Moins de Canadiens s’assurent aujourd’hui qu’en 2010. Pourquoi et comment y remédier ? En clôture de sa 27e édition, le Congrès de l’assurance de personnes a convié cinq conférenciers à se pencher sur ces enjeux, lors d’un panel intitulé Le défi de l’industrie : retrouver la confiance des consommateurs.
Président des Éditions du Journal de l’assurance inc., Serge Therrien en a été le modérateur. Il a dressé la table aux échanges avec un portrait cinglant :
- Le nombre de polices d’assurance vendues continue sa descente. En se fondant sur les statistiques de vente compilées par LIMRA, entre 2010 et 2022, les ventes ont baissé de quelque 100 000 polices d’assurance au Canada.
- Entre-temps, la population canadienne est passée de 34 millions de personnes en 2010 à 40 millions en 2023, selon Statistique Canada.
- Le taux de pénétration de polices d’assurance par mille Canadiens est passé de 21,7 à 16,9.
- Les résultats de LIMRA témoignent que l’écart a subsisté en 2023.
Dans l’atelier de co-conception organisé par les Éditions du Journal de l’assurance inc. le 5 septembre, 30 leaders ont réfléchi sur les raisons de cette baisse du taux de pénétration de l’assurance vie individuelle, a rappelé M. Therrien lors du Congrès. « Est-il possible de retrouver les 100 000 ventes perdues ? », a -t-il lancé aux quatre panélistes.
Éducation et diversité
Pour retrouver le même taux de pénétration auprès de la population canadienne qu’il y a 10 ans, il faut éduquer les consommateurs sur l’assurance – Ivana Magdic
Vice-présidente régionale, ventes, Québec, de Desjardins Assurances, Ivana Magdic a saisi la balle au bond. « Pour retrouver le même taux de pénétration auprès de la population canadienne qu’il y a 10 ans, il faut éduquer les consommateurs sur l’assurance », pense-t-elle. Elle déplore que le cours de finances dispensé à sa fille en cinquième secondaire ne traite pas d’assurance.
Augmenter le taux de pénétration passera aussi « par un plus grand nombre de conseillers actifs et une plus grande diversification du réseau de distribution », ajoute Mme Magdic. Elle croit qu’un consommateur préférera être servi par un conseiller de même origine ou de même culture que lui : « 8,3 millions de Canadiens ne sont pas nés au Canada », mentionne-t-elle. La donnée de Statistique Canada porte sur la population de 2021.
Les femmes n’occupent encore qu’une place minoritaire au sein du réseau de distribution indépendant en assurance vie individuelle, a aussi soulevé Ivana Magdic. « Je vous félicite, toutes les femmes ici, d’avoir survécu aux obstacles », a-t-elle lancé.
Offre numérique
Il y a trois ans, plusieurs de nos clients ont doublé le volume de leurs ventes – Luis Romero
Fondateur et président de la firme de technologies d’assurance Equisoft, Luis Romero a renchéri à propos de l’éducation financière. « L’éducation peut aider à augmenter le volume des ventes », observe-t-il. Il aura fallu la COVID-19 pour rappeler à tous que nul n’est immortel, relate M. Romero. « Il y a trois ans, plusieurs de nos clients ont doublé le volume de leurs ventes. Il y a eu une demande pour un produit qui est habituellement vendu, non acheté », ajoute-t-il.
M. Romero estime que des produits simples, offerts en ligne, peuvent contribuer à réduire l’écart de 100 000 polices. Le président d’Equisoft émet un bémol sur ces produits : la vente de ces produits moins coûteux n’est pas payante pour les conseillers.
Il signale toutefois qu’une compagnie d’assurance de dommages américaine a réussi à rentabiliser la vente de polices d’assurance vie simplifiée, en la liant à l’offre du représentant en assurance auto et habitation. Le représentant a plusieurs occasions de contacter son client, et la vente d’un produit simple, comme de l’assurance vie pour frais funéraires, en devient grandement facilitée, croit Luis Romero.
Dans un sondage réalisé par IG en collaboration avec la Chaire IG Gestion de patrimoine en planification financière, près de 67 % des répondants ont dit que la technologie aurait un impact incroyable d’ici cinq ans, rapporte Carl Thibeault, vice-président principal, Québec et Atlantique, d’IG Gestion de patrimoine. Plus de 1 600 praticiens y ont répondu.
