Alors que de plus en plus de ménages canadiens ont recours à des médicaments et à des traitements pour surmonter l’infertilité, peu d’employeurs offrent une assurance collective adaptée à cette réalité. Pourtant, les coûts — financiers, émotionnels et en temps — sont bien réels, et les attentes des employés évoluent.
La Société des obstétriciens et des gynécologues du Canada (SOGC) indique qu’environ un couple canadien sur six est aux prises avec l’infertilité.
On parle d’infertilité lorsqu’une femme, quand elle est âgée de moins de 35 ans, n’arrive pas à tomber enceinte après douze mois consécutifs de relations sexuelles non protégées. Pour les femmes de 35 ans et plus, cette période est réduite à six mois.
Dans 40 % des cas, l’impossibilité de concevoir est attribuable à la femme ; 30 % d’autres cas sont attribuables aux hommes et les 30 % restants peuvent être explicables par d’autres facteurs connus ou inconnus, attribuables à l’un ou l’autre, voire aux deux partenaires.
Selon Statistique Canada, l’indice synthétique de fécondité (ISF) des Canadiennes a atteint son niveau le plus bas jamais enregistré en 2022, à 1,33 enfant par femme. L’ISF représente le « nombre d’enfants qu’aurait hypothétiquement une femme au cours de sa vie reproductive si elle connaissait les taux de fécondité par âge observés au cours d’une année civile donnée », selon l’organisme.
Demande à la hausse
« En 2022, la Sun Life a été la première grande compagnie d’assurance au Canada à offrir une couverture pour les traitements de fertilité, la gestation pour autrui et l’adoption à travers le programme Famille Plus », indique l’assureur dans un courriel.
Ce faisant, l’assureur a observé une augmentation « significative » des demandes de réclamation pour les médicaments en fertilité : une hausse de 20 % a été notée entre 2022 et 2023, indique-t-on. Depuis 2019, la demande a crû de 90 %.
Hormis une baisse de 11 % observée au début de la pandémie, possiblement explicable par un moindre accès aux cliniques de fertilité en raison de l’urgence sanitaire, l’usage des inducteurs d’ovulation chez les Canadiennes a augmenté de 14,57 % entre 2024 et 2023, selon les données relatives aux demandes de règlement de Manuvie Canada.
« L’utilisation de médicaments pour la fertilité est en hausse depuis quelques années, confirme Jennifer Foubert, vice-présidente adjointe et chef, santé, mieux-être et invalidité de Manuvie. La tendance montre une augmentation totale d’environ 25 % depuis le début de la pandémie. Donc, comparativement à la période prépandémique, on observe clairement une hausse, année après année . »
Les inducteurs d’ovulation sont des médicaments qui stimulent la production d’un ou de plusieurs ovules chez la femme qui n’ovule pas où qui a des cycles menstruels irréguliers.
En entrevue avec Le Portail de l’assurance, Mme Foubert explique partiellement cette hausse par une « sensibilisation accrue et un meilleur accès » aux inducteurs d’ovulation, de même qu’une augmentation du nombre de couples de même sexe ou de personnes seules qui souhaitent devenir parents.
Chez Desjardins Assurances, le lancement du produit Focus Famille, en 2023, a généré beaucoup d’intérêt chez les employeurs. « Aussitôt qu’on l’a lancé, on a observé une hausse de la demande chez les adhérents », soutient Andrée-Anne Bourgeois, vice-présidente, Produits, actuariat et tarification, dans une entrevue téléphonique.
Du côté d’iA Groupe financier, aucune statistique n’était disponible à l’heure actuelle. On indique cependant, dans un courriel, que les régimes collectifs de 50 participants et plus peuvent adhérer à des couvertures inclusives touchant la fertilité, l’adoption, la grossesse pour autrui et l’affirmation de genre.
« Comme les frais associés aux traitements de fertilité sont souvent importants, la couverture Fertilité permet de réduire le stress financier associé aux frais liés à la conception d’un enfant en remboursant certains médicaments, soins et traitements », fait-on valoir.
Des aides financières disparates
Les produits d’assurance collective touchant les traitements de fertilité se veulent complémentaires aux aides financières offertes par les régimes publics d’assurance-maladie partout au pays.
Selon l’organisme Fertility Matters , un seul cycle de fécondation in vitro (FIV) coûte environ 20 000 $ à la patiente, plusieurs tentatives étant souvent nécessaires avant une éventuelle grossesse.
Certaines provinces ont choisi, ou non, de couvrir l’aide à la fertilité dans le cadre de leur régime public d’assurance-maladie.
Par exemple, le Québec couvre, pour les patientes de 42 ans et moins, les coûts d’un cycle de FIV, la stimulation ovarienne et un maximum de six inséminations artificielles par naissance vivante.
L’offre ontarienne est similaire, à l’exception que le nombre d’inséminations artificielles couvert est illimité et qu’il n’y a pas de limite d’âge pour la patiente. Celle-ci devra par ailleurs débourser pour des inducteurs d’ovulation, une dépense estimée à 5000 $ par cycle de FIV.
Le Manitoba, et la Nouvelle-Écosse offrent pour leur part un crédit d’impôt couvrant jusqu’à 40 % de la facture de traitements et/ou de médicaments en fertilité, pour un remboursement maximal allant de 8000 $ à 16 000 $ . Plus généreux, le crédit d’impôt de la Saskatchewan est de 50 %, mais le remboursement des dépenses est plafonné à 10 000 $ annuellement.
De son côté, l’Île-du-Prince-Édouard a mis sur pied un programme de financement pour la FIV et l’insémination artificielle. Les sommes versées varient selon le revenu du ménage qui en fait la demande.
