L’expert en sinistre qui enquête sur une réclamation d’assurance apparemment frauduleuse cherche à débusquer le mensonge. Mais contrairement à ce que l’on montre dans plusieurs séries télévisées ou au cinéma, il n’existe pas de méthode universelle de détection des gestes qui révèlent l’intention malhonnête d’une personne, indique la travailleuse sociale Julie Nadeau.

Regards psychosociaux sur la vérité, la trahison et la survie sociale était le thème de la conférence présentée par Mme Nadeau, qui est fondatrice de JulieUrgence inc., spécialisée en intervention en santé mentale auprès des professionnels de l’intervention d’urgence : personnel paramédical, pompiers, policiers, agent des services correctionnels, urgentistes, etc. Elle était l’une des présentatrices entendues le 12 novembre dernier à Bécancour au Congrès sur la détection des fraudes en assurance. Le Portail de l’assurance a pu y assister grâce à l’invitation des organisateurs de Fraudeexpert.ca.
« Le mensonge est un lubrifiant social », lui disait son mentor au service de police où Julie Nadeau a commencé sa carrière. Mentir est un geste profondément universel. Tout le monde ment, et même quelques fois par jour. La plupart de ces mensonges servent à limiter les malaises ou à cacher des émotions. « La caissière de l’épicerie qui me demande si je vais bien ne veut pas vraiment que je déballe tout comme si j’étais en thérapie », dit-elle.
L’enfant découvre vers l’âge de trois ans que ce qu’il pense, croit et voit n’est pas similaire à ce que pensent, croient et voient les gens de son entourage. Par la suite, vers 6 ou 7 ans, l’enfant développe des stratégies pour ne pas se faire prendre à mentir.
Plus tard, il utilise le mensonge comme moyen d’intégration dans le groupe. Sur les réseaux sociaux, où les gens ne publient que des images de la meilleure version d’eux-mêmes, « le mensonge devient une façon d’exister dans le regard des autres », note Mme Nadeau.
Synergologie : pseudo-science
Dans le contexte de l’assurance, les enquêteurs doivent développer leur perception du mensonge tout en évitant de tomber dans le piège de la vision tunnel. « La personne qui est devant nous peut être tout simplement stressée », précise Mme Nadeau en soulignant que la personne qui l'interroge: policier, enquêteur en incendie ou expert en sinistre, représente une figure d’autorité qui peut susciter la crainte ou la méfiance.
Mme Nadeau souligne alors les travaux de deux spécialistes de la criminologie, le premier étant l’avocat Vincent Denault. Encouragé par le Barreau du Québec, l’avocat a dépensé beaucoup d’argent pour suivre de la formation en synergologie, laquelle enseigne à détecter le mensonge sur la base de l’attitude non verbale et des gestes de l’interlocuteur. Il a fini par se rendre compte que les fondements scientifiques de cette discipline reposent sur des bases fragiles.
« C’est une pseudoscience, poursuit-elle. Quelqu’un qui se gratte le nez n’est pas automatiquement coupable. » Cela ne veut pas dire qu’il n’y a rien de vrai dans ce que la synergologie vise à enseigner, mais les conclusions que ses fervents en tirent relèvent du même niveau de probabilité que de jouer à pile ou face.
Vincent Denault a poursuivi ses recherches jusqu’au doctorat, où ses études le mèneront à analyser des jugements où l’accusé a été déclaré coupable de meurtre sur la base de son attitude non verbale, laquelle incitait le juge à le considérer comme un menteur. « Même en intervention psychosociale, on continue à enseigner que si la personne devant nous a les bras croisés, c’est parce que son attitude est fermée. C’est faux », ajoute Mme Nadeau.
« Le corps ne dit pas la vérité : c’est notre vision qui la fabrique », dit-elle en citant M. Denault, qui enseigne aussi en criminologie. « Quand on cherche dans les signes non verbaux, c’est souvent parce qu’on projette dans le corps de l’autre notre désir d’élucider le mystère », ajoute-t-elle.
Fonctions du mensonge
Tenter de comprendre pourquoi quelqu’un est en train de mentir est faisable par la recherche du coût-bénéfice associé à un mensonge, suggère Mme Nadeau. « Mettre le feu à sa maison peut être vu comme étant moins grave que de remettre les clés à la banque parce qu’on est endetté jusqu’au cou. »
Selon Julie Nadeau, les grandes fonctions du mensonge sont de :
- se protéger des conséquences d’une mauvaise décision, du rejet, de la sanction;
- protéger l’autre en évitant un conflit ou en gérant les relations interpersonnelles;
- gagner du pouvoir, un avantage, de la reconnaissance;
- survivre en société et jouir du pic d’adrénaline qui survient grâce au gain obtenu par un acte malhonnête. « L’appât du gain doublé du plaisir de ne pas s’être fait prendre, c’est irrésistible pour certaines personnes », dit-elle.
Le stress
Le mensonge sert à se protéger d’émotions désagréables, comme la honte et la culpabilité, suggère Julie Nadeau. « Il y a là une fracture de l’ego pour bien des gens, car avouer être en faillite est insupportable. »
Parmi les facteurs de stress, elle explique celui de l’ego menacé. L’atteinte à l’image de soi menace le sentiment de compétence et de réussite de même que la capacité à faire face aux situations.
« Il faut 100 mensonges pour couvrir le premier », rapporte Mme Nadeau, citant un autre supérieur et mentor qu’elle a croisé dans un service de police. Pour couvrir l’acte malhonnête lié à un premier mensonge, le fraudeur doit ensuite être très habile pour couvrir son méfait. En entrevue, l’enquêteur habile trouvera une manière de faire sortir l’interlocuteur de son script en lui posant une question qu’il n’a pas vu venir.
