Le Canada pourrait se doter d’une stratégie nationale de prévision des inondations et des sécheresses grâce à l’initiative d’une nouvelle députée libérale québécoise élue aux élections fédérales d’avril dernier. Le projet de loi C-241 déposé par Tatiana Auguste est maintenant parvenu en deuxième lecture à la Chambre des Communes à Ottawa. 

Ce projet de loi, a-t-elle soutenu lors de son dépôt, est indispensable. Il constitue un outil majeur pour protéger le Canada des effets dévastateurs des catastrophes naturelles et pour limiter les coûts qui y sont associés. Elle croit qu’il pourrait sauver des vies et faire économiser beaucoup d’argent.

Au moment du dépôt du projet, Mme Auguste citait des pertes assurées liées aux événements climatiques atteignant un montant record de 8,5 milliards de dollars (G$) canadiens en 2024. Dans sa plus récente mise à jour Catastrophe Indices and Quantification Inc. (CatIQ) évaluent plutôt les pertes assurées totales à plus de 9,2 G$. 

« La stratégie nationale, a-t-elle précisé en Chambre, vise à rassembler tout le monde autour de la table où se prennent les décisions, afin de pouvoir partager les expertises provenant d’un bout à l’autre du Canada, que ce soit de la Saskatchewan ou du Québec. On veut permettre à toutes les provinces de bénéficier de ces expertises, car, s’il y a un problème d’un côté du Canada, cela touche l’environnement et l’eau, et cela finira par atteindre le reste du pays. » 

Pourquoi les provinces s’en chargent 

John Pomeroy

Au Canada, explique John Pomeroy, directeur du centre de recherche Global Water Futures Observatories dirigé par l’Université de la Saskatchewan et professeur émérite au département de géographie et d’aménagement du territoire de l’établissement, Ottawa a laissé aux provinces le soin de prévoir les inondations, car elles ont la responsabilité constitutionnelle de la gestion des ressources en eau et des catastrophes.

« Cependant, ajoute-t-il par courriel au Portail de l’assurance, le gouvernement fédéral a un rôle à jouer, car les bassins hydrographiques traversent les frontières provinciales et nationales et ont un impact sur les communautés autochtones. Les inondations et les sécheresses sont causées par l’atmosphère et les conditions météorologiques qui relèvent de la compétence fédérale (précipitations, chutes de neige). » 

Selon lui, l’absence de stratégie nationale a entraîné des alertes insuffisantes en cas d’inondations et de sécheresses, ainsi que le développement de treize systèmes provinciaux/territoriaux qui ne sont pas coordonnés entre eux, qui sont peu développés dans la plupart des cas et qui ne sont pas coordonnés de manière optimale avec les données d’Environnement et Changement climatique Canada (ECCC). 

« Ces systèmes distincts seraient plus solides et plus performants s’ils étaient coordonnés et soutenus par les supercalculateurs d’ECCC, la recherche universitaire sur les systèmes d’inondation et de données universitaires, tels que le Global Water Futures Observatories [ou Observatoires de l’avenir de l’eau dans le monde], précise-t-il. L’approche fragmentée du Canada a entraîné des risques accrus de dommages causés par les inondations et les sécheresses, ainsi que des blessures corporelles, et a probablement entraîné une augmentation des coûts d’assurance pour les Canadiens ». 

Pas de stratégie nationale au Canada 

La majorité des pays avancés sur le plan technologique ont un service national de prévision des inondations, mais le Canada n’en possède toujours pas alors que les sinistres naturels extrêmes, se multiplient à travers le pays depuis quelques années.

Paradoxalement, note John Pomeroy, des universités canadiennes ont mis au point certains des modèles de prévision et des systèmes de collecte de données de recherche les plus sophistiqués au monde.

Ceux-ci devraient être adaptés aux besoins régionaux du Canada et mis en œuvre à l’aide de systèmes de données permettant de prévoir les inondations et les sécheresses, ce qui nécessitera de nouvelles technologies et, surtout, leur mise en œuvre dans le cadre d’une collaboration entre le gouvernement fédéral et les gouvernements provinciaux et territoriaux

Les provinces agissent sans coordination 

L’absence d’un tel outil national au Canada fait en sorte que les provinces fonctionnent sans coordination nationale devant les changements climatiques même si le climat ne connaît pas de frontières. Elles affrontent seules les intempéries sur leurs territoires et bataillent avec leurs propres moyens lorsque surviennent des sinistres naturels majeurs.

Ce projet de loi, dit Tatiana Auguste, pourra réduire la dépendance du Canada aux données provenant de l’étranger. Le pays s’appuie sur des données récoltées par la National Aeronautics and Space Administration (NASA) des États-Unis, mais depuis octobre 2025, affirme la députée, elle a commencé à envoyer des données invalides à certaines organisations.

« Nous ne pouvons pas nous reposer sur les autres alors qu’ici, les chercheurs des universités comme [l’Université du Québec à Montréal (UQAM)] et l’Université de la Saskatchewan sont des chefs de file dans le domaine et reconnus par les organisations mondiales, invoque-t-elle. Malgré tout, ils ne peuvent pas faire tout le travail. Il nous revient de faire le pas et de collaborer à une stratégie nationale. » 

John Pomeroy, qui parle « d’urgence », estime que les coûts d’implantation seraient relativement faibles grâce aux investissements importants consentis dans des projets de recherche, tels que le programme Global Water Futures (78 M$), le centre Global Water Futures Observatories (40 M$) et le réseau FloodNet (5 M$) qui ont permis de développer les logiciels et les systèmes de données fondamentaux pour un système national. La mise en œuvre d’un système canadien coordonné permettrait également de réaliser des économies en évitant le double emploi des services entre les provinces et les territoires. 

« Nous avançons à l’aveuglette dans la tempête, conclut ce scientifique. Ne pas le faire nous coûtera beaucoup plus cher, et cela est nécessaire pour concevoir et construire les infrastructures nationales résilientes envisagées par le gouvernement fédéral actuel. » 

L’élan de Taniata Auguste a cependant vite été freiné par son propre parti. Lors du dépôt de son budget fédéral le 4 novembre, le gouvernement de Mark Carney n’a prévu aucune somme pour la mise en marche de cette stratégie.