Adopter la technologie permettra de desservir une plus grande part de la population et de retrouver les 100 000 polices – Carl Thibeault
Il croit de son côté que la technologie peut régler les détails complexes beaucoup plus rapidement. « Adopter la technologie pourra permettre de desservir une plus grande part de la population et peut-être de retrouver les 100 000 polices », avance-t-il.
Revoir la rémunération
Chef des produits et de la tarification, assurance individuelle, de Manuvie au Canada, Mathieu Charest a rebondi sur les propos de Luis Romero. « La croissance ne viendra pas des polices à valeur nette élevée ; elle viendra des plus petites polices », croit-il.
Pour permettre cette croissance, il faut selon M. Charest repenser la façon de rémunérer les conseillers pour la vente de plus petites polices. « Nous appliquons souvent les processus adaptés aux polices de taille plus élevée à de plus petites polices. Ça ne marchera pas », prévoit-il.
Il suggère de quantifier le rapport entre la prime moyenne dans le marché de masse, la commission moyenne des conseillers et le revenu que doit gagner un conseiller « pour vivre ». Faut-il vendre 15 polices par semaine pour en vivre et est-ce soutenable ? Si la réponse est non, il faut changer la rémunération ou permettre le volume nécessaire, plaide M. Charest. « Avons-nous les processus pour supporter ce volume ? Pas encore », reconnaît-il.
Multidisciplinarité
Caril Thibeault en a contre la vision en silo et suggère de renforcer les équipes multidisciplinaires dans le réseau de distribution. « En placements, en assurance, en hypothèques, on retrouve des praticiens qui pourraient œuvrer à une démarche de couverture complète, mais font du cherry picking », observe-t-il.
Selon lui, les clients doivent être approchés par des équipes multidisciplinaires, mais aussi multigénérationnelles. « Une des préoccupations les plus pressantes est la planification successorale », explique M. Thibeault. Il souligne que 76 % des propriétaires de petites ou moyennes entreprises (PME) au Canada prévoient quitter leur entreprise d’ici les dix prochaines années. La statistique provient du Rapport de sondage des PME québécoises sur l’entrepreneuriat et le repreneuriat au Québec, publié en avril 2024 par la Fédération canadienne de l’entreprise indépendante.
Et le consommateur dans tout ça ?
Il y a beaucoup à apprendre de secteurs connexes, comme celui de l’assurance de dommages – Louis Regimbal
Conseiller principal, assurance et gestion d’actifs du consultant multinational Oliver Wyman, au Canada, Louis Regimbal a voulu amener la discussion sur le chemin du consommateur. « On n’a pas beaucoup entendu parler du consommateur, de ses besoins et de ses préférences », constate M. Regimbal, qui connaît bien l’industrie de l’assurance de personnes, pour y avoir œuvré à titre de vice-président de la stratégie et de l’innovation de Beneva de 2016 à 2023.
« Il y a beaucoup à apprendre de secteurs connexes, comme celui de l’assurance de dommages », croit Louis Regimbal. « Les assureurs de dommages reconnaissent que les individus ont des préférences sur la façon dont ils veulent être rejoints et travailler avec eux. Établir un lien avec un assuré sur une plateforme et la faire évoluer n’est pas interdit », pense-t-il.
M. Regimbal invite l’industrie de l’assurance de personnes à réfléchir à comment s’adresser aux consommateurs « sur la base de leurs préférences ». « Si l’on ne s’appuie que sur l’approche par un conseiller, on passe peut-être à côté de quelque chose, car ce n’est peut-être pas la seule façon de joindre le consommateur », ajoute le consultant principal d’Oliver Wyman.
Mathieu Charest estime quant à lui qu’une personne devra toujours faire partie de l’équation, ne serait-ce que pour convaincre une personne qu’il est préférable d’épargner que d’acheter une voiture trop coûteuse pour ses moyens. « Le conseiller est un peu comme un guide qui dit au client s’il va dans la bonne direction », ajoute-t-il. D’après lui, une confiance doit s’établir dans le processus.
Ivana Magdic observe que le rôle du conseiller est passé d’un vendeur de 500 polices par année à celui d’un coach en finances. « C’est peut-être pour ça que le nombre de polices diminue, mais le client a une protection qui correspond davantage à ses besoins », remarque-t-elle.
Carl Thibault mentionne que couvrir les besoins de base est un rôle collectif et non celui d’un seul individu ou d’une organisation. « Peut-on donner une rémunération fixe avec une portion variable à un regroupement de jeunes conseillers équipés de la technologie qui leur permet de faire les analyses de base pour les besoins plus simples ? Nous avons commencé à tester cette portion et cela fonctionne », révèle M. Thibault.