L’inondation survenue en 2017 sur le chantier de construction de l’usine d’eau potable Atwater à Montréal a déjà entraîné le paiement d’une réclamation de plus de 5 millions de dollars par Zurich, Compagnie d’assurances SA. L’entrepreneur général vient d’obtenir une indemnité supplémentaire du tribunal pour des frais additionnels que l’assureur refusait de rembourser. 

Le jugement, daté du 17 juin, est signé par la juge Carol Cohen, du district de Montréal de la Cour supérieure du Québec. Le litige concerne l’interprétation d’une police d’assurance chantier. Le sinistre a entraîné un arrêt partiel des travaux pendant quatre mois. 

La société CRT Construction est un entrepreneur général en construction et génie civil fondé en 1966, spécialisée dans la construction de ponts et de viaducs. La troisième génération de la famille fondatrice dirige l’entreprise et emploie de 150 à 400 personnes selon les contrats en vigueur. 

Le chantier 

La Ville de Montréal a octroyé un contrat de 71 millions de dollars (M$) à CRT en mai 2017. Les travaux, entamés deux semaines après la signature, devaient durer 16 mois. Ils comprenaient la construction d’une nouvelle prise d’eau, d’une canalisation sous la forme d’un tunnel de 88 mètres de long avec un diamètre de six mètres vers l’usine Atwater, d’un deuxième puits, etc. 

Au procès, le vice-président finances* de CRT Construction témoigne de l’exigence de la municipalité concernant l’assurance chantier (« builders risk policy »). Les devis ont été envoyés à un courtier*. Au procès, ce dernier a expliqué comment il avait obtenu la couverture requise auprès du souscripteur chez Zurich. La police a été émise le 22 mai 2017 et les travaux ont commencé peu de temps après. 

La police était en vigueur au moment du sinistre survenu le 12 novembre 2017. Une brèche causée par l’érosion à l’endroit où se trouve la prise d’eau actuelle a causé une infiltration d’eau importante et jusqu’à cinq mètres d’eau ont inondé le canal de raccordement. 

Jusqu’au 28 mars 2018, le chantier a été arrêté à 50 % pendant que des travaux correctifs étaient réalisés. L’assurée a dénoncé le sinistre à Zurich, qui a payé la somme de 5 066 425 $.

Pendant la période de réparation, l’assureur a embauché un expert en sinistre* et un juricomptable. Ce dernier a produit un rapport sur la nature et le quantum de la réclamation de CRT dans la poursuite. 

Au début de la procédure entamée en 2020, l’entrepreneur réclamait une somme supplémentaire de près de 1,6 M$. Lors de la troisième journée du procès, en avril 2024, la réclamation a été réduite à 792 638 $. C’est la somme que le tribunal a accordé à la demanderesse. 

Travaux en continu 

La méthode de travail retenue a été expliquée par le témoin de l’entrepreneur. Le tunnel était creusé par les deux extrémités. Les équipes de forage et de dynamitage et les équipes de nettoyage changeaient de place aux quatre heures, ce qui permettait d’effectuer le travail en continu. Cela avait un effet bénéfique sur les coûts de réalisation et la durée du chantier requis par la Ville. 

Après le sinistre, les travaux sur le côté aval du tunnel étaient suspendus et les équipes ne pouvaient plus travailler en alternance aux deux extrémités. Pendant les quatre heures de dynamitage, l’équipe de nettoyage devait patienter, et la même chose à l’inverse. Les ouvriers spécialisés étaient payés à plein temps, mais ne pouvaient travailler que la moitié du temps. 

« On ne pouvait pas les renvoyer complètement ou payer la moitié qu’ils recevaient avant le sinistre », explique le témoin de l’entrepreneur, ajoutant que ces employés auraient déserté le chantier autrement. 

Dans son rapport déposé en preuve, le juricomptable de l’assureur traite cela comme « les inefficacités du travail ». L’assureur détermine que la police ne couvre pas cet élément. 

Les pertes 

CRT a subi plusieurs types de pertes à la suite du sinistre, liées à des frais de nettoyage, de sécurisation et de réparation du chantier pendant la période de réparation. Il a fallu sécuriser le canal, boucher la brèche, injecter du béton pour solidifier l’ouvrage, etc. Zurich a remboursé l’entreprise pour ces frais. 

D’autres frais découlant du sinistre ont été remboursés partiellement ou refusés par l’assureur et ont fait l’objet de la poursuite. Certains travaux qui auraient dû être faits en hiver et au printemps ont été faits plus tard, alors qu’il faisait plus chaud.

Par exemple, les bétonnières ne pouvaient être chargées à leur pleine capacité durant la période de dégel. Des dépenses dépassant 128 000 $ ont ainsi été réclamées pour des frais additionnels qui ont eu lieu pendant et après la période de réparation. 

Un avenant 

Les parties avaient signé une déclaration commune, en janvier 2022, où les parties déposaient leurs pièces et annonçaient leurs témoins. À la première journée du procès, l’assureur a produit une pièce additionnelle, un avenant qui n’a pas été souscrit par CRT. Selon Zurich, cette garantie aurait fait en sorte que les frais supplémentaires réclamés dans ce litige auraient été couverts. 