Terre-Neuve-et-Labrador jouit aussi d’un programme subventionnant un maximum de 20 000 $ en soins de fertilité. Les résidents de la Colombie-Britannique peuvent souscrire à un programme similaire, qui leur offre une aide financière allant jusqu’à 19 000 $ pour ces mêmes soins.
Le Yukon a annoncé dans son plus récent budget la création d’un crédit d’impôt qui couvrira 40 % des dépenses encourues par un traitement de fertilité jusqu’à concurrence de 10 000 $ annuellement.
Enfin, l’Alberta, les Territoires du Nord-Ouest, et le Nunavut n’offrent aucun soutien financier.
Couverture rarissime
Ces disparités provinciales font en sorte que certains Canadiens se retrouvent inégaux quand vient le temps de financer les traitements. La couverture en assurance s’avère donc déterminante pour plusieurs.
Or, si 53 % des employeurs membres chez Manuvie Canada offrent, via leur régime d’assurance collective, une couverture pour les inducteurs d’ovulation, moins de 1 % y ont intégré la couverture de traitements de fertilité en clinique, indique l’assureur dans un communiqué diffusé à la fin avril.
Chez Desjardins Assurances, environ un employeur sur deux y ayant un régime d’assurance collective inclut des mesures touchant la fertilité. Plus de 90 % de ces groupes couvrent à la fois les médicaments et les traitements. Très peu de clients choisissent de ne couvrir que les médicaments et encore moins, que les traitements, précise-t-on dans un courriel.
Ajouter les soins de fertilité à la couverture représente une augmentation de moins de 5 % de la prime dans la plupart des cas, ajoute-t-on. Qui plus est, les organisations qui le font ont également le loisir d’établir un plafond sur le montant de couverture offerte. « Ça permet d’avoir une gestion responsable des coûts », précise Mme Bourgeois.
Cette pratique est aussi offerte chez iA.
Sans fournir de chiffres, on indique qu’à peine « une minorité » d’employeurs offrent la couverture des traitements en fertilité chez Sun Life.
Pourtant, au cours des dernières années, « de plus en plus de Québécois et de Canadiens fondent des familles de manières différentes, mentionne-t-on dans un courriel. Cela a engendré de nouveaux besoins en matière de garanties collectives pour les employeurs souhaitant répondre aux besoins uniques de leurs employés. »
Une réalité à laquelle les assureurs doivent s’adapter
Chez Manuvie, on estime que les entreprises canadiennes devraient revoir leur offre d’assurances collectives face à la demande accrue de soins et de traitements en matière de fertilité.
« Historiquement, les régimes d’avantages sociaux ont été conçus en pensant principalement à une main-d’œuvre masculine, typique du milieu du XXe siècle », avance Jennifer Foubert. Comme les femmes représentent presque la moitié de la main-d’œuvre aujourd’hui, les assureurs doivent revoir leur offre pour tenir compte des besoins de cette clientèle, mais aussi de leur future famille.
Dans son communiqué, l’assureur « recommande d’offrir une couverture d’au moins 15 000 dollars à vie et par famille, bien que certains employeurs offrent une couverture allant jusqu’à 50 000 dollars à vie et par famille ».
« De manière générale, surtout après la pandémie, les employés ont des attentes accrues envers leurs employeurs. C’est une excellente occasion pour un employeur de proposer des services que les employés recherchent activement », note Mme Foubert, ajoutant qu’il « existe plusieurs façons pour les employeurs de soutenir leurs employés dans leur parcours vers la parentalité ».
Au-delà de défrayer une partie de la facture pour les médicaments ou les traitements, les employeurs pourraient offrir des horaires plus flexibles permettant aux personnes qui suivent ces traitements d’assister à leurs rendez-vous médicaux en temps opportun, voire prévoir des congés payés pour ce motif, sans compter des dispositions à envisager dans le cas de gestation pour autrui ou d’adoption.
Chez Desjardins Assurance, l’intérêt pour ces services est déjà bien documenté. « On continue de bonifier notre offre, et dans la dernière année, on a vu un bond de la demande pour une couverture pour les mères porteuses, explique Andrée-Anne Bourgeois. Même si cela est un geste altruiste, cette grossesse pour autrui entraîne des frais médicaux pour la femme qui choisit de le faire. On offre aux employeurs d’ajouter à leur couverture la prise en charge des frais engagés pour la mère porteuse d’un adhérent, même si celle-ci n’est pas elle-même assurée au même régime ou personne à charge de l’adhérent. »
Mme Foubert est d’avis qu’une telle souplesse dans l’offre de couverture dédiée à la famille rapporterait gros aux employeurs. « Cela représente une occasion pour [eux] de se démarquer de la concurrence, d’attirer et de retenir les talents, et d’offrir des avantages exclusifs qui témoignent d’une culture de soutien envers leurs employés », fait-elle valoir.
Un constat partagé par Sun Life. Citant une étude de FertilityIQ réalisée en 2021, l’assureur mentionne que « les employés qui avaient une couverture des traitements de fertilité au travail ont dit être plus susceptibles de choisir de conserver leur emploi à long terme (62 %) et plus susceptibles d’être assidus au travail (22 %). »
« Les employeurs ont donc tout à gagner d’offrir des régimes de garanties collectives plus inclusifs. Dans un marché hautement concurrentiel, il peut s’agir d’un élément distinctif pour attirer et conserver les meilleurs talents », avance-t-on.
Canada Vie n’a pas donné suite à notre demande d’entrevue dans les délais impartis.