L’affaire Trustar Underwriting est devant les tribunaux civils en Ontario depuis la fin de l’année 2024. La firme Doane Grant Thornton a été mandatée par la Cour supérieure de l’Ontario pour s’occuper des réclamations qui pourraient découler de la fraude présumée de l’ex-PDG Daniel Moses.

La firme comptable tente aussi de retrouver les clients reliés à des polices fictives et qui pensent à bon droit que leurs biens sont couverts par un assureur. Le personnel de l’agent général (MGA), qui a été mis sous séquestre, l’appuie dans ses démarches. Le travail se poursuivra afin de récupérer les fonds, et aussi de jumeler tous les clients non couverts avec un assureur. 

Le 22 novembre 2024, Trustar Underwriting a déposé une poursuite contre son ancien patron pour récupérer les sommes qui auraient été détournées par M. Moses. Deux autres personnes non identifiées, de même que deux sociétés, sont poursuivies de manière solidaire. Les sommes reliées à la fraude présumée atteindraient 6 millions de dollars (M$). 

Comme souscripteur, ce dernier aurait émis des polices d’assurance qui n’étaient pas couvertes par un assureur. Parallèlement, il aurait encaissé les primes versées par les clients pour les déposer dans son compte personnel, au lieu de les placer en fiducie ou de les remettre à l’assureur. 

Une autre variation de la même fraude aurait été utilisée pour renouveler des polices existantes. Le souscripteur produisait un faux certificat de renouvellement, alors que la police n’était plus active, tout en exécutant de fausses écritures laissant croire que les primes étaient déposées dans le compte en fiducie du grossiste.

Pour faciliter ce schéma frauduleux, plusieurs virements bancaires auraient été faits à Merlin Underwriting, l’ancienne appellation de l’entreprise. Daniel Moses aurait multiplié les virements entre trois institutions bancaires pour masquer son stratagème. 

Selon la plainte déposée par Trustar, le comptable Matthew Cassar, qui travaillait pour la firme mandatée par la compagnie jusqu’en janvier 2020, aurait contribué à aider Moses à masquer ces mouvements de fonds au moins jusqu’à l’été 2024. 

Ordonnance et sensibilisation 

Une ordonnance de type Mareva a été rendue par le juge Peter Osborne le 10 décembre 2024 pour geler tous les comptes bancaires et les avoirs de Daniel Moses. Il a levé une partie de l’ordonnance le 26 février dernier pour permettre à Moses de récupérer les sommes du régime de retraite de son ex-employeur afin de payer les procureurs qui le défendent. 

Dès le 23 décembre 2024, Registered Insurance Brokers of Ontario (RIBO) prévenait tous les courtiers de vérifier que les polices émises par Trustar pour leurs clients étaient bel et bien rattachées à un assureur.

L’Association des courtiers d’assurance de l’Ontario (IBAO) a publié une liste de conseils juridiques à suivre par ses membres qui ont placé des risques par l’entremise de ce grossiste. Les courtiers devaient retracer tous les contrats souscrits par l’entremise de Daniel Moses afin de vérifier la validité des polices émises et de déterminer quel assureur couvre la garantie souscrite. 

IBAO recommandait de vérifier auprès de chaque assureur si des réclamations avaient été faites pour chacune des polices souscrites. Si aucun assureur ne couvre le risque pour lequel l’assuré a payé la prime prévue, le cabinet doit communiquer avec son conseiller juridique et son assureur en responsabilité professionnelle. 

Les contrats qui ne sont pas couverts par un assureur doivent être replacés dès que possible auprès d’un autre assureur afin d’éviter tout problème pour l’assuré, même s’il est probable que la prime risque de ne pas être la même. 

Au Québec, le Regroupement des cabinets de courtage du Québec (RCCAQ) a fait de même dans un message envoyé aux courtiers le 13 janvier 2025.

Le directeur de RCCAQ Assurance, Richard Giroux, indique que l’assureur du programme d’assurance responsabilité professionnelle, Swiss Re, « nous a aussi demandé de communiquer avec nos plus grands cabinets qui auraient probablement été plus à risque de faire affaire avec eux, et à ce jour, nous avons reçu uniquement des réponses négatives ». 

M. Giroux ajoute que ce sont des cabinets des provinces de l’Ontario et de la Colombie-Britannique qui ont été plus touchés par les agissements de M. Moses. « Nos associations sœurs dans ces provinces travaillent étroitement avec l’association canadienne (ACAC-IBAC) pour trouver des solutions. » 

L’assureur Swiss Re, qui couvre le programme de responsabilité civile professionnelle (erreurs et omissions) des courtiers membres du RCCAQ, a demandé au Regroupement de vérifier si les plus grands cabinets faisaient affaire avec le grossiste Trustar, et aucun d’eux n’a levé la main. 

Le gestionnaire Bruce Bando, de Doane Grant Thornton, a mis à jour le 5 mars dernier la liste des cabinets juridiques, des avocats et des firmes qu’ils représentent. Les grandes firmes de courtage Aon Reed Stenhouse, NFP Canada, Navacord, BFL, Hub International, Arthur J. Gallagher, Marsh Canada et plusieurs autres courtiers font partie des entreprises impliquées dans la poursuite de Trustar contre Daniel Moses. 