Après le témoignage du vice-président aux finances de l’entrepreneur, le 14 mars dernier, Zurich a commencé sa preuve avec le témoignage d’une représentante. Il est rapidement apparu que cette dame ne connaissait pas le dossier, n’était pas un témoin oculaire du chantier et n’avait jamais rencontré la demanderesse ou le courtier d’assurance. 

À la reprise le lendemain, le tribunal a appris le nom du souscripteur de Zurich qui avait négocié la police avec le courtier. Le représentant de l’assureur n’était pas disponible pour témoigner, malgré le fait que la date du procès était connue depuis longtemps. La déclaration commune des parties prévoyait le témoignage d’un représentant qui, présumément, avait été impliqué dans la signature de la police. 

Le procès a repris le 17 avril 2024 afin de permettre au représentant de l’assureur de témoigner. Le juricomptable a aussi produit un rapport d’expertise corrigé. Le document a mené à des admissions de la demanderesse, laquelle a réduit sa réclamation au montant détaillé par l’assureur. 

Quelque 34 % de la somme concerne des frais additionnels survenus durant la période de réparation, avant le 28 mars 2018. La majeure partie de la réclamation admise, de 522 256 $, concerne des dépenses supplémentaires suivant cette date. 

Interprétation du contrat 

Le tribunal concentre son analyse sur trois formulaires et avenants ajoutés à la police type, de même que sur l’avenant qui n’a pas été souscrit, intitulé « avenant relatif à la garantie Retard du démarrage des affaires ». 

Selon l’assureur, le formulaire 6308 (« assurance des chantiers - formule étendue ») ne vise que les pertes directes et exclut les dommages occasionnés par les retards. 

Zurich allègue également que le formulaire 6370, portant sur les « frais supplémentaires et/ou frais d’accélération des réparations », ne couvre pas les frais encourus après que les réparations ou le remplacement de biens ont été complétés. 

Dans sa plaidoirie soumise au tribunal concernant l’avenant 6324, une extension de garantie « inondation », l’assureur ne traite pas de la définition du sinistre inscrite dans l’avenant. On y lit que le mot sinistre couvre tous les dommages causés directement ou indirectement par une seule cause.

« Cet avenant n’offre aucune garantie pour les dépenses additionnelles encourues par CRT ailleurs que sur le site des dommages ainsi qu’après que les réparations eurent été complétées le 28 mars 2018 », avance le procureur de l’assureur. 

De son côté, l’avocat de l’entrepreneur estime que la portée très large de l’avenant « inondation » permet d’inclure les items que l’assureur refuse de couvrir. Selon lui, tous ces items sont des conséquences directes ou indirectes de l’inondation. Ainsi, tout dommage découlant de l’inondation du chantier doit être considéré comme un seul et même sinistre, peu importe la garantie applicable. 

Selon CRT, l’avenant non souscrit s’applique seulement si un commerce ne peut ouvrir ses portes à la suite d’un sinistre. Le courtier qui a fait souscrire la police a témoigné à ce sujet et expliqué que le donneur d’ouvrage, dans ce cas-ci, n’allait pas subir une perte de profits en raison des délais du chantier. 

Les motifs 

Selon le tribunal, tous les frais réclamés par CRT, y compris les sommes supplémentaires autant avant qu’après le 28 mars 2018, sont couverts par la police. L’entrepreneur a demandé une couverture complète. Les travaux se faisaient à proximité d’une source d’eau importante et CRT voulait être protégée.

La demanderesse allègue que l’assureur doit prouver que les montants additionnels sont visés par une exclusion. Le tribunal est d’accord et note que l’assureur n’a pas été en mesure de faire cette preuve. 

S’il existe une ambiguïté concernant les attentes raisonnables des parties dans les circonstances, elle doit être interprétée en faveur de l’assurée, ajoute le tribunal. Les témoignages du représentant de l’entreprise et du courtier confirment que CRT voulait la couverture la plus complète. 

L’inondation a causé le sinistre et ce lien a déjà été reconnu par Zurich en vertu de la police. Les dommages directs et indirects sont donc couverts. La distinction soumise par l’assureur ne trouve aucun appui dans la police, les avenants et les faits non contredits mis en preuve, conclut la Cour supérieure.

Le total 

Les frais judiciaires sont payables par Zurich, et on ajoute au montant de la réclamation les intérêts au taux légal et l’indemnité additionnelle à compter du 11 février 2020. 

Selon le calculateur du Barreau du Québec, à la date du jugement, la somme payable à l’assurée atteint 1 034 880 $. 

* Le représentant de l’entrepreneur est à la retraite depuis juillet 2023, lit-on dans le jugement de la Cour supérieure. Quant au courtier et à l’expert en sinistre impliqués dans cette affaire, ils n’ont plus de permis valide auprès de l’Autorité des marchés financiers, selon les constatations du Portail de l’assurance.