La Cour d’appel du Québec infirme le jugement de première instance et donne raison à AIG compagnie d’assurance du Canada dans son litige contre les vendeurs d’une excavatrice qui a été modifiée par sa cliente pour réaliser des travaux de récolte forestière.
Le jugement rendu en appel le 23 décembre 2024 infirme le jugement rendu par la Cour supérieure du Québec le 6 juin 2023 qui avait rejeté la demande de l’assureur et de l’assurée.
Dans cette affaire, AIG est l’assureur de l’équipement utilisé par le Groupement forestier Chaudière (GFC). Cette entreprise, qui est une association de propriétaires de lots boisés de la région Chaudière-Appalaches, utilisait une excavatrice fabriquée par Volvo Group Canada, l’une des défenderesses dans ce litige.
Deux autres parties étaient défenderesses en garantie et parties intimées, soit le détaillant Strongco, qui est le distributeur exclusif de Volvo au Canada (sauf en Colombie-Britannique). En mars 2016, Strongco vend l’excavatrice à Mécano Mobile R.L.
Cette entreprise, qui revend l’équipement à GFC, installe au préalable une tête d’abattage multifonctionnelle Kesla, qui est capable d’ébrancher, de couper et de sectionner les arbres dans les longueurs voulues par les usines de transformation du bois.
Un autre sous-traitant installe le matériel requis pour protéger l’équipement et assurer la sécurité de l’opérateur en forêt. Cette installation n’est pas concernée par le présent litige.
L’entretien de l’excavatrice est effectué par Strongco et l’exploitant a même acquis une garantie prolongée pour l’excavatrice, qui a une durée de vie de 10 ans. C’est le même employé de GFC qui conduit la machine et l’utilise en forêt depuis juin 2016.
Le 25 janvier 2018, l’équipement forestier est détruit par le feu alors qu’il est en activité depuis 20 minutes ce jour-là, et ce, après 18 mois d’usage. L’opérateur a lui-même éteint le feu avec des extincteurs.
Les experts
En première instance, l’expert des demandeurs note la présence d’une trace de court-circuit sur le conducteur d’alimentation de l’alternateur. Ce filage électrique est connecté aux batteries et l’opérateur a interrompu le courant dès qu’il a pu constater l’incendie, ce qui lui permet d’établir que le court-circuit s’est produit avant le sinistre.
L’expert de Mécano Mobile R.L. constate la présence de résidus forestiers sur l’équipement. Il estime que la région d’origine de l’incendie se situe à l’intérieur du comportement moteur, qui inclut les pompes hydrauliques. Selon lui, la cause probable de l’incendie est indéterminée. Deux autres rapports sont produits par des experts des défenderesses. Ces derniers n’ont jamais étudié les débris de la machinerie et ont analysé des photos des dégâts.
L’assureur a indemnisé GFC et a déposé une demande de subrogation conventionnelle contre les défenderesses pour une somme de 240 275 $. De son côté, GFC réclame 15 000 $ correspondant au montant de la franchise qui a été déduit de l’indemnité versée par l’assureur.
En première instance, la juge Suzanne Hardy-Lemieux, du district de Québec de la Cour supérieure, rejette les recours des demanderesses AIG et GFC. Le litige portait sur la garantie de qualité prévue à l’article 1729 du Code civil du Québec.
Les demanderesses n’ont pas réussi à convaincre le tribunal que les courts-circuits électriques retrouvés sur le fil qui relie l’alternateur à la batterie sont la cause probable de l’incendie.
Détérioration prématurée
Dans le cadre de la protection offerte par l’article 1729, on doit prouver que le bien litigieux est couvert par la garantie du vendeur professionnel et qu’il s’est détérioré de manière prématurée. Cette preuve suffit à établir trois présomptions, qui peuvent être contredites, selon lesquelles le bien est affecté d’un vice qui a causé sa détérioration prématurée ou son mauvais fonctionnement et dont l’origine est antérieure au contrat de vente.
