Le Canada a permis aux consommateurs d’avoir accès à des conseils financiers, et ce, quelle que soit ou presque la valeur de leurs placements et avec davantage de succès que bien d’autres pays.

« Même les gens qui n’ont qu’une petite somme à investir peuvent obtenir des conseils et une gestion professionnelle de leur avoir », assure le président-directeur général sortant de l’Institut des fonds d’investissement du Canada (IFIC), Paul Bourque.

Toutefois, nuance-t-il, c’est une réalité que les grands noms du secteur doivent continuellement faire connaître et protéger lorsqu’on lance des projets de réglementation et des modifications du cadre réglementaire. Et c’est particulièrement vrai lorsque ces interventions risquent d’entraîner de façon involontaire un moins bon accès à de tels conseils.

Dans un long entretien sur des sujets aussi diversifiés que la ludification des transactions et la compétence des conseillers, Paul Bourque a également déclaré au Portail de l’assurance que les organismes régulateurs et le marché doivent réfléchir ensemble à une mise en œuvre appropriée des obligations réglementaires.

Parmi les initiatives qui ont vu le jour pendant son mandat figure l’interdiction du paiement de commissions de suivi aux courtiers-exécutants et les obligations d’information sur le coût total. Dans les deux cas, les régulateurs ont imposé des changements importants dans un laps de temps relativement court — des délais qui ne peuvent être respectés, selon les stratèges d’entreprise et les spécialistes en technologie.

Un échéancier réaliste 

« Il s’agit à la base de deux initiatives de très grande envergure, fait remarquer Paul Bourque. Une fois qu’on s’entend sur la politique en cause, toutes deux sous-entendent d’importants travaux sur le plan informatique et opérationnel. Il devient vraiment important que les régulateurs et l’industrie collaborent en amont pour établir un échéancier réaliste et réalisable. »

Dans le cas des obligations d’information sur le coût total, par exemple, les Autorités canadiennes en valeurs mobilières (ACVM) ont déclaré qu’elles exigeraient que les entreprises se conforment aux règles dans les 18 mois suivant leur entrée en vigueur. De nombreux intervenants dans le domaine ont dû protester, le consensus étant qu’il faudrait au moins 30 mois pour effectuer les modifications des systèmes et des modes opérationnels nécessaires, et ce, dans le meilleur des mondes. L’IFIC a demandé à l’ACVM de faire passer la période de mise en œuvre de 18 à 42 mois. À noter que les travaux liés à ce projet doivent se faire en même temps que l’industrie raccourcira le cycle de règlement des transactions à T+1 pour harmoniser sa façon de faire avec celle de la Securities and Exchange Commission américaine, qui fera alors de même. 

« Nous savons tous ce qui arrive lorsqu’un projet informatique part du mauvais pied, fait remarquer M. Bourque. Nous avons demandé à l’ACVM de collaborer dorénavant avec l’industrie pour s’assurer de réunir les bonnes personnes autour de la table. » 

Des considérations non partisanes 

En abordant la question avec les personnes qui participaient dernièrement à la Leadership Conférence annuelle de l’IFIC, M. Bourque a été encore plus précis, mentionnant que la difficulté n’est pas liée à des questions idéologiques sur lesquelles les régulateurs et les représentants de l’industrie conviennent qu’ils ne s’entendent pas. Selon lui, il s’agit plutôt de considérations techniques, dénuées de toute partisanerie, sur lesquelles l’ACVM et le marché doivent se pencher, tout comme les experts en technologie et en processus opérationnels. 

Il ajoute que l’industrie et les régulateurs devraient produire ensemble un échéancier accepté par les deux parties et assorti de dates butoirs précises, le tout avant de l’annoncer publiquement. Cela permettrait d’éviter d’étaler en public les différends pouvant opposer les régulateurs et l’industrie, en plus de favoriser l’appui des représentants de l’industrie qui devront ensuite mettre le tout en place et faire le travail. 

Dans l’entrevue accordée au Portail de l’assurance, Paul Bourque souligne qu’il « est très difficile de déroger à des initiatives et mandats qui ont déjà été annoncés publiquement ». 

M. Bourque voit d’un bon œil le rôle des autorités réglementaires, qui est selon lui très pertinent, signalant au passage que les marchés financiers deviennent de plus en plus complexes.

« En raison de cette tendance très claire, il me semble plus important que jamais que les autorités réglementaires abordent la réglementation en pensant aux résultats, et cela passe d’abord par une description rigoureuse de la problématique », dit-il.

