Le client d’une compagnie d’assurance qui était poursuivi par un autre assureur à la suite d’un incendie dans un immeuble a obtenu en Cour supérieure une ordonnance de type Wellington afin de forcer son propre assureur à le défendre dans cette affaire.
L’assuré de la Compagnie d’assurance Traders Générale avait réparé la batterie du vélo électrique d’un cycliste. Mais comme elle ne fonctionnait pas après l’avoir reconditionnée, le réparateur, qui dit avoir fait une trentaine de réfections du genre pour s’en tirer de petits revenus personnels, l’avait remplacée par une autre. À son retour à la maison, le cycliste la place sur le chargeur de sa batterie. Deux jours plus tard, elle explose et cause un incendie qui provoque des dommages à l’immeuble où il réside.
Son assureur, La Personnelle, l’indemnise, mais poursuit le réparateur. Ce dernier se tourne vers son assureur, mais Traders Générale refuse de le défendre au motif que sa réclamation n’est pas couverte par sa police d’assurance et que les dommages résultent de ses activités professionnelles, lesquelles sont spécifiquement exclues de sa couverture.
Requête de type Wellington
Devant la réaction de son assureur, le réparateur s’adresse à la Cour supérieure et demande une ordonnance de type Wellington à l’endroit de Traders afin de le forcer à le défendre du recours intenté contre lui par La Personnelle. Dans un jugement favorable rendu le 7 avril dernier, le juge Martin F. Sheehan rappelle les principes juridiques applicables à une requête de type Wellington.
« Les contrats d’assurance en responsabilité civile, écrit-il, confèrent généralement à l’assuré deux avantages importants : d’une part, l’assureur s’engage à indemniser l’assuré pour les dommages auxquels celui-ci peut être condamné à la suite d’un recours en justice. D’autre part, l’assureur doit défendre l’assuré contre la réclamation elle-même si celle-ci peut potentiellement donner lieu à une condamnation couverte par la police d’assurance ».
Au Québec, rappelle le juge Sheehan, cette deuxième obligation est d’ordre public et l’assureur ne peut, sauf exception, y déroger. L’obligation de défendre est plus large que l’obligation d’indemniser. Bien que reliées, ces deux obligations sont différentes et s’évaluent à des moments différents dans le processus de la réclamation. La première est déclenchée par la réclamation elle-même et s’apprécie normalement avant le dépôt de la preuve. La deuxième s’évalue après le jugement ou le règlement, donc souvent après que la preuve a été déposée et analysée. Il y aura obligation d’indemniser seulement si ces allégations sont prouvées à l’audience. Mais entre-temps, il ne revient pas à l’assuré d’enclencher l’obligation de se défendre.
Ce qu’a déterminé la Cour suprême
La Cour suprême du Canada a déjà déterminé dans le passé qu’on ne peut plus laisser aux avocats du demandeur le soin de décider du sort de la couverture d’assurance. Le plus haut tribunal du pays avait même raffiné la portée de la règle. Pour confirmer l’étendue de l’obligation de défendre, le tribunal doit « aller au-delà de la terminologie choisie » par les avocats et tenir compte de « la substance » et de la « nature véritable » des allégations de la demande en leur donnant la portée la plus large possible. Il ne saurait être question de faire « un procès à l’intérieur d’un procès ».
Le juge Sheehan le répète dans son jugement : pour déclencher l’obligation de défendre, il n’est pas nécessaire d’établir que l’assureur aura l’obligation d’indemniser. « L’obligation de défendre, dit la Cour, ne dépend ni du fait que l’assuré soit réellement responsable ni du fait que l’assureur soit réellement tenu de l’indemniser ». La seule possibilité qu’une réclamation relevant de la police puisse être accueillie suffit.
Pas de conclusion automatique pour l’indemnisation
Puisque la défense de l’assuré est une obligation de faire et qu’elle n’a de sens que si elle est exécutée au moment opportun, dit la Cour supérieure, elle peut être exécutoire durant le procès sans que nécessairement un jugement conclu au final que la garantie d’indemnisation sera applicable. La Cour d’appel l’a déjà déterminé, il est possible que l’assureur soit forcé de défendre son client alors que, par la suite, la preuve sur le fond établisse que la responsabilité de l’assuré découle d’un événement exclu par la police d’assurance, ce qui libérerait alors l’assureur de son obligation d’indemnisation.
Traders Générale devra défendre son client
Dans cette affaire, détermine la Cour supérieure, il n’appartient pas au Tribunal à ce stade de statuer sur le fond quant au droit de l’assureur d’invoquer l’exclusion pour activités professionnelles de son client. Il n’apparaît pas clair non plus, écrit le juge Sheehan, que l’exclusion invoquée par l’assureur s’applique. Après avoir entendu une preuve complète, il demeure possible qu’un tribunal puisse conclure que la réclamation soit couverte par la police.
Entre-temps, Traders n’aura pas le choix et devra défendre son assuré contre La Personnelle.