Dans une note sur les perspectives économiques publiée le 28 février 2025 sous le titre Economy Sees Better End to the Year, le Conference Board of Canada saluait la croissance de 0,2 % du produit intérieur brut réel (PIB réel) au Canada en décembre, compensant le recul de novembre. En 2024, la croissance du PIB réel canadien s’est établie à 1,5 %. Le PIB réel est appelé ainsi parce qu’il ne tient pas compte de la variation des prix. Il s’exprime en dollars constants.

L’année 2025 semblait démarrer sur de solides assises. Mais le Conference Board écrivait dans sa note que l’incertitude demeure en 2025. « Le ralentissement de l’immigration limitera la croissance démographique et la consommation », pouvait-on lire.

C’est toutefois la menace de tarifs américains sur les produits canadiens qui inquiétait le plus le Conference Board, parce qu’ils pourraient selon lui affaiblir le dollar canadien et raviver l’inflation. « L’investissement, en particulier dans le secteur automobile et des batteries électriques, pourrait en souffrir. Une réponse gouvernementale sera cruciale pour éviter un ralentissement majeur », peut-on lire.

Instrumentalisation de l’incertitude

David-Alexandre Brassard

La menace s’est matérialisée le mardi 4 mars 2025. L’administration Trump a imposé des droits de douane de 25 % aux produits canadiens et mexicains exportés aux États-Unis. Il a imposé au Canada des droits de douane de 10 % sur l’énergie. Le Canada a répliqué le même jour en imposant aux États-Unis des droits de 25 %, immédiatement sur 30 milliards de dollars (G$) de marchandises américaines exportées au Canada, et en imposera 21 jours plus tard à un autre 125 G$ de marchandises. La situation évolue de jour en jour. Le 5 mars, le président américain a proposé d’exempter les véhicules fabriqués au Canada des droits de 25 % pendant 30 jours. De son côté, le Canada maintient ses droits.

Le 4 mars, l’économiste en chef de CPA Canada, David-Alexandre Brassard a partagé des réactions qu’il avait émises dans la foulée d’un sondage Omnibus de Leger Marketing, parrainé par CPA Canada et le syndic de faillite pancanadien BDO Solutions. Selon le sondage effectué du 7 au 10 février auprès d’un échantillon aléatoire de 1 590 Canadiens âgés de 18 ans ou plus, 40 % de Canadiens disaient se préoccuper principalement d’inflation et de hausse du coût de la vie (36 % chez les Québécois).

M. Brassard disait en réaction que les tensions commerciales et la menace de tarifs douaniers américains contribuent à instrumentaliser l’incertitude. « Elle laisse de nombreux Canadiens plus pessimistes qu’il y a un an quant à leur avenir financier. Les finances personnelles ne se gèrent pas en vase clos. Si la confiance des consommateurs baisse et que les dépenses diminuent, le Canada pourrait être confronté à un ralentissement de la croissance économique », a-t-il ajouté.

Sébastien Mc Mahon

L’incertitude marquait déjà profondément les échanges lors du panel annuel sur les prévisions économiques et marchés financiers, diffusé le 19 février 2025 par le Cercle finance du Québec. Lorsque le modérateur de la session et stratège en chef d’iA Gestion mondiale d’actifs, Sébastien Mc Mahon, a invité ses deux panélistes à avancer des scénarios pour 2025, ils ont semblé marcher sur des œufs.

Économiste en chef de Desjardins, Jimmy Jean a parlé de scénarios mitoyens et évolutifs, « dans un contexte où il y a beaucoup d’incertitude ». Chef économiste adjoint de la Banque Nationale, Matthieu Arseneau s’est quant à lui dit prudent et inquiet.

« Ce que l’on a vu dans les 30 à 40 dernières années est un peu remis en question. Nous sommes dans un monde très changeant. Je me demande si cela ne suggère pas des valorisations (boursières) plus basses », explique M. Arseneau. « Mon niveau d’anxiété a monté et je suis un peu plus préoccupé », dit-il.

« J’étais optimiste pour 2025, avec la baisse des taux d’intérêt de la Banque du Canada et l’inflation sous contrôle. Les conditions étaient en place pour avoir une croissance au-delà du potentiel, puisque la Banque avait neutralisé le choc du paiement d’intérêt », ajoute le chef économiste adjoint de la Banque Nationale. Il explique que la baisse des taux d’intérêt variable a l’effet d’amortir le choc du renouvellement des hypothèques à taux fixe. À ce portrait enviable s’ajoutait selon lui la demande refoulée des deux dernières années, y compris en investissement.

