Qu’ont en commun Laure Waridel, cofondatrice d’Équiterre, Éric Salobir, expert en en intelligence artificielle auprès du Vatican et Robert Dutton, ex-PDG des quincailleries RONA? Ils sont tous les trois convaincus que le monde peut devenir meilleur grâce au leadership des conseillers auprès de leurs clients.

Lors de la 4e édition de son rendez-vous de formation ProLab 2023, la Chambre de la sécurité financière a accueilli le 8 juin à Montréal plus de 400 conseillers pour les entretenir d’environnement (Laure Waridel), de technologie (Éric Salobir) et de leadership (Robert Dutton). Les trois conférenciers ont pris la parole à tour de rôle dans une session invitant les conseillers à maximiser leur impact sur leur monde. 

Défi de taille 

Lors de son mot de bienvenue, Marie Elaine Farley, présidente et chef de la direction de la Chambre, a dit que les trois sujets abordés par ces conférenciers touchent de près l’évolution de la pratique de ses membres. « Des sujets grâce auxquels vous pourrez maximiser votre impact sur votre communauté et dans la société », a-t-elle souligné. 

La PDG de la Chambre a ajouté que s’adapter rapidement et maintenir les meilleures pratiques dans une industrie en profonde mutation est un défi de taille, « surtout lorsque l’on sait que l’industrie des services financiers sera l’une des plus touchées par les changements climatiques et technologiques ». 

Président du conseil d’administration de la Chambre, Gino-Sébastian Savard a lancé pour sa part que les conseillers financiers sont aux premières loges d’un monde en mouvement. « Notre environnement change, mais nous pouvons guider les changements pour qu’ils soient au bénéfice de tous, autant le nôtre que celui de nos clients. C'est à nous d’en tirer le meilleur parti », croit M. Savard. 

Conseillers au pouvoir 

 

Chacun et chacune d'entre vous avez un pouvoir d’action infiniment plus grand que vous pensez, pour influencer la suite du monde – Laure Waridel 

À l’amorce de la première conférence, Laure Waridel a ébranlé son auditoire avec d’inquiétants propos sur l’environnement et les changements climatiques, sur fond d’incendies de forêt encore difficiles à maîtriser au Québec et ailleurs au Canada. En date du 8 juin 2023, plus de 4,2 millions d’hectares (ha) de territoires forestiers avaient été rasés par le feu au Canada, dont plus de 801 000 ha au Québec.

Mme Waridel a soulevé le rôle que peuvent tenir les conseillers financiers pour sensibiliser leurs clients. « Chacun et chacune d’entre vous avez un pouvoir d'action infiniment plus grand que vous pensez, pour influencer la suite du monde. Parce que l’investissement est véritablement le point de départ, mais aussi le point d’arrêt de n’importe quel grand projet économique », lance l’écosociologue.

Titulaire d’un doctorat de L'Institut de hautes études internationales et du développement de Genève en philosophie, anthropologie et sociologie du développement, Laure Waridel agit entre autres à titre de conseillère stratégique au Centre interdisciplinaire de recherche en opérationnalisation du développement durable. Elle est également conseillère spéciale auprès du cabinet d’avocats Trudel Johnston & Lespérance (TJL), spécialisé dans les recours collectifs liés à l’environnement et à des causes sociales. 

Mme Waridel souligne l’urgence de poser des gestes radicaux pour réduire les émissions de gaz à effet de serre (GES). Selon elle, cette mission va de pair avec la mission de protection du public de la Chambre de la sécurité financière. « Elle nous amène à réfléchir plus largement aux notions de sécurité, de risques et de valeurs », dit-elle.

Rendez-vous manqué 

Une page de sa présentation à l’écran rappelle que l’Organisation des Nations unies (ONU) signalait déjà il y a trois ans que l’objectif de limiter le réchauffement climatique à 1,5 °C d’ici 2050 « sera hors de portée si des actions radicales ne sont pas mises en place dès 2020 ». Laure Waridel mentionne qu’un tel degré de réchauffement entraînerait des dommages irréversibles à la santé, selon de récentes recherches.

Les personnes nées récemment seront les plus affectées, dit Laure Waridel qui insiste sur la date butoir de 2050 qui sera bientôt atteinte. « Nos enfants seront affectés par les actions que nous prenons aujourd’hui et surtout par celles que nous ne prenons pas », prévient-elle. Selon Mme Waridel, le monde se dirige davantage vers un réchauffement de l'ordre de 2,8 °C. Un ordre de grandeur qui pourrait selon elle s’étirer jusqu’à 4 °C, au vu des engagements de réduction non tenus jusqu’à maintenant par le Canada et d’autres pays. 

