Un avocat ayant conseillé nombre d’assureurs au fil des ans a récemment écrit au ministère des Finances du Québec pour déplorer l’arsenal répressif que déploie l’Autorité des marchés financiers au quotidien.

Pour Yves Le May, un régulateur devrait avoir une approche accompagnatrice envers l’industrie. Il dit voir tout l’inverse à l’Autorité, déplorant qu’elle s’immisce quotidiennement dans les activités des assureurs.

Il a adressé une missive au ministre des Finances Carlos Leitao et au ministre délégué Pierre Moreau le 23 mars dernier. Il en a partagé la teneur des propos avec le Journal de l’assurance.

M. Le May est avocat depuis 1975. Il exerce exclusivement comme conseiller juridique interne de compagnies d’assurance, principalement en assurance vie, depuis 1984. Il a notamment conseillé une multitude d’assureurs lors de la contestation du déficit de la Société d’indemnisation des assureurs de personnes à la suite de la liquidation des Coopérants, au début des années 1990. Son parcours l’a aussi amené à déposer plus d’une dizaine de projets de loi privés pour le compte d’assureurs.

Il prendra sa retraite dans quelques mois. Avant de le faire, il a voulu faire part de ses inquiétudes vis-à-vis l’encadrement de l’Autorité.

Il indique dans sa lettre que ses commentaires ont été vérifiés auprès de différents assureurs. « Ils représentent ce que la majorité d’entre eux ne peuvent dire publiquement de crainte d’être pointés. « Ce n’est pas à proprement parler une omerta, mais un silence motivé par la crainte de tracasseries additionnelles », écrit M. Le May.

« Un spaghetti »

Il amorce sa missive en rappelant avoir observé le passage du régime de l’Inspecteur général des institutions financières (IGIF), puis du Bureau des services financiers, pour aboutir à celui de l’Autorité des marchés financiers. « J’ai constaté avec ces différents changements une augmentation très importante et parfois exagérée de la bureaucratie de surveillance. Les lignes directrices pleuvent tellement qu’elles prennent depuis plusieurs années une importance exagérée par rapport à l’administration quotidienne. Il n’y a qu’à consulter le spaghetti du Schéma des lignes directrices publié par l’Autorité le 20 juin 2013 et mis à niveau en 2016 pour s’en convaincre », écrit-il.

M. Le May ajoute que ces lignes directrices représentent des centaines de pages et encore plus de pages à pondre pour les respecter. « C’est tellement volumineux comme travail et trop souvent parfaitement inutile. Une fois ces documents élaborés par les assureurs et transmis aux administrateurs et dirigeants, qui s’en souvient après quelques mois ? C’en est ridicule. »

Il ajoute que l’Autorité en est venue à se substituer au gouvernement en établissant ses lignes directrices. Il déplore aussi que le style utilisé pour les écrire soit loin d’être limpide. Il rappelle que l’IGIF avait une approche d’écoute et d’ouverture face aux assureurs.

« Aujourd’hui, c’est tout le contraire, surtout pour les petits et moyens assureurs qui ont moins la capacité de rouspéter. On sent un fervent désir du régulateur de les éliminer du portrait à l’avantage des gros joueurs. Lorsqu’on rencontre l’Autorité, on a l’impression de rencontrer le préfet de discipline plutôt qu’un surveillant accompagnateur comme elle devrait l’être. »

« Déployer l’UPAC pour un excès de vitesse »

Il écrit que pour des problèmes souvent bénins, l’Autorité déploie tout l’arsenal répressif. « En guise de comparaison c’est comme si on déployait l’UPAC pour intercepter un simple excès de vitesse sur une autoroute. »

Il fait remarquer que le personnel de l’Autorité possède d’excellentes qualifications professionnelles. « Il leur manque toutefois une véritable expérience pratique qui leur permettrait d’encadrer plus positivement l’industrie plutôt que d’y chercher continuellement des puces. La tendance aujourd’hui pour plusieurs assureurs est de considérer l’Autorité comme un policier », regrette-t-il.

L’avocat souligne que les pouvoirs de l’Autorité ont été considérablement renforcés au fil des ans. Pas pour le mieux, affirme-t-il. Il donne quelques exemples pour appuyer ses dires.

« En aucun cas l’Autorité ne devrait être à la fois juge et partie dans quelque litige que ce soit avec les assureurs. Au cours des dernières années, nous avons eu connaissance d’amendes salées imposées à des assureurs pour un retard explicable d’un rapport financier. Ou d’un rapport d’un comité de déontologie alors que les assureurs avaient invoqué des arguments qui auraient pu être retenus par un tribunal impartial. On peut en appeler au Tribunal administratif, mais les couts deviennent alors prohibitifs. Il appert aussi que l’Autorité a la mémoire longue », prétend-il.

Autre exemple soulevé par M. Le May, l’Autorité a, dans certains cas, « bousculé » toutes les règles de saine gouvernance pour rencontrer individuellement des administrateurs « afin de les inciter à la délation et à l’invention de reproches ». « Ces agissements sont intolérables pour un organisme public de surveillance et bafouent autant les règles de gouvernance que celle de justice naturelle », écrit-il.

« Trop d’employés justifient leur emploi en utilisant le microscope »

M. Le May ne voit pas non plus d’un bon œil la perspective d›abolir les Chambres au profit de l’Autorité. « Ce serait là une augmentation considérable et vraiment inopportune de pouvoirs et une multiplication d’irritants pour toute l’industrie des services financiers. Quelle grossière erreur ce serait d’augmenter encore les pouvoirs de ce mastodonte. C’est plutôt un régime d’amaigrissement qui devrait être imposé à l’Autorité. Le nombre d’employés a été gonflé démesurément avec la surveillance des contrats publics. Trop d’entre eux doivent justifier leurs emplois en utilisant le microscope », écrit-il.

M. Le May ajoute avoir rencontré au fil des ans d’anciens dirigeants ou employés de l’Autorité. « Plusieurs m’ont dit qu’ils avaient quitté ce bateau avec plaisir parce que l’on exigeait de plus en plus de résultats de prendre en défaut des assureurs », affirme-t-il.

L’avocat propose aussi quelques modifications à la Loi sur les assurances pour revoir l’étendue des pouvoirs de l’Autorité. La plus importante est de limiter le rôle du régulateur à la supervision de la situation des assureurs et à la gouvernance, sans qu’il s’attarde aux opérations courantes.

« Quelques ajustements sont nécessaires, mais c’est surtout une orientation accompagnatrice qui doit être apportée. Le Québec ne doit pas devenir un régime autoritaire. Cela doit transparaitre dans ses organismes de règlementation et de surveillance. L’Autorité doit principalement s’assurer de la solidité financière des entreprises. Cela ne lui donne pas le pouvoir de s’immiscer dans leur administration quotidienne ni d’être continuellement à l’affut de nouvelles brimades perpétuelles. Les critères de saine gestion se retrouvent dans les manuels de doctrine, mais l’expérience terrain y est malheureusement absente », complète-t-il.