Le vendeur professionnel peut contester ces présomptions en démontrant un usage impropre du bien par l’acheteur ou l’intervention d’un tiers qui est à l’origine du problème. En première instance, la juge a déterminé que le bien s’est détérioré de manière prématurée.
La présentation de la preuve a requis six journées d’audience tenues en mars 2023. Les fentes verticales situées sur le système d’échappement ou antipollution pouvaient laisser entrer des résidus forestiers en l’absence de toute protection à cet effet.
En conséquence, il était possible que ces résidus tombant sur une surface très chaude causent l’incendie, lequel pourrait provoquer les cours-circuits. Mais un problème électrique pouvait aussi être à l’origine de l’incendie. Faute de preuve suffisante, le tribunal estime que la cause de l’incendie demeure indéterminée.
Le témoignage de l’opérateur de la machine a été incorrectement nuancé par la juge de première instance, estime la Cour d’appel. Le conducteur de l’engin affirme avoir vérifié que l’appareil était en bon état à 16 h la veille de l’incendie. Il a répété l’exercice le lendemain matin.
La juge Hardy-Lemieux estime qu’il faisait probablement trop sombre pour qu’un tel examen soit concluant, ce qui a été contredit par de nouveaux éléments de preuve déposés en appel. « La preuve correctement appréciée exclut donc tout défaut d’entretien de la part de GFC », indique la Cour d’appel.
La garantie
Le fabricant Volvo plaide que le sous-traitant a remplacé la pelle de remblai placé au bout du mât de l’excavatrice par une tête multifonctionnelle, ce qui représenterait une modification substantielle de son produit faite sans son autorisation. La modification aurait pour effet de l’exclure du régime de la garantie légale.
En première instance, le tribunal n’a même pas retenu cet argument pour rejeter le recours. La juge n’a fait aucune distinction entre les trois défenderesses quant à l’application de la garantie légale. La Cour d’appel ne juge pas plus convaincant cet argument de Volvo.
La preuve ne révèle aucun usage prohibé par l’exploitant forestier qui est contraire au manuel de l’opérateur. Le détaillant Strongco était bien averti de l’usage projeté de cette excavatrice et a supervisé l’assemblage de l’équipement de récolte.
De plus, l’intégration de cet accessoire à l’excavatrice « ne prive pas les appelantes des présomptions applicables à leur situation puisque la défectuosité provient seulement du bien manufacturé par Volvo et non de l’accessoire ».
Par ailleurs dans son mémoire soumis en appel, Strongco évoque l’argument selon lequel la cause de la détérioration était « propre et inhérente » à l’équipement lui-même, ce qui n’aurait pas été démontré par les appelantes. En agissant ainsi, le détaillant tente de déplacer son fardeau de preuve sur les épaules des demanderesses, sans égard aux prescriptions de l’article 1729, souligne la Cour d’appel en rejetant cette idée. En conséquence, l’appel principal d’AIG et de GFC est bien fondé.
Appel incident
La défenderesse Mécano Mobile R.L. a aussi déposé un appel incident contre Strongco dans l’éventualité où le jugement entrepris serait infirmé.
Cet appel est aussi accueilli par la Cour d’appel, car la perte de l’équipement ne découle pas de l’installation de la tête d’abattage.
Les trois défenderesses et parties intimées par l’appel sont condamnées solidairement à payer la somme de 240 275 $, avec les intérêts au taux légal plus l’indemnité additionnelle à compter du 15 février 2018. Elles doivent aussi payer les frais de justice, y compris les frais d’expertise, tant en première instance qu’en appel.
Selon le calculateur du Barreau du Québec utilisé par le Portail de l’assurance, la dette étant échue depuis plus de 2 500 jours, les intérêts et l’indemnité additionnelle font grimper la facture à plus de 358 000 $.
Les défenderesses sont également condamnées solidairement à payer la somme de 15 000 $ réclamée par GFC.
La Cour d’appel accueille l’acte d’intervention forcée pour appel en garantie de Mécano Mobile R.L. contre Strongco et condamne cette dernière à indemniser la première de toute condamnation prononcée contre Mécano Mobile R.L.