« Avec la brume et les incertitudes du commerce international, c’est clair que la confiance est affectée, et que le rebond des investissements des entreprises que j’anticipais est compromis », conclut M. Arseneau.

États-Unis et resserrement du crédit

On voit avec l’indice de l’incertitude que Trump reprend là où il a laissé lors de son premier mandat - Jimmy Jean

De son côté, Jimmy Jean a montré à l’écran l’indice d’incertitude économique liée à la politique commerciale aux États-Unis (la source est Economic Policy Uncertainty Index). « Il mène la trame de fonds de tout ce qui guide les scénarios. On voit avec l’indice de l’incertitude que Trump reprend là où il a laissé lors de son premier mandat. Il prend maintenant une posture beaucoup plus agressive », commente M. Jean. L’indice des États-Unis atteignait un sommet de 503,96 en mai 2020. Redescendu à 109,29 en octobre 2024, il trônait à 334,51 en février 2025, selon les données publiées sur le site d’Economic Policy Uncertainty au moment d’écrire ces lignes.

Malgré tout, l’économiste en chef de Desjardins ne croit pas que l’économie des États-Unis sera très affectée par les tarifs de 25 % imposés aux produits de ses partenaires commerciaux. Dans son scénario le plus pessimiste, l’inflation augmenterait à peine au-delà de 3 %, soit le taux enregistré en janvier, en hausse par rapport à celui de décembre (2,89 %). « On n’est pas dans les taux d’inflation de 8 % à 9 % qu’on a vu durant la pandémie », rappelle M. Jean. Il s’attend à ce que la Federal Reserve abaisse ses taux d’intérêt deux fois en 2025.

Jimmy Jean

Jimmy Jean pense toutefois qu’un resserrement des conditions financières pourrait affecter les entreprises américaines exposées à des revenus internationaux. Elles avaient été désavantagées par les tarifs du 1er juin 2018, rappelle-t-il. Les États-Unis avaient alors imposé des tarifs d’importation de 25 % sur l’acier canadien et de 10 % sur son aluminium. Le 1er juillet, le Canada répliquait avec des tarifs de rétorsion équivalents pour les mêmes matières. Les deux gouvernements ont annulé leurs tarifs respectifs le 20 mai 2019.

Combinés aux tarifs d’aujourd’hui, un dollar américain fort et une augmentation dans la courbe des taux à long terme pourraient selon lui freiner la performance de ces entreprises internationales et affecter leur valorisation boursière.

Le Canada : un bon partenaire

Matthieu Arseneau

Matthieu Arseneau s’insurge contre l’affirmation de Trump selon laquelle les États-Unis subventionnent le Canada. « C’est aberrant », lance M. Arseneau. « Il y aura beaucoup de bruit et de volatilité jusqu’à la remise en avril du rapport sur les déficits commerciaux américains », prévoit Matthieu Arseneau.

Ce rapport démontrera selon lui que le Canada est un bon partenaire pour les États-Unis. En raison des secteurs du pétrole et du gaz canadiens, les États-Unis accusent un déficit commercial envers le Canada, reconnaît l’économiste. Il souligne en revanche que plus de 60 % des secteurs industriels des États-Unis présentent un excédent commercial avec le Canada.

Un gestionnaire surpondère les actions

Le même jour que l’entrée en vigueur des tarifs américains, iA Gestion mondiale d’actifs (iAGMA) a publié son bulletin Mensuel de Stratégie & Macroéconomie de mars 2025, préparé par Sébastien Mc Mahon et son équipe. Intitulé Le brouillard de la guerre (commerciale), il dégage un fait saillant positif dans la tempête : malgré les défis récents, l’économie canadienne montre des signes de reprise grâce aux effets positifs des baisses de taux de la Banque du Canada.

iAGMA dit continuer de surpondérer les actions américaines et canadiennes dans la répartition d’actif de ses portefeuilles. Le gestionnaire surveille du même coup les opportunités en Europe et sur les marchés émergents « qui montrent des signes de reprise ». Il demeure neutre envers les classes d’actifs du marché monétaire et des placements alternatifs, et réduit son exposition aux titres à revenu fixe.

Les auteurs du rapport mensuel d’iAGMA préviennent que les guerres commerciales ont aggravé les ralentissements économiques dans le passé. Elles font augmenter les coûts et perturbent le commerce mondial, notent-ils.