entreprises dans la santé mentale du personnel génèrent des économies, relance Martin Binette.
Selon lui, le langage du dollar est celui à parler lorsque les responsables en assurance s’adressent aux dirigeants d’entreprise.
« Je suis convaincu que de parler d’argent est nécessaire, d’en parler aux décideurs dans les organisations, c’est une condition sine qua non, élabore-t-il. On sait que les DRH (directeurs des ressources humaines) ont de super belles intentions, mais quand ils présentent le dossier au CFO (responsable des finances) ou au COO (responsable des opérations), ils se font dire qu’il n’y a pas de budget pour ça. »
Un manque de prévoyance qui pourrait s’avérer onéreux. « Il faut démontrer à l’employeur qu’il y a des coûts plus importants à la non-santé : c’est l’absentéisme, le présentéisme et les départs volontaires d’employés qui pensent que le gazon est plus vert ailleurs », plaide M. Binette.
C’est pourquoi il recommande de calculer, avec le preneur, le coût réel de ne pas investir dans la santé et le bien-être des employés. Il mentionne en guise d’exemple un de ses clients, une entreprise de 100 employés avec une masse salariale de 8 millions de dollars. La non-santé, c’est-à-dire l’inaction en matière de prévention, lui coûtait entre 250 000 $ et 350 000 $ annuellement.
« Ce sont des dépenses non budgétées qui vont directement dans le bottom line de l’entreprise », soutient le vice-président en faisant allusion à leur impact sur les profits de l’entreprise. « Si on réussissait à diminuer de 10 à 15 % ces pertes-là avec des plans d’action concrets, ce seraient des économies récurrentes par la suite. »
La prévention ne présente pas que des bienfaits pour les employeurs individuellement. Marie-Claude Pelletier indique que le rapport coût-bénéfice d’investir davantage dans la santé mentale et le bien-être au travail des organisations ferait tripler le produit intérieur brut (PIB) mondial, qui passerait de 4 % à 12 %. « C’est énorme comme impact », affirme-t-elle. Mme Pelletier cite ainsi un rapport réalisé par McKinsey Health Institute avec la collaboration du Forum économique mondial et publié en janvier 2025 sous le titre Thriving Workplaces : How Employers can Improve Productivity and Change Lives.
« On a un rôle à jouer sur la sensibilisation des preneurs dans la prévention des risques psychosociaux, clame Marie-Claude Pelletier. On peut s’imaginer qu’il faut investir des tonnes d’argent, mais déjà, en cartographiant les services offerts dans l’entreprise ou dans la communauté directe, on réalise qu’il y a déjà beaucoup de ressources à proximité. »
… que guérir
On a tendance à penser que la santé mentale est une dépense, mais c’est plutôt de l’argent bien investi – Dre Christine Grou
Au contraire, ne rien faire engendrera des coûts plus élevés à long terme, prévient la présidente de l’Ordre des psychologues du Québec, Christine Grou.
« On a tendance à penser que la santé mentale est une dépense, mais c’est plutôt de l’argent bien investi, bien placé, argue-t-elle. Si on ne le fait pas, il y aura un coût humain plus élevé, c’est très bien documenté. »
« Un stress chronique peut rendre une personne malade physiquement », ajoute la Dre Grou. Ce qu’on ne prévient pas risque de survenir, et ce qu’on ne traite pas risque de s’aggraver et de se complexifier. »
Elle donne en exemple un épisode dépressif ignoré ou mal traité qui pourrait mener à une dépendance ou des comportements autodestructeurs. « Ça pourrait mener à d’autres problèmes de santé mentale concomitants qui sont plus complexes, plus graves et plus longs à traiter », indique la psychologue.
Marie-Claude Pelletier indique également que les risques psychosociaux au travail entraînent tant des conséquences physiques que psychologiques qui se traduiront par des congés d’invalidité, de l’absentéisme, voire un plus grand roulement de personnel. Des phénomènes coûteux pour les employeurs, qui placent de plus une pression supplémentaire sur les collègues qui absorbent la charge de travail à répartir.
