Est-ce que les assureurs de dommages du Canada jouent avec le feu en investissant et en souscrivant des risques dans les combustibles fossiles ? Dans son rapport publié le 10 juillet dernier, le groupe d’investisseurs activistes Investors for Paris Compliance (I4PC) dénonce les activités de souscription et le financement offert par les assureurs à l’industrie du pétrole et du gaz.
« Bien que ce secteur reconnaisse la menace importante que le changement climatique fait peser sur son modèle économique compte tenu des risques accrus et de la hausse des demandes d’indemnisation, il continue d’exacerber ces risques en souscrivant et en investissant dans le secteur des combustibles fossiles », lit-on dans le rapport d’I4PC.
Le Portail de l’assurance a sollicité des réactions de la part des assureurs visés par ledit rapport et auprès de l’organisme de régulation canadien des institutions financières.
Du côté d’Intact
La directrice des affaires publiques d’Intact compagnie d’assurance, Karine Iskandar, commente ainsi le rapport d’I4PC. « Nous avons fait nos preuves en matière de leadership en matière d’adaptation aux changements climatiques. Nous aidons à bâtir des communautés résilientes et nous nous sommes engagés à atteindre zéro émission nette dans l’ensemble de nos activités d’ici à 2050. »
« L’exposition nette d’Intact à l’énergie représente 2 % de nos actifs investis », ajoute-t-elle.
« Grâce à notre expertise, à notre envergure et à nos ressources, nous adoptons une approche inclusive et axée sur l’engagement afin de permettre à nos parties prenantes d’opérer la transition vers un avenir à faible émission de carbone, ce qui inclut la fixation d’un objectif intermédiaire visant à réduire d’au moins 40 % l’intensité des émissions de notre portefeuille d’investissement d’ici à 2030 », conclut la porte-parole de l’assureur.
Desjardins
Au Mouvement Desjardins, la porte-parole Chantale Corbeil transmet la réaction de l’institution financière. Elle fait valoir que la politique de Desjardins à l’égard du charbon, adoptée dès 2020, a été reconnue comme étant la plus restrictive par Reclaim Finance, une organisation non gouvernementale spécialisée en la matière.
Desjardins tient à préciser que « l’investissement des fonds propres d’un assureur est une activité qui n’est pas limitée par la présence géographique, en soi c’est une activité dont le terrain de jeu est pancanadien, voire international. Notre politique porte sur l’ensemble de nos activités de financement, d’assurance et d’investissement au Canada et à l’international ».
L’institution financière souligne que le Canada a encore plusieurs entreprises utilisatrices de charbon, notamment dans les Maritimes, en Saskatchewan et en Alberta et que les exportations de charbon du Canada sont en croissance.
« Nous évoluons dans l’économie canadienne qui est fortement exposée au secteur des énergies fossiles. Comme investisseur auprès de sociétés dans le secteur des énergies, nous pouvons utiliser le levier d’actionnariat engagé pour contribuer à l’accélération de la transition », explique Desjardins.
En agissant ainsi, l’institution financière vise à appuyer les entreprises clientes « qui sont résolument engagées dans la transition. Nous maintenons des relations avec les entreprises du secteur énergétique qui ont une volonté de diminuer leurs GES, et ce, dans une perspective de contribuer à une transition énergétique juste ».
Avec son plan climat, Desjardins vise à atteindre un bilan zéro émission nette d’ici 2040 pour ses opérations étendues et pour les activités de financement et d’investissement de ses fonds propres dans trois secteurs clés intenses en carbone : l’énergie, le transport et l’immobilier. La même cible sera atteinte pour l’ensemble des secteurs d’ici 2050.
« À la fin de l’année 2023, l’exposition de Desjardins au secteur de l’énergie était de 0,6 % de nos financements en exposition en cas de défaut », souligne l’institution financière.
À la Banque TD
Du côté de la Banque Toronto-Dominion, une porte-parole de l’entreprise nous transmet une première mise en garde : « Il est important de noter que ce rapport compare le profil d’investissement du Groupe Banque TD dans son ensemble avec celui des compagnies d’assurance ayant des mandats plus ciblés, ce qui affecte les conclusions tirées. »
« Le Plan d’action climatique de la TD, qui sert de plan de transition de la Banque, décrit notre approche pour atténuer les risques climatiques, décarboner nos opérations et les mesures que nous prenons en tant qu’institution financière pour impliquer et soutenir nos clients alors qu’ils progressent dans leurs efforts de réduction des émissions », indique la TD.
« Les programmes de TD Assurance comprennent des rabais sur l’assurance des véhicules électriques et une protection des panneaux solaires grâce à des produits d’assurance habitation », ajoute l’institution financière.
Au BSIF
Du côté du Bureau du surintendant des institutions financières (BSIF), Philip Hasek, conseiller principal des relations avec les médias, indique que l’organisme de réglementation est bien au fait du rapport d’I4PC.
