Pourquoi une règlementation qui vise à la base l’assurance des particuliers s’appliquerait-elle aussi en assurance des entreprises ? C’est le questionnement que se pose Gérald Charest, président de Geska Assurances & Conseils, depuis le dépôt du projet de loi 150.
Geska Assurances possède un volume de primes de 10 millions de dollars. Il œuvre exclusivement en assurance des entreprises, et ce, avec plusieurs assureurs. Son propriétaire Gérald Charest déplore que le projet de loi 150 ne fasse aucune distinction entre les deux segments d’affaires, où la concentration est plus présente en assurance des particuliers.
« La concentration s’accentuera »
« Si le projet de loi est adopté comme tel, ce sont les assureurs directs qui seront favorisés, dit M. Charest. Ils auront le champ libre alors que le courtage aura à se dépêtrer avec tout cela. »
M. Charest ajoute que le projet de loi 150 est inadéquat pour le segment des entreprises. « Le marché ne sera pas capable de répondre aux demandes du gouvernement. Ça créera des délais de réponse pour nos clients entrepreneurs. On sera capable de revenir rapidement pour un salon de coiffure ou un dépanneur. Mais quand on considère le temps qu’il faut prendre pour analyser un dossier, attendre la réponse des assureurs, et ce à quoi il faudra ajouter le temps de présenter quatre offres… Financièrement, ce sera très difficile pour la majorité des courtiers. Ça va accentuer la concentration dans le courtage. Les plus gros cabinets auront plus de facilité. »
Un manque de vision à déplorer
Le président de Geska s’est dit heureux de la position prise par Ron Pavelack, vice-président, Québec, d’Echelon, qui a lui aussi soulevé les différences du marché de l’assurance des entreprises. Il se questionne toutefois sur les réactions des assureurs à courtage qui applaudissent le projet de loi.
« Je m’explique mal leur réaction, outre de par le fait que le projet de loi vient mettre des bâtons dans les roues de leur plus grand concurrent. Il est dommage que leur vision n’aille pas plus loin que cela. Ces assureurs ne réalisent pas à quel point ça va nous rendre la vie difficile. Il sera difficile pour les courtiers d’être concurrentiels dans le marché de l’assurance des entreprises. »
M. Charest se questionne sur un autre point. Il souligne que les assureurs s’attendent à conclure à peu près 30 % des soumissions qu’un courtier leur soumet du côté de l’assurance des entreprises. « À quatre fois 30 %, on arrive à 120 %. Le calcul ne tient pas si on doit fournir quatre soumissions. En plus, est-ce que les assureurs seront en mesure de répondre à la demande s’ils ont une augmentation de 10 % à 15 % des demandes ? Certains n’arrivent pas à répondre à la demande actuelle… »
Le président de Geska ajoute que pour certains segments, obtenir quatre soumissions ne sera pas évident. Il pense notamment aux marchés du camionnage, du cyberrisque, de l’assurance agricole, de l’assurance administrateurs et dirigeants, à l’aviation et au maritime. « Ça sera problématique dans ces cas. »
L’aspect financier et la réservation de marché
M. Charest dit aussi douter que les assureurs en entreprises aient un grand appétit pour fournir de multiples soumissions pour une police de 500 $. « Pour le courtier, ça rapporte 100 $. Avec cette marge, c’est rentable seulement si on peut le traiter rapidement. Si ça se fait en une heure, ça va. Mais si un courtier que je paie 22 $ l’heure passe trois heures sur ce dossier, j’ai un problème, car je n’y ai pas ajouté les couts de mon local, de ma réceptionniste et de mon système informatique. Ça n’a pas de sens ! Et si j’ajoute un honoraire de 100 $ au client pour un risque de 500 $, je ne suis pas certain qu’il sera enchanté de la chose. C’est d’ailleurs pour cette raison que plusieurs courtiers en assurance des particuliers ont opté pour la concentration, compte tenu du peu de revenus que ces risques génèrent. »
M. Charest se demande comment s’appliquera le système de réservation de marché. Ce principe fait en sorte qu’un assureur réserve sa soumission au premier courtier qui lui soumet un risque en assurance des entreprises. « À quatre soumissions, le client ne pourra avoir une deuxième opinion. On voit de plus en plus d’entrepreneurs qui demandent l’avis d’un second courtier. Si le premier courtier fait réserver les soumissions de quatre assureurs, comment le deuxième pourra-t-il en obtenir ? Ce sera compliqué. »
« La protection du public passe par les protections »
M. Charest souligne qu’à son sens, toute la consultation entourant la règle des 20 % d’actionnariat qu’un assureur détient dans un cabinet de courtage découlait de la protection du public, vu les niveaux de concentration que l’on retrouve en assurance des particuliers. M. Charest croit plutôt que l’axe de la protection du public doit être considéré à partir des protections que le client détient ou pas.
« C’est ce besoin qu’il faut analyser. Si le client veut se protéger contre le cyberrisque et que son courtier ou son agent n’est pas capable de lui offrir, il devrait savoir qu’il peut compléter sa protection ailleurs. Il faut l’informer ! En assurance vie, quand le client d’un conseiller en assurance vie décline une protection, on lui fait signer une décharge. C’est un processus standardisé par surcroit. »