Les employés vivant dans un contexte de travail malsain sont plus susceptibles de développer des troubles musculosquelettiques, du stress, des maladies cardiovasculaires ou même des cancers, leur système immunitaire étant plus faible et leur espérance de vie, plus courte. Ils sont aussi plus à risque de vivre un épisode dépressif ou un épuisement professionnel ou à souffrir d’isolement et de solitude, ce qui affecte leur engagement au travail et leur motivation.
Déjà, d’agir pour prévenir et éliminer les incivilités, le harcèlement et la violence au travail, qu’ils soient physiques, psychologiques ou à caractère sexuel, contribue à renforcer un sentiment de sécurité au sein de la main-d’œuvre.
« Avec ce qu’on vit actuellement, on vit crise par-dessus crise, c’est important d’avoir du personnel engagé qui est bien au travail, pour faire face à toutes ces turbulences et l’incertitude », fait valoir Mme Pelletier.
D’autres facteurs peuvent renforcer le sentiment d’appartenance et de bien-être d’un employé au travail, fait-elle valoir : plus grande autonomie décisionnelle, charge de travail raisonnable, justice organisationnelle et reconnaissance de la valeur apportée par le travailleur.
Dommages collatéraux
Il n’y a d’ailleurs pas que les membres du personnel qui subissent les ravages d’un mal-être, qu’il soit au travail ou dans leur vie. Dre Grou illustre cette réalité avec l’image d’une goutte de pluie qui tombe dans un lac, créant une série d’ondes autour du point de chute.
« Ces ondes, ces ronds, ce sont les membres de la famille, les amis, les collègues de la personne, précise la psychologue. Eux aussi en subissent les répercussions. »
En milieu professionnel, « une absence ou une invalidité d’un employé constituent un nouveau facteur de risque psychosocial, parce que la charge de travail se répercute sur ses collègues, qui seront alors eux-mêmes plus à risque d’être stressés ou épuisés », fait valoir Dre Grou.
Les PAE : outil de prévention ou de traitement ?
Les panélistes ont émis des avis divergents quant à l’utilité réelle des programmes d’aide aux employés (PAE). Est-ce davantage un outil de prévention ou peut-on plutôt y avoir recours pour se soigner ? Et si la vérité se situait entre les deux ?
Actuellement, très peu d’employés ont recours à leur PAE, quand ils en connaissent l’existence.
« Je crois beaucoup à la pertinence des PAE, mais il faut être réaliste. Une étude réalisée il y a deux ans par la Chaire de recherche Relief en santé mentale, autogestion et travail, de l’Université Laval, démontrait que 40 % des employés des organisations ne savaient pas que leur employeur offrait un PAE et que 53 % qui le connaissaient ne se sentaient pas à l’aise d’aller chercher de l’aide par peur d’être stigmatisés, partage Martin Binette. Si on additionne les deux, on comprend pourquoi [les PAE] ont des taux d’utilisation de 1,5 % à 2,5 %. »
Le recours aux PAE a également diminué durant la pandémie de COVID-19.
Le vice-président développement et croissance d’inpowr relève que c’est dans les milieux où le climat de travail est le plus sain que les travailleurs et travailleuses sont plus susceptibles d’utiliser les services d’un PAE. Un constat paradoxal, mais qui illustre à quel point un sentiment de sécurité et de bien-être au travail peut être porteur de changements positifs.
Pour M. Binette, les PAE sont des outils davantage curatifs que préventifs, tandis que Mme Pelletier y voit là une bonne manière d’éviter que certaines conditions ne s’aggravent.
« Les PAE peuvent être utilisés en prévention pour des choses qui sont loin des pratiques de gestion, mais qui ont un impact sur la capacité de produire de l’employé », fait-elle valoir.
En ce sens, les courtiers et conseillers en assurance doivent accompagner les organisations dans le choix des services de bien-être et de santé qu’ils offriront, via le PAE ou leurs avantages sociaux. Et cela doit se faire en même temps qu’une révision de la gestion organisationnelle, pour éliminer tout facteur de risque émanant de l’entreprise, martèle Mme Pelletier.
En somme, que la loi les y oblige ou non, les organisations ont tout intérêt à développer une culture organisationnelle de bien-être au travail, indiquent les panélistes.