Un regroupement de six courtiers en épargne collective québécois demande aux différents partis politiques provinciaux de clarifier leur position sur la proposition des Autorités canadiennes en valeurs mobilières (ACVM) d’éliminer les frais d’acquisition reportés, annoncée le 13 septembre. Ils soutiennent qu’emprunter cette avenue réduira l’accessibilité aux conseils.
Le regroupement formé d’Excel Gestion Privée, Groupe Cloutier Investissements, Mérici Services Financiers, Mica Capital, Multi Courtage Capital et Whitehaven Securities a adressé une lettre aux porte-paroles responsables des Finances de chaque parti.
Écho à l’Ontario
Leur demande fait écho à la sortie du ministre des Finances de l’Ontario, Vic Fideli, survenue le jour de l’annonce des ACVM. Le regroupement relate que le ministre s’est distancé de la position des ACVM. M. Fideli a déclaré que si les modifications proposées par les ACVM et la CVMO sont apportées, elles supprimeront un mode de paiement pour l’achat de fonds communs de placement qui permet aux familles et aux investisseurs ontariens d’économiser. « Notre gouvernement ne souscrit pas à cette proposition sous sa forme actuelle », a-t-il ajouté.
Débat relancé
Ces déclarations relancent le débat, estime le regroupement de courtiers québécois. « Les principaux acteurs politiques du Québec ont tout intérêt à ce que la population connaisse leur position sur la question et les préoccupations soulevées par le ministère des financiers de l’Ontario », écrivent les cosignataires.
Ils ajoutent que plusieurs acteurs de l’industrie ont déjà fait valoir, comme M. Fideli, qu’éliminer les fonds à frais d’acquisition reportés limitera l’accès au conseil pour les plus petits investisseurs et l’accès à la profession pour la relève, surtout dans le courtage indépendant.
« Depuis la déclaration du ministre des Finances ontarien, la consultation de l’Autorité des marchés financiers se poursuit en faisant abstraction de la position de l’Ontario. Pour avoir un échange intelligent avec le régulateur et le gouvernement, nous voulons avoir un positionnement des partis provinciaux, et du nouveau ministre des Finances lorsqu’il sera élu. Nous agirons différemment s’il y a encore de l’espace pour un compromis », a dit en entrevue au Journal de l’assurance Maxime Gauthier, chef de la conformité et représentant en épargne collective de Mérici Services Financiers.
Encadrer plus étroitement
Les cabinets signataires demandent d’une même voix un encadrement plus serré de l’utilisation des fonds à frais d’acquisition différés. « D’autres solutions alternatives pourraient être envisagées qui pourraient très bien répondre aux préoccupations des ACVM en lien avec les fonds à frais d’acquisition reportés tout en évitant les impacts négatifs importants d’une interdiction totale », écrivent-ils.
« Plutôt que retirer les frais d’acquisitions reportés du coffre d’outils des conseillers, il faut reconnaitre leur utilité, comme celle d’une scie que l’on voudrait interdire pour éviter que les gens ne se blessent. Il faut un encadrement plus strict et des balises beaucoup plus claires », dit M. Gauthier.
Il propose de déterminer les situations où il est approprié de vendre un fonds avec frais d’acquisition reportés, en considérant par exemple l’échéancier du client ou en dictant ce qui est raisonnable comme rémunération. « Imposer des frais d’acquisitions reportés pour un compte d’un million de dollars serait indécent, mais pas pour un compte de 1 000 $. »
Vivre plutôt que survivre
Président de Groupe financier Multi Courtage, Guy Duhaime rappelle que la formule des frais d’acquisition reportés permet de desservir les clients aux actifs modestes et les jeunes en phase d’accumulation. Il opte pour les fonds à frais réduits. Reportés sur seulement trois ans, ils permettent à ces investisseurs de recevoir des conseils, et au conseiller de recevoir une rémunération décente (entre 2 % et 3 %, précise-t-il).
« Les gros comptes d’épargne sont tous à honoraires. Le conseiller qui en a plusieurs gagne bien sa vie. Mais la majorité des conseillers ont surtout des comptes de 40 000 ou 50 000 $, et quelques uns à 100 000 $ ou 200 000 $. De plus, les gens n’ont pas tous les moyens de payer les services d’un planificateur financier à 150 $ l’heure », explique M. Duhaime. Il relate le cas d’une cliente qui veut transférer un compte de 18 000 $ à son cabinet. Sans les frais, impossible de rentabiliser cette rencontre de trois heures et toute la paperasse et l’administration qui s’ensuivent, dit M. Duhaime.
Pour Maxime Gauthier, cette question d’assurer une rémunération décente aux conseillers est intimement liée à celle de la relève. « Parmi les raisons de notre démarche, il y a l’accessibilité au conseil. Le conseiller touchera 10 $ d’honoraires pour un client qui commence à épargner 1 000 $ par an. Qui va faire ça ? » Éliminer les frais d’acquisition reportés privera les clients modestes de conseils, ajoute-t-il, ou les obligera à se diriger vers les banques, avec un choix de produits limités et un haut taux de roulement des conseillers. « Nous pensons que cela nuira grandement au recrutement de nouveaux conseillers, en les privant d’un revenu décent dans leurs premières années de pratique.
Risque d’arbitrage
M. Gauthier craint aussi les risques d’arbitrage règlementaire. “Si le conseiller a besoin d’une paie pour vivre, et que les frais sont autorisés sur les fonds distincts, mais pas sur les fonds communs, que se passera-t-il ? La règlementation ne devrait jamais avoir pour effet d’orienter vers un produit plutôt qu’un autre”, dit-il.
Pour la suite
Mérici commencera bientôt à plancher sur un mémoire qu’il entend déposer dans le cadre de la consultation plus tard cet automne. Son chef de la conformité espère donc être fixé bientôt. “Nous ne pouvions manquer le contexte de la présente campagne pour interpeler les différents partis et espérer connaitre leur position. Pour avoir travaillé brièvement comme attaché politique, je ne m’attends toutefois pas d’avoir des réponses maintenant, mais plutôt dans quelques semaines, lorsque les élus commenceront leur travail.”
Guy Duhaime a pour sa part révélé que deux des partis avaient demandé des précisions au regroupement, sans dire lesquels.