« Le BSIF aborde le changement climatique à travers le prisme de son mandat législatif en tant qu’organisme de réglementation prudentielle et de surveillance des institutions financières sous réglementation fédérale », ajoute-t-il en nous renvoyant à l’onglet du site Internet de l’organisme consacré aux risques climatiques.
Le 20 mars 2024, le BSIF a publié une nouvelle version de sa ligne directrice B-15 sur la Gestion des risques climatiques. Les attentes envers les institutions financières fédérales assujetties à sa surveillance s’alignent désormais sur la norme IFRS S2 : Informations à fournir en lien avec les changements climatiques du conseil des normes internationales d’information sur la durabilité.
Le BSIF a aussi produit de nouveaux relevés relatifs aux risques climatiques pour recueillir auprès des institutions financières fédérales des données normalisées sur les émissions et les expositions. La nouvelle version de la ligne directrice et les nouveaux relevés seront mis en vigueur de façon graduelle.
Ce sera le cas pour les banques d’importance systémique intérieure et les groupes d’assurance actifs à l’échelle internationale dont le siège social est situé au Canada d’ici la fin de 2024. Pour toutes les autres institutions assujetties, l’entrée en vigueur aura lieu à la fin de 2025.
Chez Fairfax/Northbridge
Chez Northbridge Assurance, on renvoie la demande d’information du Portail de l’assurance à Fairfax Financial Holdings, la société de portefeuille qui détient l’assureur. Fairfax n’a pas donné suite à notre requête.
Dans son rapport de performance environnementale, sociale et de gouvernance (ESG) pour l’année 2023, Fairfax fournit des renseignements concernant l’exposition au risque de la société en matière de combustibles fossiles. La société de portefeuille confirme la présence d’Allied World dans l’assurance des centrales thermiques alimentées au charbon.
Ses directives de souscription sont adaptées aux règles de l’Accord de Paris sur le climat. Les souscripteurs « ne fourniront généralement pas de couverture contre les risques liés à la construction et à l’exploitation de nouvelles centrales au charbon, aux assurés qui tirent plus de 30 % de leurs revenus projetés de l’extraction de charbon thermique, ou aux assurés qui génèrent plus de 30 % de leurs revenus projetés de leur production d’énergie à partir du charbon, en tenant compte des sources d’énergie alternatives disponibles sur le territoire respectif. Toute couverture restante en vigueur pour les assurés qui n’atteignent pas ces seuils sera progressivement supprimée d’ici 2024 ou avant, ou non renouvelée », indique l’entreprise.
Par ailleurs, Allied World a limité son exposition au pétrole (sables bitumineux) et à l’exploration énergétique de l’Arctique, indique Fairfax dans son rapport ESG.
De plus, sa division Global Market Insurance a mis en place des directives de souscription pour ses opérations en Europe et en Asie-Pacifique, conformes aux objectifs de l’Accord de Paris visant à réduire les émissions de dioxyde de carbone, à accroître les énergies renouvelables et à accroître l’efficacité énergétique. Cette division représente environ 20 % des primes brutes émises d’Allied World.
Chez Definity
À la Société financière Definity, on indique que l’approche de l’entreprise en matière de changements climatiques est expliquée dans son rapport de performance environnementale, sociale et de gouvernance (ESG) publié le 13 mai dernier. Une traduction en français est promise sous peu, selon son porte-parole.
La réaction officielle au rapport d’I4PC est la suivante : « Les changements climatiques remettent de plus en plus en question la résilience de notre entreprise et le bien-être de nos équipes, de notre clientèle et de nos communautés. »
« Nous reconnaissons le rôle de notre secteur, qui est en mesure de faire sa part dans la lutte contre les changements climatiques. C’est pourquoi nous continuons d’intégrer les facteurs relatifs aux risques climatiques et aux occasions dans l’ensemble de notre entreprise afin de stimuler le changement pour créer un environnement plus sain, ce qui rehaussera la résilience de la société », ajoute Definity.
Sans commentaires
Le Portail de l’assurance a demandé des réactions aux autres assureurs mentionnés dans le rapport d’I4PC, même si leurs activités de souscription ou d’investissements sont moins importantes dans le secteur énergétique.
Co-operators a décliné notre invitation à commenter. Wawanesa n’a pas donné suite à nos requêtes avant la mise en ligne de cet article.
Outre les sept assureurs canadiens ciblés par le rapport, d’autres assureurs étrangers utilisent leur filiale canadienne pour couvrir les risques ou financer l’industrie des combustibles fossiles. Le rapport cite les exemples de Chubb, Liberty Mutual, Travelers et des Lloyd’s.
« Les assureurs canadiens peuvent être une force positive dans la transition énergétique. Il y a cent ans, l’industrie a contribué au déploiement de l’électricité, en établissant des normes permettant aux nouvelles entreprises d’accéder à la souscription. Une telle innovation est à nouveau nécessaire aujourd’hui pour encourager le développement d’énergies renouvelables et de solutions climatiques », souligne I4PC.