Un cas unique 

Selon Gabriel Morneau, vice-président de CHES Solutions spécialisées, l’impact de cette affaire sur la réputation des agents généraux « est nul au Québec. C’est un MGA de l’Ontario ».

Au Québec, « les grossistes sont inscrits auprès de l’Autorité des marchés financiers. On doit renouveler notre licence chaque année », ajoute-t-il.

Dans l’affaire Trustar, le souscripteur qui serait au cœur du scandale est aussi le PDG de l’entreprise, et il aurait eu accès aux comptes bancaires, tout en émettant les fausses polices. « Même avec des audits de la part des assureurs, ils n n’auraient pu découvrir cela », souligne M. Morneau.

« Nous ne sommes pas à l’abri de tout ça, mais je n’ai aucun écho de la part d’un cabinet qui serait inquiet de savoir si ce genre de chose peut arriver chez nous », mentionne M. Morneau 

Il rappelle par ailleurs que le président de CHES, Gary Hurst, est l’un de ceux qui ont contribué à fonder l’Association canadienne des agents généraux (CAMGA) et qui ont participé à la rédaction du cadre auquel tous les membres doivent souscrire en matière de gouvernance.

Affaire sérieuse 

De son côté, Marie-Philippe Lambert, vice-présidente de Revau, reconnaît la gravité de l’affaire. « Cela nous force à regarder tout ce qu’on fait pour justement pallier ce genre d’activités. C’est quand même assez grave, on parle de fraude dans cette affaire », dit-elle. 

« On a un responsable de la cybersécurité, on a des vérificateurs externes pour la comptabilité et les finances, tout est inspecté. La personne qui souscrit le risque ne s’occupe pas de la facturation ou de percevoir les comptes. Il y a plusieurs paliers d’autorisation dans notre organisation », indique Mme Lambert.

Chez Revau, le contrat liant l’assuré au souscripteur ne peut prendre effet si la facture n’a pas été émise, et ce n’est pas la même personne qui s’en occupe.

Il y a une équipe sur la conformité et la gouvernance qui se rapporte directement au président, Jean-François Raymond, ajoute-t-elle. « Il faut parler de ce qu’on fait, c’est important, et rassurer les courtiers. C’est vraiment moche, cette histoire », dit-elle. 

Des rappels en conformité 

Au sein du Groupe South Western (SWG), Fanny Coulombe constate que ce genre de détournement des primes, « on voit cela d’habitude du côté des courtiers, qui empochent l’argent au lieu de la transmettre à l’assureur. Trustar, c’est une situation unique », affirme la chef d’équipe en souscription au Québec de SWG. 

Lors d’une assemblée tenue dans la semaine précédant notre entretien, SWG a rappelé à ses employés les différentes règles de conformité et la nécessité que les souscripteurs détiennent la certification et la connaissance requises pour écrire les polices dans les secteurs où ils sont autorisés à le faire. « Il faut éviter de rendre les courtiers craintifs de faire affaire avec les grossistes », insiste-t-elle en précisant n’avoir reçu aucun appel de courtier concernant l’affaire Trustar. 

De son côté, son collègue Georges Badro confirme que dans les provinces hors le Québec, ses collègues souscripteurs n’entendent pas parler de ce sujet. « On me rapporte le cas d’un seul courtier qui a posé une question sur le sujet. »

« SWG est une entreprise en affaires depuis longtemps. On a une bonne réputation. Même moi, j’ai gardé mon permis actif auprès de l’Autorité des marchés financiers, même si je ne suis plus dans les opérations », explique le directeur du développement des affaires de SWG. 

Un travail reconnu 

Patrick Bouchard, président de Solex, le courtier est responsable de vérifier « que le souscripteur avec lequel il transige a le permis, le droit, le pouvoir et l’entente de délégation pour écrire la police. Chez nous, les assureurs sont tous identifiés et ils ont tous des représentants légaux au Québec qui peuvent fournir une attestation si nécessaire ».

Des vérificateurs externes vérifient les contrats et font le lien entre la police souscrite, la facture émise et le paiement encaissé. L’assureur principal derrière le grossiste fait la même chose de son côté, et ce, plusieurs fois par année. 

« J’ai une délégation d’autorité de souscription, explique M. Bouchard. Je voudrais écrire une police pour couvrir le Centre Vidéotron à moi tout seul, je ne pourrais pas. Je ne peux pas faire ça, ça sort du cadre de l’autorité que l’on m’accorde. » 

Au Québec, les grossistes ont un permis de l’Autorité. « Même si on n’a pas de contact direct avec les assurés, nous agissons au nom des assureurs qui nous donnent des capacités », dit-il. 

Patrick Bouchard reconnaît que ce genre d’affaire peut inciter les régulateurs à surveiller davantage l’industrie des MGA. « Et c’est correct, parce que justement, le travail qu’on fait mérite d’être reconnu comme étant professionnel et correct. » 

« Comme souscripteur, on fait le même travail que fait l’employé de l’assureur. Nos assureurs exigent de nous un niveau très élevé de professionnalisme et de rigueur », ajoute-t-il. 

Malgré plusieurs tentatives, le Portail de l’assurance n’a pas été en mesure de joindre Steve Masnyk, directeur général de la CAMGA, pour obtenir ses commentaires concernant l’impact de l’affaire Trustar sur la réputation des grossistes. 

Cet article est un Complément au magazine de l'édition de mars 2025 du Journal de l'assurance.