Un préjugé favorable envers la création de nouvelles règles 

« L’adoption de nouvelles règles devrait se faire en dernier recours, car c’est la solution la plus coûteuse en la matière et aussi celle qui prend le plus de temps. Avant de commencer à rédiger de nouvelles règles, je pense que les régulateurs devraient sérieusement chercher à mettre le doigt sur le problème et se demander s’il serait indiqué de ne rien faire. » Or, il constate que, au contraire, on semble avoir un préjugé favorable envers la création de nouvelles règles. « Cela devrait vraiment être la toute dernière solution quand on constate un problème », conclut-il. 

Au cours de sa présidence de l’IFIC amorcée en 2016 (son départ à la retraite est prévu en décembre 2022 et a été annoncé en juin dernier), M. Bourque a participé et assisté à divers développements dignes de mention, notamment la création du nouvel organisme d’autoréglementation (OAR) national qui verra le jour en janvier 2023 lorsque l’Organisme canadien de réglementation du commerce des valeurs mobilières (OCRCVM) et l’Association canadienne des courtiers de fonds mutuels (ACFM) fusionneront leurs activités le 1er janvier.

L’essor des mégadonnées et du recours à l’intelligence artificielle pour offrir un service personnalisé fait partie des changements en cours. « Plus les entreprises pourront répondre à cette exigence et être concurrentielles sur ce plan, plus elles auront de succès, à mon avis. Cela change carrément la donne. » 

M. Bourque parle également de diverses pistes de solutions, comme les comptes d’investissement entièrement gérés, les gains en matière de réduction du fardeau réglementaire et l’élaboration de normes donnant la priorité aux intérêts du client. (La question de savoir si le paiement de commissions va ou non à l’encontre d’une telle norme est l’un des dossiers les plus importants que M. Bourque a géré au cours de son mandat. Dans ce cas, l’industrie a réussi à convaincre les régulateurs qu’une élimination complète des commissions finirait par entraîner un moins bon accès aux conseils.)

Sensibilisation à la compétence 

Il traite également des organismes de réglementation qui semblent de plus en plus chercher à accroître les compétences des personnes appelées à donner des conseils. « On ne peut pas dire que tous voient les choses de la même façon d’un bout à l’autre du Canada », signale-t-il. Il estime qu’on pourrait devoir adopter une approche nationale menée par l’ACVM, une fois que les organismes de réglementation auront circonscrit leurs objectifs. « S’agit-il de simplement clarifier les interventions et les conditions d’agrément des planificateurs financiers ou bien de lancer un programme visant à améliorer les compétences de tous de manière générale ? On a là deux projets très différents. Cela va évidemment poser problème. » 

Le successeur de M. Bourque (dont le nom n’a pas encore été annoncé au moment de la rédaction de cet article) devra faire le suivi de divers autres dossiers, notamment œuvrer à l’amélioration continue du nouvel OAR national, veiller de façon soutenue à l’allègement du fardeau réglementaire et assurer un suivi serré des propositions toujours plus nombreuses mises de l’avant par les organismes de réglementation. La consolidation des cabinets, dont les agents généraux et les courtiers, sera probablement aussi un élément à ne pas perdre de vue.

Ce successeur prend toutefois la barre à un moment où l’industrie se trouve dans une situation plutôt enviable — même si les investisseurs en fonds communs de placement ont actuellement tendance à opter pour les rachats nets. M. Bourque dispose de données quantifiées pour étayer ses propos.

Reprenant certains des propos qu’il a formulés à la Leadership Conférence annuelle de l’IFIC, il cite d’abord les chiffres de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), selon lesquels les Canadiens détiennent davantage de fonds communs de placement en comparaison de leurs actifs financiers totaux que les investisseurs de tout autre des 38 pays de l’OCDE.

« Les fonds communs de placement et les fonds négociés en Bourse (FNB) constituent le véhicule d’investissement le plus important des gens d’ici. Ils comptent davantage que les actions, les obligations et les CPG réunis, dit-il. Les fonds communs de placement et les FNB combinés représentent 36 % du patrimoine financier des Canadiens et 50 % de l’actif total de leurs régimes enregistrés d’épargne retraite. » 

Grande confiance envers les conseillers en placements 

Il cite ensuite un sondage mené à l’international par l’Institute of Certified Financial Planners pour évaluer la confiance des investisseurs envers leurs conseillers financiers. « On y apprend que 97 % des investisseurs canadiens ont répondu avoir confiance ou entièrement confiance en leur conseiller financier. C’est un résultat remarquable. » 

Cela dit, il avertit qu’il faut rester vigilant. « Je crois qu’il faut continuer de suivre la situation de près et nous assurer tout d’abord que l’industrie continue à innover et à proposer de nouveaux outils et de nouveaux produits pour que les investisseurs continuent à avoir accès à des conseils financiers, quelle que soit la valeur de leurs placements, dit-il. Les régulateurs doivent aussi continuer à surveiller le tout de manière à ne pas instaurer des barrières inutiles sans le vouloir. »