L’utilisation de la technique Reid n’est plus encouragée, car elle génère un stress qui peut mener à une fausse confession pour mettre fin au malaise provoqué. Cette méthode d’interrogatoire a été développée dans les années 1940, puis a été l’objet d’un livre publié en 1962.
Dans son ouvrage sur Les entrevues d’enquête, le psychologue judiciaire Michel St-Yves consacre plusieurs pages à décortiquer les différentes écoles de pensée en matière de techniques d’interrogatoire. La technique Reid vise essentiellement à briser les résistances de la personne mise en cause pour lui faire avouer son crime.
L’Institut Reid avançait que la majorité des personnes qui ont complété la formation disaient avoir augmenté d’au moins 25 % leur taux de confessions. Ils affirmaient tous avoir amélioré leur habileté à détecter le mensonge après avoir suivi la formation. Cette méthode d’interrogatoire est la plus utilisée dans le monde, mais elle est très controversée en raison des risques de fausse confession qui y sont associés, explique Julie Nadeau.
Le modèle PEACE a été développé au début des années 1990 au Royaume-Uni et relève davantage de l’apprentissage par expérience. PEACE est l’acronyme anglais de Peace and Preparation, Engage and Explain, Account, Closure and Evaluation. L’enquêteur met l’accent sur une démarche « d’ouverture d’esprit » visant à obtenir une version fiable de la personne interrogée.
« Dans les dossiers de la CNESST ou au tribunal administratif du travail, on voit souvent que l’histoire racontée par la personne en invalidité ne correspond plus à ce qu’elle disait dans sa déclaration initiale », souligne Mme Nadeau. Lorsque la personne vit un événement traumatique, comme un décès, une blessure grave ou une agression à caractère sexuel, son cerveau peut faire des ellipses, confondre des souvenirs ou cesser d’en enregistrer. Le traumatisme peut même faire ressortir d’autres souvenirs liés à un événement traumatique antérieur, selon elle.
L’enquêteur qui interroge cette personne doit rétablir le cadre sécuritaire et non anxiogène de l’entretien, sinon la victime peut se mettre à raconter n’importe quoi. « Dans ma position d’intervenante, je fais souvent du débriefing dans les 72 heures suivant l’événement. Entre ce que l’on me raconte à ce moment-là et ce dont on me parle un an plus tard, les versions de l’événement peuvent être très différentes », dit-elle.
Un mode de vie
Pour les fraudeurs motivés par l’appât du gain, mentir devient un mode de vie. En plus, dans la hiérarchie des gestes criminels ou répréhensibles, la fraude à l’assurance ne porte pas la même charge émotive. « J’ai payé des primes toute ma vie et je n’ai jamais rien réclamé » est une phrase classique entendue par les experts en sinistre, tout comme : « Les compagnies d’assurance sont milliardaires » et « tout le monde le fait », énumère Julie Nadeau.
On peut détecter le mensonge après un certain temps, quand on arrive à décoder les comportements de la personne interrogée. Si celle-ci semble éprouver un malaise lorsqu’on aborde un sujet, il faut lui donner l’occasion d’en expliquer la raison. Si on ne le fait pas, le risque de la vision en tunnel est imminent, souligne-t-elle.
Les codes sociaux peuvent varier d’un groupe à l’autre. « J’enseigne à une communauté autochtone présentement. Pour ces gens, le fait de regarder quelqu’un dans les yeux équivaut à une provocation. Si je me mets à croire que la personne ne me regarde pas parce qu’elle a quelque chose à me cacher, je peux être dans le champ », souligne-t-elle.
L'aide d'un chien renifleur

Michel Richer | Service détection canine Vesta
Le dernier présentateur du congrès de Fraudexpert.ca a été Michel Richer, ex-chef du service des pompiers à Sherbrooke, enseignant à l’École nationale des pompiersdu Québec et fondateur de Vesta Incencie. Il a été le premier enquêteur en incendie au Québec à utiliser un chien pour détecter la présence d’un accélérant sur les lieux d’un incendie.
M. Richer a été sur les lieux de plus 575 incendies au Québec et en Ontario. Les deux premiers canidés qui l’ont accompagné, Vesta et Hestia, ont été honorés par l’Association des médecins vétérinaires du Québec et font partie du Panthéon québécois des animaux pour la catégorie « professionnel ». Depuis 2022, l’enquêteur est accompagné du chien Roxy, un labrador chocolat.
Comme la présence de son chien sur une scène d’incendie attirait l’attention, la médiatisation de ses interventions « a permis de réduire le nombre d’incendies criminels dans la région de Sherbrooke », raconte M. Richer.
Une seule bête sur 10 passe le test requis pour devenir un spécialiste de la détection. M. Richer explique qu’il doit consacrer de 9 à 12 mois pour former un chien à la détection des accélérants. Ensuite, l’animal peut travailler de 7 à 8 ans et prendre sa retraite à l’âge de 9 ou 10 ans.
Grâce au chien, l’enquêteur peut déterminer plus rapidement l’origine du sinistre, éliminer les fausses pistes et trouver les pièces à faire analyser en laboratoire. « Le chien est un support à l’expertise », dit-il.
Le danger de la contamination croisée est le principal obstacle auquel l’enquêteur et son chien sont confrontés. « Les gens qui sont passés avant vous sur la scène, par exemple l’électricien qui est venu couper le courant, ont pu marcher dans les débris et contaminer les lieux », explique Michel Richer. De plus, certains outils utilisés par les pompiers fonctionnent avec du carburant et le remplissage du réservoir n’est pas toujours fait hors site.