Retracer le chemin parcouru par les sols contaminés excavés sera obligatoire au Québec sous peu pour but empêcher le dépôt de sols contaminés dans des sites clandestins. Le tout aura un impact sur les compagnies d’assurance et sur les fournisseurs de services avec qui elles font affaire.

« Il arrivait que les documents utilisés pour la traçabilité des sols étaient falsifiés. Des faux documents et des faux manifestes, on en voyait. Le tout était utilisé pour faire des déversements illégaux de sols contaminés. »

C’est ce que dit Ghislain Vallée, directeur, développement des affaires, pour Traces Québec en entrevue avec le Portail de l’assurance. Ce logiciel, qui est le résultat d’un partenariat entre Réseau Environnement et le Groupe OPTEL, est un système de traçabilité électronique.

Traces Québec combine ainsi ses connaissances en environnement et en gestion des sols contaminés avec le système GéoTrace du Groupe OPTEL. « Ce système de traçabilité polyvalent et efficace a été conçu pour retracer les matières premières tout au long de la chaine d’approvisionnement », peut-on lire sur le site de Traces Québec.

L’entreprise avait été l’objet de « deux projets pilotes de gestion de sols contaminés » avec la Ville de Montréal en date d’avril 2019.

« Conjuguée à un resserrement de la réglementation, la traçabilité est apparue comme la solution optimale pour agir efficacement face aux nombreux déversements illégaux de sols contaminés observés au cours des dernières années. Il s’agit d’une excellente façon de fournir aux donneurs d’ouvrage, comme les municipalités et les promoteurs immobiliers, une garantie de leur exemplarité dans la gestion de leurs sols contaminés excavés », indiquait Benoit Charette, ministre de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques, en avril 2019.

Les assureurs et les données

M. Vallée affirme qu’un système comme Traces Québec permettra de suivre en direct les chargements de sols contaminés et d’en assurer le transport vers des sites autorisés. « Lorsqu’on est sur le site émetteur, on va créer une transaction électronique, ou un manifeste, qui est un document de transaction. Le seul qui peut fermer la transaction, c’est un site récepteur. Celui-ci est autorisé dans notre application et a tous les permis pour recevoir des sols contaminés », explique M. Vallée.

Ce dernier ajoute que les données générées par le système Traces Québec sont conservées, cryptées et sécurisées. Mais est-ce que les assureurs auront accès à ces données ? D’après lui, oui !

« Si une compagnie doit assurer un bâtiment qui va être construit à un endroit quelconque, elle ne voudra pas, deux mois plus tard, que le promoteur soit le sujet d’une poursuite de plusieurs millions de dollars de la part du ministère en raison d’un déversement illégal de sols contaminés », explique-t-il.

Alors, les assureurs pourront recevoir un fichier PDF qui inclura toutes les données nécessaires, explique M. Vallée. Ils peuvent ainsi consulter les données confirmant l’endroit de départ des sols contaminés, savoir qui sont les partis impliqués et voir où les sols ont été envoyés et à quelle heure ils sont arrivés. « Le tout se fait à la demande du client. Le client ajoute l’adresse courriel de l’assureur qui, tous les jours, recevra des détails sur les sols qui ont été déplacés », ajoute-t-il.

« Cela peut diminuer les risques de répercussions légales. Ça va être rassurant, pour nous, des consultants en environnement, et pour les assureurs, de savoir où sont allés les camions, où sont allés les chargements », soutient Éric Pinard, directeur, assurance qualité, et expert technique chez Laforge Environnement.

Côtés négatifs des nouvelles règles ?

Toutefois, selon M. Pinard, la nouvelle règlementation augmentera les couts de gestion des consultants en environnement, notamment en raison de la tarification à la tonne, dont les détails demeurent incertains encore aujourd’hui.

Québec explique d’ailleurs dans son projet de règlement que le tout permettra de compenser pour les dépenses du gouvernement servant à assurer le respect de la nouvelle règlementation.

De plus, du personnel formé devra s’assurer de la conformité des déplacements de sols, ajoute M. Pinard. « Il faut que le propriétaire des sols et celui qui s’occupe du transport aient un dossier d’ouvert avec le système. Voyez-vous, s’assurer que les personnes sont inscrites et aviser le ministère, ce sont des étapes supplémentaires, donc du temps et du délai. Cela demandera plus de ressources humaines. Le tout va avoir un impact. »

Des problèmes techniques avec application ou un téléphone faisant usage d’un système comme Traces Québec peuvent également causer des problèmes pour les consultants et pour les travailleurs sur les chantiers. « C’est arrivé à certains consultants d’arriver et que leur téléphone n’ait plus de batterie ou qu’il ne fonctionne tout simplement pas », affirme Vilma Goldstein, directrice de la firme d’ingénierie Geninovation. La firme avait testé Traces Québec pour les chantiers dont elle était responsable.

Mme Goldstein ajoute que la manière de travailler sur les chantiers va avoir à changer à la suite de l’arrivée de cette règlementation. « Quand un seul surveillant est payé et que l’entrepreneur fait en sorte qu’il y ait trois camions et trois pelles qui opèrent en même temps, on n’est pas capable de suivre la même cadence. Parfois, il peut y avoir des conflits à ce niveau-là. Mais au final, ça va s’équilibrer. On va trouver une manière d’ajuster autant le logiciel que la manière de travailler à ces changements », dit-elle.

L’ingénieur et président de Geninovation, Jean-François Séguin, suit la lancée d’Éric Pinard en affirmant que la « règlementation actuelle en environnement est assez lourde », et que l’arrivée de la traçabilité obligatoire est « une mesure qui est importante et qui ne vient pas nécessairement régler le problème ».