Il n’y a aucune obligation de protection de la part d’un assureur sans qu’il y ait sinistre, vient de rappeler la Cour du Québec à une entreprise qui avait demandé à sa compagnie d’assurance d’assumer sa défense à la suite de travaux de réfection qu’elle aurait mal exécutés.
L’affaire s’est déroulée dans le secteur commercial. Le propriétaire d’un immeuble avait confié en 2010 à un entrepreneur la réalisation de travaux de réparations de fissures sur les fondations de son immeuble. La garantie s’étendait sur une période de dix ans.
En 2018, il vend sa propriété à une dame. À la suite de l’enlèvement d’une haie de cèdres, elle remarque que le pourtour des fondations est fissuré à plusieurs endroits et que les réparations qui avaient été faites par l’entrepreneur n’avaient pas été faites ou n’avaient pas été exécutées selon les règles de l’art.
Un ingénieur expert à qui elle donne le mandat de réaliser une inspection constate que les fissures n’ont pas été réparées, mais à peine colmatées. Elle fait procéder aux travaux de réparations et en 2021, elle intente des procédures judiciaires à l’encontre du vendeur où elle exige une réduction du prix de vente en raison de vices cachés.
L’entreprise veut être défendue par son assureur
L’ancien propriétaire appelle en garantie l’entreprise qui a réalisé les travaux. Cette dernière se tourne vers son assureur, L’Unique Assurances générales. Dans une demande de type Wellington, l’entrepreneur lui demande de prendre fait et cause à ses frais et d’assumer sa défense.
L’Unique conteste ce recours et en exige le rejet devant la cour. Selon la lecture qu’elle fait de son contrat, elle n’a pas l’obligation de défendre son assuré lorsque les dommages réclamés ne résultent pas d’un « sinistre » (entre guillemets dans le jugement), au sens de la police d’assurance responsabilité émise en faveur de son client.
L’assureur plaide aussi qu’une exclusion « Dommages à vos travaux » s’applique dans les circonstances, même si le tribunal venait à conclure de l’existence d’un sinistre.
L’assureur doit-il prendre la défense de son assuré ?
Le juge Jimmy Vallée, de la Cour du Québec, Chambre Civile, doit donc déterminer s’il y a obligation, ou non, pour l’assureur, d’assumer la défense de son assuré.
« De façon plus précise, ajoute-t-il, y a-t-il eu la survenance d’un sinistre donnant ouverture à la protection d’assurance ? Si oui, l’exclusion “Dommages à vos travaux” s’applique-t-elle ? »
Il cite des clauses et des extraits du contrat d’assurance en question à propos de la nature et de l’étendue de la garantie : la présente assurance ne vise le « dommage corporel » ou le « dommage matériel » que dans la mesure « où il résulte d’un sinistre qui s’est produit dans les limites territoriales de la garantie. » Plus précisément, « sinistre signifie tout accident ainsi que l’exposition continuelle ou répétée à des risques essentiellement de même nature ».
Il n’y a pas d’obligation de défendre
L’article 2503 du Code civil du Québec dispose que l’assureur est tenu de prendre fait et cause pour toute personne qui a droit au bénéfice de l’assurance et d’assumer sa défense dans toute action dirigée contre elle.
Dans la présente affaire, la contestation de l’Unique s’articule autour de la notion de sinistre et de son absence. L’assureur ayant refusé d’assumer sa défense, l’entrepreneur qui a réalisé les travaux en 2010 a le fardeau de prouver que les dommages matériels allégués relèvent de la couverture d’assurance et résultent d’un sinistre, souligne la Cour.
Or, la jurisprudence a déterminé à plus d’une reprise que l’assuré ne bénéficie pas de la garantie si sa réclamation porte seulement sur les coûts engendrés par la mauvaise exécution des travaux alors qu’aucun sinistre n’est survenu.
Dans un arrêt qui date de 2010, la Cour suprême du Canada avait déterminé ceci : « Lorsqu’il ressort clairement que la demande ne relève pas de la portée de la police, soit parce qu’elle n’est pas visée par la protection initiale, soit en raison d’une clause d’exclusion, il n’y a pas d’obligation de défendre. »
La Cour du Québec fait aussi siennes les conclusions d’un juge de la Cour supérieure dans une autre cause où il avait déterminé que « l’assuré ne bénéficie pas de la garantie si sa réclamation porte seulement sur les coûts engendrés par la mauvaise exécution des travaux, alors qu’aucun sinistre n’est survenu ».
« Ce n’est pas la raison de cette protection »
Dans la présente affaire, souligne le juge Vallée, ce que demande la nouvelle propriétaire de l’immeuble à son vendeur, c’est de payer pour des travaux qui ont été mal exécutés, selon elle, par l’entrepreneur. Aucun dommage n’a été causé par ces malfaçons. Il n’y a pas, par exemple, d’allégation d’infiltration d’eau. Elle demande en quelque sorte l’exécution de la garantie de 10 ans qui aurait été consentie en 2010.
« Il n’y a ni accident, ni sinistre, ni dommage en résultant, analyse le magistrat. Décider le contraire reviendrait à dire que chaque fois qu’un entrepreneur reçoit une dénonciation de malfaçons visant ses travaux, il n’aurait qu’à se retourner vers son assureur en responsabilité civile, qui devrait le défendre. »
« Ce n’est pas là la raison d’être de cette protection d’assurance, conclut-il dans son jugement rendu en novembre 2023, avant de rejeter la demande de l’entreprise visant à obliger l’Unique à assumer sa défense.