Si la santé hormonale des femmes est négligée, c’est l’ensemble de la société qui en paiera le prix. Pourtant, des solutions existent, et c’est collectivement qu’elles pourront être mises en place.
Un rapport de la firme McKinsey publié en janvier 2024 indique que la plupart des femmes sont susceptibles d’être affectées par des problèmes de santé liés à leur sexe biologique entre l’âge de 15 et 50 ans. « Près de la moitié de ces problèmes les affecteront durant les années où elles seront sur le marché du travail, ce qui aura un impact sur leur capacité à gagner de l’argent et à faire vivre leur famille », peut-on y lire.
Selon un autre rapport, signé par la Fondation canadienne de la ménopause et datant de 2023, les femmes âgées de 40 ans et plus représentent 20 % de la force de travail actuelle, c’est-à-dire cinq des vingt millions de travailleurs au pays. D’ici 2040, le marché du travail canadien comptera 27 % plus de femmes de 45 à 55 ans.
Il est difficile d’estimer le nombre de femmes aux prises avec des troubles hormonaux puisque leur déclaration n’est pas obligatoire et que les ministères de la Santé à travers le Canada ne compilent pas de données sur ces cas.
Selon le Réseau de l’endométriose du Canada, deux millions de personnes seraient atteintes de cette maladie inflammatoire au pays. De plus, une personne sur cinq souffrant d’endométriose a « perdu ou quitté un emploi à un moment de [sa] vie à cause de la maladie ». L’organisme estime à 2,5 milliards de dollars (G$) le poids annuel de cette maladie sur le réseau canadien de la santé.
« Comme on parle plus de ces maladies hormonales, on a l’impression qu’il y a davantage de cas, mais les chiffres ne le prouvent pas, surtout parce qu’il n’existe pas de registre à cet effet », relève la Dre Diane Francoeur, gynécologue et directrice générale de la Société des obstétriciens et gynécologues du Canada.
Un impact au quotidien
Il est néanmoins démontré que les maladies et troubles hormonaux ont un impact sur le quotidien des personnes qui en souffrent. Selon un rapport de la Société financière Manuvie, près de six femmes sur dix (59 %) âgées entre 45 et 55 ans ont témoigné que les symptômes de leur ménopause ont occasionné des « répercussions négatives » sur leur prestation de travail.
« Le plus bel exemple, c’est justement la ménopause : les femmes vont avoir une belle grosse carrière, et arrivées à la ménopause, elles vont décliner des opportunités parce qu’elles ont peur de prendre des hormones, parce qu’elles vont être insomniaques… », note la Dre Hélène Lavoie, endocrinologue de la reproduction au Centre hospitalier universitaire de Montréal.
Les données de la Fondation canadienne de la ménopause indiquent qu’un quart des femmes ont caché ou tenté d’atténuer leurs symptômes ménopausiques au travail ; une répondante sur cinq à l’enquête (22 %) a affirmé croire que ceux-ci pouvaient freiner leur cheminement professionnel.
Le rapport publié en 2023 par la fondation calcule que les symptômes non maîtrisés de la ménopause coûtent annuellement 3,5 G$ à l’économie canadienne, ce qui représente 540 000 jours de travail perdus.
« Ce qui est le plus dommage, c’est que lorsqu’elles sont âgées de 40 à 60 ans, les femmes sont à leur pic de carrière ; mais c’est aussi au même moment qu’elles sont généralement mères d’adolescents et qu’elles prennent soin de leurs parents vieillissants, rappelle Hélène Lavoie. Tous les astres sont alignés pour que ce soit difficile pour elles de garder le même rythme au travail. »
Devant cette pente qui leur semble insurmontable, nombreuses sont celles qui font le choix de changer de carrière ou de carrément quitter le monde du travail.
Selon la Fondation canadienne de la ménopause, 10 % des Canadiennes quittent le marché du travail en raison de leurs symptômes ménopausiques.
Plus de travailleuses, plus de réclamations
Si le sujet est davantage abordé en milieu de travail, notamment en raison des conséquences, c’est aussi parce que les femmes ont investi plus massivement le marché du travail depuis quelques décennies.
« Au Québec, on le doit à Pauline Marois [ndlr : ministre de la Condition Féminine sous René Lévesque, ministre de la Famille sous Jacques Parizeau et première femme à devenir première ministre du Québec en 2012], qui a amené les congés parentaux et les garderies subventionnées, qui ont permis aux Québécoises de travailler plus que dans le reste du Canada », souligne Diane Francoeur.
« S’il y a plus de femmes sur le marché du travail, il y en aura forcément plus qui réclameront des prestations d’invalidité ou de l’assurance salaire », résume-t-elle.
Les deux médecins spécialistes sont unanimes : les symptômes expérimentés par certaines femmes peuvent être source d’une grande souffrance.
« C’est très invalidant, et cela peut mener à de l’absentéisme à chaque mois, relève Dre Lavoie. Pour certaines patientes, ça peut aller jusqu’à passer plusieurs jours couchées avec des narcotiques. »
Surtout, les troubles hormonaux féminins peuvent aussi être vécus par des personnes trans ou non binaires.
Et, pour une raison que la science n’a pas encore expliquée, l’endométriose a déjà été observée chez certains hommes alors qu’ils n’ont pas d’utérus. « On en a retrouvé dans leurs poumons, dans leur système ORL, note Hélène Lavoie C’est une maladie encore mystérieuse. »
Tout le monde est gagnant
Investir pour mieux diagnostiquer et traiter les maladies et troubles hormonaux féminins permettrait non seulement de réduire l’absentéisme des femmes sur le marché du travail, mais aussi de donner un bon coup de pouce à l’économie, avance la recherche.
Dans son rapport, McKinsey révèle cependant que des investissements dans la santé globale des femmes permettraient d’ajouter un billion de dollars dans l’économie mondiale chaque année d’ici 2040.
« Les chercheurs ont pris l’approche des coûts-bénéfices et ont confirmé qu’en ne laissant pas les femmes souffrir, elles retournent plus rapidement au travail », résume Dre Francoeur.
Parmi les dix enjeux de santé qui, s’ils étaient mieux diagnostiqués et traités, auraient le plus grand impact sur le produit intérieur brut, on retrouve la ménopause (120 G$), le syndrome prémenstruel (115 G$), les troubles dépressifs (100 G$) et « d’autres problèmes gynécologiques » (69 G$).
L’étude mentionne aussi que le retour sur investissement est tangible quand on s’intéresse à la santé des femmes : pour chaque dollar investi, la croissance économique subséquente serait du triple.