Le président du comité de discipline de la Chambre de la sécurité financière, Me Claude Majeau, est visé par une demande de récusation plutôt inusitée devant la Cour supérieure du Québec.
L’affaire est reliée à une plainte disciplinaire déposée en avril 2019, il y a plus de cinq ans. Le comité a entendu la plainte et a rendu sa décision sur la culpabilité et la sanction.
La décision sur culpabilité a été rendue en mai 2018 et l’intimé a été déclaré coupable du seul chef de la plainte. La sanction a été livrée le 23 décembre 2021 et elle impose une amende de 4 000 $ au représentant. Ce dernier n’a pas fait appel des deux jugements du comité.
En fouillant dans les sites d’information juridique, avec le numéro de dossier de la plainte faite par le bureau du syndic de la Chambre, on trouve ainsi 11 décisions rendues par le comité de discipline.
Depuis décembre 2021, cinq autres décisions ont été rendues par le comité de discipline dans le même dossier, afin de préciser et renouveler l’ordonnance de non-divulgation prononcée durant le processus qui a mené aux deux jugements.
Saga judiciaire
Cette saga judiciaire trouve son origine lors de l’entretien mené par les enquêteurs du bureau du syndic, mené le 25 mai 2018. L’intimé a alors fait des aveux, mais il affirme avoir été victime de pressions indues de la part des enquêteurs.
Le représentant qui a déposé le recours en Cour supérieure, José Ariel de Trinidad (certificat no 198 722, BDNI no 2903381), est toujours inscrit dans les disciplines de l’assurance de personnes et comme représentant de courtier en épargne collective. Il exerce son métier dans la région de Québec.
Pour préparer sa propre défense, l’intimé a demandé une copie de l’enregistrement de cette rencontre. En prenant connaissance de la preuve divulguée et en visionnant la vidéo de l’entrevue, il n’y a pas retrouvé la séquence de l’incident où il affirme avoir été victime de la pression des enquêteurs.
Convaincu que le fichier avait été altéré, il a changé son plaidoyer par la suite. En sus, il a traité le syndic de menteur. Selon lui, le bureau du syndic a multiplié les déclarations contradictoires concernant cet enregistrement, sur sa disparition ou sa disponibilité.
Depuis, il tente par tous les moyens d’obtenir la preuve que l’enregistrement original a été modifié ou altéré et que la Chambre en est responsable. Dès le mois de mars 2020, comme le bureau du syndic refusait de lui transmettre le fichier demandé, il a déposé une plainte à la Commission d’accès à l’information (CAI) pour faire réviser ce refus.
Une audience à la CAI était prévue le 15 mars 2022, selon la correspondance que nous avions alors eue avec le représentant. Le Portail de l’assurance a fouillé dans les archives juridiques et n’a trouvé aucune décision dans ce dossier à la CAI.
Le Portail a demandé des précisions à M. de Trinidad. Par courriel, il précise que la CAI rendra une décision en lien avec sa demande. Une nouvelle audience aurait eu lieu le 30 avril dernier et le juge administratif a 90 jours pour livrer ses conclusions.
Autre jugement
Dans la plus récente décision rendue le 18 avril dernier par le comité de discipline de la Chambre, on apprend la suite de l’affaire. Le 18 janvier 2024, l’intimé a déposé une demande de récusation visant le président du comité ainsi qu’une demande de remise de l’audition portant sur sa demande d’interprétation de l’ordonnance.
Le 29 janvier 2024, le comité accepte la demande de remise de l’audition, le temps de se prononcer sur la demande en récusation.
Le 5 février 2024, le président du comité décide qu’il entendra seul, c’est-à-dire sans les deux membres qui composent le banc pour ce dossier, la demande en récusation. L’audition est fixée au 22 mars 2024.
Entretemps, soit le 20 février 2024, l’intimé dépose une demande de pourvoi en contrôle judiciaire devant la Cour supérieure pour contester la décision de Me Mageau d’entendre seul la demande de récusation.
Une conférence de gestion se tient le 26 mars 2024 et le représentant réitère la demande de remise, le temps que la Cour supérieure se prononce.
« Le président est d’opinion que s’il débute l’audition de la demande en récusation et que, par la suite, la Cour supérieure conclut que la demande en récusation doit être entendue par la formation complète du comité, et non pas par le président seul, les ressources judiciaires n’auront pas été utilisées à bon escient et en harmonie avec une bonne et saine administration de la justice », lit-on au paragraphe 28.
La demande en récusation est reportée sine die et la secrétaire du comité de discipline verra à convoquer une conférence de gestion dans les meilleurs délais, une fois que la Cour supérieure aura rendu jugement.
Sans avocat
À toutes les étapes des procédures impliquant le syndic et parfois la Chambre elle-même, tant devant le comité de discipline que devant d’autres instances administratives ou judiciaires, M. de Trinidad se représente seul, sans l’assistance d’un procureur.
Les noms de deux avocats reviennent dans toutes les procédures, et leurs honoraires relèvent du budget de la Chambre : Me Claude Mageau, président du comité de discipline, Me Alain Galarneau (du cabinet Pouliot, Prévost, Galarneau), qui représente le syndic. De plus, Me Sylvie Poirier, de CDNP Avocats, représente la Chambre lorsque celle-ci doit intervenir devant le comité de discipline ou d’autres instances.
Le Portail de l’assurance a demandé à la Chambre si elle pouvait estimer les coûts en matière d’honoraires professionnels engendrés dans ce seul dossier en incluant ses ramifications devant les autres instances.
Comme le litige est devant le tribunal, même si aucune date d’audience n’a encore été fixée, la Chambre préfère ne pas commenter le dossier.
Daniel Richard, vice-président, relations avec la communauté de la Chambre, se limite à indiquer par courriel : « Il y a plusieurs litiges qui mettent en cause ce membre. La Chambre n’est pas en mesure de fournir quoi que ce soit en lien avec votre demande par respect pour les tribunaux. »