Les dommages causés à un immeuble commercial de Beauceville ont bel et bien été causés par l’inondation du 16 avril 2019. En conséquence, le tribunal donne raison à l’assureur dont la police excluait spécifiquement le sinistre découlant d’une inondation. 

L’instruction du tribunal a eu lieu sur deux jours en avril dernier et le jugement de la Cour supérieure a été rendu le 5 juin 2024 par le juge Pierre Ouellet

L’immeuble sinistré est situé sur le boulevard Renault (route 173) à Beauceville. Malgré les efforts des propriétaires et de l’exploitant du restaurant au rez-de-chaussée pour se préparer au débordement, le bâtiment a été gravement endommagé.

Une portion du mur de fondation de la façade nord s’est effondrée vers l’intérieur. Des travaux importants de réparation ont été requis pour remettre l’immeuble en état, lequel a été inutilisable durant 11 mois. 

Les demanderesses dans cette affaire sont trois entreprises Gestion Michel Bernard, Les Placements Éric Bernard, qui détiennent l’immeuble, et Restaurant Normandie, qui exploite un restaurant et un bar. Un commerce dans le secteur de la coiffure était aussi présent dans le même bâtiment commercial, mais il n’est pas inclus dans la réclamation. 

Le bâtiment était couvert par des polices d’assurance tous risques au bénéfice des propriétaires et du locataire émises par Promutuel Chaudière-Appalaches, la défenderesse dans ce litige.

Chaque contrat contient une clause d’exclusion pour les dommages au cas d’un sinistre provenant d’une inondation. De plus, cette clause comporte une exception si la perte est causée par un incendie, une explosion, la fumée ou une fuite des installations de protection contre les incendies. 

Le contexte 

Le débordement de la rivière Chaudière survenu au printemps 2019 était le plus important depuis 1991 à Beauceville. La veille de l’inondation, les pompes fonctionnent au sous-sol. L’exploitant du restaurant demande à la gérante de rester sur les lieux et de surveiller l’évolution du niveau de la rivière. 

Tôt le matin, elle constate que la rivière déborde dans le parc Mathieu et que l’eau monte sur le boulevard Renault. Des mesures de protection sont rapidement prises par les propriétaires pour protéger les ouvertures du bâtiment. 

Tout à coup, les trois personnes présentes à l’intérieur entendent deux bruits stridents et un déplacement d’air important. Les témoins constatent l’effondrement partiel du mur de fondation de la façade nord. Dans le même secteur, on constate une rupture de la conduite de gaz naturel. 

L’assureur délègue un expert en sinistre et deux ingénieurs pour inspecter l’immeuble et, par la suite, nie la couverture en alléguant l’application de l’exclusion en cas de dommages causés par une inondation. 

Les demanderesses, qui réclament plus de 3 millions de dollars (M$), ont déposé leur recours en décembre 2020. Le restaurant réclame notamment près de 600 000 $ pour les pertes de revenus et les dommages à ses biens. 

Les témoins sur place 

Dans son témoignage, l’exploitant du restaurant rapporte que la cuisinière lui dit avoir senti une odeur de gaz. Il la sent lui-même lorsqu’il arrive dehors après l’appel d’air et les deux explosions qui ont fait bouger l’immeuble. Dans les jours suivants, il constate les dégâts considérables dans ses locaux. 

La gérante raconte avoir été réveillée par le système d’alerte de la municipalité avisant la population d’un possible débordement de la rivière. En compagnie de son patron, elle tente de débrancher et déplacer les machines de vidéopoker de Loto-Québec. L’explosion la met en état de choc. 

Le sous-sol est alors déjà inondé, l’eau monte jusqu’à la quatrième marche de l’escalier, soit environ un mètre. Les autres témoins observent aussi la rupture de la conduite d’alimentation de gaz naturel. La hausse de la nappe phréatique causée par le débordement de la rivière fera monter l’eau au sous-sol à près de deux mètres. 

Les experts 

L’assureur accorde un mandat aux Services d’investigation EMS. Le rapport daté du 30 novembre 2021 est cosigné par les ingénieurs Jean-Sébastien Fortin et David Savard. La rupture en oblique du mur de fondation constitue une manifestation typique d’une poussée latérale, indique le premier ingénieur. 

M. Fortin soutient que la théorie la plus plausible de la cause de l’effondrement du mur de fondation relève de la pression hydrostatique et des faiblesses de construction du mur de fondation, qui a été mis en place en 2014 à la suite d’un sinistre. Il suggère des explications pour les bruits importants et les sifflements d’air relatés par les témoins. 

Les demanderesses ont mandaté l’ingénieur en structure Marcel Leblanc. Il se rend sur les lieux à cinq occasions entre le 1er mai et le 9 août 2019. Son rapport est daté du 13 août 2019. Il estime que le mur de fondation est suffisamment attaché pour résister à la pression de l’eau à laquelle il a été exposé le 16 avril 2019. Selon lui, la situation hydraulique à l’extérieur ne permettait pas une telle rupture du mur de fondation. 

Cet expert émet une explication sur l’impact possible de la fuite de gaz sur l’effondrement du mur, tout en indiquant ne pas avoir d’expertise en matière d’explosion.

De son côté, l’ingénieur Savard, de la firme EMS, est lui expert en incendie, explosion et accident électrique. Selon lui, l’occurrence d’une explosion est « très peu probable » et « très peu plausible » sur le plan scientifique. Il est d’opinion que le gaz n’a pu migrer vers le sous-sol en quantité suffisante pour provoquer une explosion. La conduite de gaz au sous-sol est d’ailleurs intacte. 

La décision 

Une fois la preuve établie concernant les dommages et les pertes subies par les demanderesses, le tribunal rappelle qu’il revient à l’assureur de prouver que la protection est écartée par une clause d’exclusion. 

Le fardeau imposé à Promutuel n’est pas celui allégué par les demanderesses, qui parlent d’une preuve « claire et sans équivoque », comme c’était le cas pour la demande de type Wellington à laquelle les procureurs font référence. Ce fardeau de preuve est impropre dans le cadre d’un procès au fond, précise le juge Ouellet.

Si l’assureur prouve l’application de l’exclusion par simple prépondérance de preuve, c’est à l’assuré de démontrer l’existence d’une exception à l’exclusion. 

Il est admis par tous qu’au matin du 16 avril le sous-sol de l’immeuble contient environ six pieds (1m80) d’eau, laquelle trouve son origine dans l’inondation. Même en présence d’une explosion, une vague n’aurait jamais pu se former pour mener à la chute de pression nécessaire pour faire chuter le mur en l’absence d’une inondation.

En conséquence, le tribunal conclut que l’inondation a contribué, même de façon indirecte dans l’hypothèse de l’explosion, aux dommages et l’exclusion de la police s’applique.

L’exception doit alors être prouvée par les sociétés assurées. Les demanderesses devaient démontrer par prépondérance de preuve que la vague provoquée par une explosion du système d’alimentation au gaz du bâtiment a provoqué l’effondrement du mur de fondation.

Les témoignages des experts confirment au tribunal que cette hypothèse ne tient pas debout. « Malheureusement, pour ces braves entrepreneurs beaucerons qui ont subi des pertes considérables, le tribunal se doit de rejeter leur demande introductive d’instance. » 

Advenant une poursuite de l’affaire devant la Cour d’appel, les parties ont admis la répartition du quantum des réclamations, ce qui a permis de réduire de deux jours la durée prévue du procès. Ce volet n’aura pas à être mené en appel.