Au-delà du profit et du PIB 

Mme Waridel invite son auditoire de conseillers à se questionner sur chacune de leurs pratiques et sur le profond changement de paradigme requis pour sauver la planète. Elle dénonce la vision économique à court terme axée sur une recherche du profit qui ne tient pas compte des coûts environnementaux d’un projet d’infrastructure ni de la capacité des écosystèmes à l’accueillir.

Laure Waridel précise que les secteurs du charbon, du pétrole, et du gaz sont ceux qui entraînent le plus d’enjeux environnementaux. Elle relate que l’Agence internationale de l’énergie a recommandé de sortir des énergies fossiles. « Nous n’arriverons pas atteindre les cibles de réchauffement global si on continue à construire des infrastructures qui devront être rentabilisées pendant des décennies », fait-elle valoir. 

L’écosociologue rappelle que la qualité de l’air ou de l’eau n’entre pas dans le calcul du produit intérieur brut (PIB). « Le PIB indique positivement des choses qui ne le sont pas, ajoute-t-elle. Si on rase une forêt et qu’on en exporte le bois, ça va contribuer au PIB, même si la population autour perdra de la qualité de l’air et certains bénéfices de la forêt. Il faut avoir le courage de regarder les coûts à plus long terme », résume Mme Waridel. 

Elle exhorte les décideurs à considérer d’autres indices, tels que l’Indice de développement humain (IDH) du Programme des Nations unies pour le développement de l’ONU ou l’Indice du mieux vivre de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). Plus près de nous, elle mentionne l’Indice canadien du mieux-être (ICM) de l’Université de Waterloo. L’ICM se donne l’objectif de refléter la société canadienne, d’exprimer les différences régionales et culturelles, de les favoriser et de les intégrer dans la matrice du travail. 

Investir autrement 

« L’investissement est l’un des grands secteurs où il est possible d'agir autrement », signale Laure Waridel. Elle revient sur le pouvoir des conseillers. « Vous avez un grand pouvoir quand vous conseillez des personnes, pour tenir compte de leurs valeurs et de la sécurité à moyen et long terme », dit la cofondatrice d’Équiterre.

En faisant référence aux facteurs environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG) que l’industrie de l’investissement affiche à grande échelle, Mme Waridel se réjouit que l’ESG fasse de plus en plus partie des discussions. « L’ESG devrait être la base de tous les investissements », croit-elle. La cofondatrice d’Équiterre invite toutefois les conseillers à suivre de près la politique d’investissement d’un tel fonds, pour que l’ESG ne devienne pas une étiquette qui favorise l’écoblanchiment.

« Il y a moyen d’investir dans des solutions. Énormément d’entreprises veulent accélérer une transition énergétique juste et écologique. L’unité énergétique la plus écologique est celle que nous n’utilisons pas », dit Laure Varidel. Elle dénonce au passage une économie axée sur l’obsolescence programmée qui entraîne une surconsommation énergétique et matérielle. 

Convaincre le 3,5 % 

Laure Waridel prône la sobriété énergétique et matérielle. Elle exhorte le monde à troquer énergies fossiles contre mégawatts et énergies renouvelables. Tous doivent se déplacer autrement, rénover et bâtir autrement, réduire le gaspillage alimentaire.

« En termes d’investissement, on a besoin d’envoyer des signaux pour aller davantage vers une économie circulaire. Plutôt que consommer et jeter, le déchet ou le surplus de l’un devient la matière première de l’autre », explique Mme Waridel. 

Pas besoin de mobiliser la moitié de la population pour infléchir le cours de l’histoire, selon les propos de Laure Waridel. Elle cite en ce sens les travaux de la politologue de la Harvard University, Erica Chenoweth. « Ils ont démontré que 3,5 % de la population qui passe à l’action peut suffire à amener de grands changements politiques », dit-elle. Mme Waridel ajoute que 3,5 %, c’est 1,4 million de personnes au Canada, dont 294 000 au Québec.

Les présentations faites par MM. Salobir et Dutton seront l’objet d’articles à paraître dans les prochains jours dans le Portail de l’assurance