Téléchargement d’informations stratégiques et confidentielles avant d’annoncer sa démission. Suppression de l’historique d’activités informatiques. Sollicitation alléguée des clients de son ancien employeur.
C’est autour de ces éléments que la Cour supérieure du Québec a dû trancher un litige opposant GPL Assurance à BFL Canada, après que trois employés de GPL l’ont quitté en février pour joindre BFL. S’en est suivi une saga dont l’intrigue a connu de multiples rebondissements, mais qui au final, a fait en sorte que le tribunal a rejeté les arguments de GPL et a donné raison à BFL.
Ce que GPL reprochait à BFL
Abdel Barka, Francis Rhéaume et Marie-Pier Renaud ont tous démissionné le 21 février 2019 afin de joindre BFL. Ils ont donné deux semaines de préavis, mais GPL leur a demandé de quitter sur-le-champ, peut-on lire dans la décision rendue et rédigée par le juge Lukasz Granosik, et dont Maurice Charbonneau, président et avocat chez Charbonneau, avocats-conseils, en a dévoilé l’existence au Portail de l’assurance.
M. Barka, M. Rhéaume et Mme Renaud occupaient respectivement les postes de directeur de placements, vice-président, directeur de comptes, entreprises et construction, et directrice adjointe, développement des affaires et directrice de comptes au sein de la division consommateurs et gestion privée.
Au cours des semaines qui ont suivi leur départ, des entreprises clientes de GPL ont été approchées par des employés de BFL. De plus, une employée de GPL a été invitée à se joindre à BFL. Selon GPL, le tout allait à l’encontre des obligations légales des employés en ce qui a trait à la clause de non-concurrence et de non-sollicitation prévue aux contrats de ses trois anciens employés.
Un expert informatique intervient
GPL a mandaté un expert pour analyser les appareils électroniques qu’utilisaient M. Barka, M. Rhéaume et Mme Renaud. L’objectif de GPL : découvrir à quelles informations ces employés avaient pu accéder avant leur départ.
L’expert en question a découvert que M. Barka, avant de remettre sa démission, a « accédé à des informations confidentielles et stratégiques concernant les clients, les employés et les affaires de GPL ». Cet expert a aussi avancé que l’employé a branché deux clés USB distinctes sur son ordinateur de travail. Puis, il a ajouté que M. Barka a utilisé un logiciel permettant de supprimer l’historique de ses activités informatiques et des traces numériques qui en découlent.
Les téléphones de MM. Barka et Rhéaume n’ont pu être analysés. Ils ont prétendu avoir oublié les mots de passe. Le téléphone utilisé par Mme Renaud n’était pas verrouillé et a pu être analysé. Toutefois, les données avaient été effacées le 20 février 2019, une journée avant de remettre sa démission.
Sollicitation ou pas ?
Puis, le 15 mars 2019, une représentante de GPL visite Immeubles Choucair, un client important de l’entreprise. Lors de cette visite, l’un des employés démissionnaires de GPL, Francis Rhéaume, tente d’appeler ce client. Voyant cet appel, le représentant de Choucair montre son téléphone à la représentante… qui y voit le nom de M. Rhéaume.
Deux semaines plus tard, soit le 1er avril 2019, GPL reçoit une demande de transfert du compte des Immeubles Choucair au profit d’une entité associée à BFL. Puis, le lendemain, le 2 avril, nouvelle demande de transfert d’un compte appartenant à GPL vers BFL, soit celui du compte Yves Bernier-Chantal Dion. Autre évènement le 3 avril, la chef comptable de GPL est contactée par BFL et se fait offrir un emploi.
Au final, le compte des Immeubles Choucair est demeuré chez GPL, peut-on lire dans le jugement. Le sort du compte Yves Bernier-Chantal Dion n’est pas dévoilé. Quant à la chef comptable, elle a confronté son interlocutrice de BFL à savoir comment elle avait obtenu ses coordonnées, ce que cette employée de BFL a refusé de dévoiler.
Devant ces faits, les avocats de GPL ont demandé à la Cour d’émettre une ordonnance de type Anton Piller, qui permet de perquisitionner rapidement quelqu’un lorsqu’il y a possibilité de destruction de preuve. En l’occurrence, cette ordonnance visait Abdel Barka.
Cette ordonnance a permis de découvrir que M. Barka a téléchargé un fichier concernant le compte de l’entreprise Bermex, qui appartenait à GPL, et qui a été transmis à Francis Rhéaume. Or, interrogés à ce propos, des employés de cette entreprise ont affirmé ne pas avoir été sollicités par BFL.
Pourquoi les actes commis ne sont pas de la sollicitation selon le tribunal
Au final, le juge Lukasz Granosik a statué que les preuves avancées étaient incomplètes pour prouver qu’il y avait eu sollicitation de la part de BFL. GPL avait aussi tenté de faire appliquer une clause de non-concurrence, que le tribunal n’a pas jugé valide.
« GPL présente essentiellement au Tribunal une preuve circonstancielle et lui demande de tirer des inférences et de déduire par présomption de faits que la sollicitation interdite a eu lieu. Aussi, il faut noter qu’il n’y a aucune preuve de sollicitation par Barka, qui dans le cadre de ses fonctions ne gérait pas la clientèle, mais plutôt les fournisseurs et les compagnies d’assurance », peut-on lire dans le jugement.
Il ajoute que la situation ne correspondait pas à la définition même du mot « sollicitation » qu’on retrouve dans la jurisprudence. Il cite notamment l’affaire Lemieux c. Aon Parizeau inc. La sollicitation serait « une communication active, directe, pressante, persistante et récurrente auprès de la clientèle de l’ancien employeur », cite le juge Granosik.
« Le Tribunal peut conclure par présomption de faits que la démission du 21 février est concertée, que l’embauche par le compétiteur est préméditée et que la collaboration subséquente, voir l’épisode concernant les NIP des téléphones portables oubliés, est sous-optimale, mais cela ne prouve pas, même prima facie, la sollicitation illégale et en contravention du contrat d’emploi de ces défendeurs », affirme le juge.
Le Portail de l’assurance a vérifié si GPL comptait porter la cause en appel. GPL ne l’a pas fait aux termes des délais de 30 jours permis à cet effet, a révélé Nathalie-Anne Béliveau, avocate chez Fasken, qui représentait GPL dans cette affaire.