Le 23 août dernier, le comité de discipline de la Chambre de la sécurité financière a déclaré la culpabilité de deux conseillers en sécurité financière dans une décision conjointe réunissant les deux dossiers et comptant trois chefs d’accusation. Les sanctions seront déterminées à la suite d’une prochaine audience. 

Christian Boucher (certificat no 104 298, BDNI no 1432831) a été déclaré coupable des deux chefs d’accusation, tandis que son collègue Martin Lachance (certificat no 118 002, BDNI no 1662021) est coupable d’une infraction similaire à celle du premier chef de la plainte contre l’autre intimé.

Les plaintes ont été déposées le 23 juin 2020 et la preuve a été entendue durant trois jours en janvier 2021. 

Pour le chef d’accusation similaire dans les deux dossiers, l’infraction retenue est proscrite par l’article 16 du Code de déontologie de la Chambre dans le cas de l’intimé Boucher et par l’article 16 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers dans la plainte contre l’intimé Lachance. 

On reproche aux intimés d’avoir transmis à leur client (L.B.) des renseignements faux, incomplets ou inexacts quant aux frais de gestion applicables à ses investissements détenus chez Placements CI. Ces gestes ont eu lieu entre mai 2015 et décembre 2016. 

Les intimés ne nient pas les faits, mais ils estiment avoir bien involontairement commis une simple erreur, laquelle ne constituerait pas une infraction déontologique, selon eux. Si le comité estime qu’il s’agit d’une telle infraction, ils y opposent une défense de diligence raisonnable. 

Au second chef d’accusation de la plainte contre l’intimé Boucher, ce dernier est coupable d’avoir agi en faisant preuve d’un manque de professionnalisme et de modération, en dénigrant un autre représentant auprès du même client et en faisant pression sur ce dernier pour qu’il lui transfère la gestion de ses investissements chez Placements CI. Ces gestes ont eu lieu entre mai et décembre 2016. 

Le contexte 

L’autre représentant du consommateur mentionné dans le second chef de la plainte contre l’intimé Boucher est celui qui a porté plainte auprès de l’Autorité des marchés financiers. Au moment des faits, le client et ce représentant (L.H.) entretiennent une amitié soutenue depuis plus de 30 ans. L.H. est même le parrain d’une des filles du consommateur. 

En 2008, le client transfère au cabinet Investia Services financiers, aux soins de L.H., la totalité des actifs détenus chez Gestion MD. Le portefeuille du client s’élève, durant la période concernée par la plainte, à près de 5 millions de dollars (M$). 

Les deux intimés travaillent au sein du même cabinet que L.H. L’intimé Boucher détient un certificat de représentant de courtier en épargne collective jusqu’en 2014 et travaille dans l’industrie depuis 1995 au sein de plusieurs cabinets. Il détient un certificat en planification financière de 2004 à 2019. 

De son côté, l’intimé Lachance détient un certificat en assurance de personnes et en planification financière au sein d’un autre cabinet, ainsi qu’au titre de représentant de courtier en épargne collective dans le même cabinet que son collègue. 

En 2012, le cabinet de l’intimé Boucher achète la clientèle en assurance de personne d’un autre courtier (C.F.). La clientèle compte plusieurs professionnels, dont le client mentionné dans les deux plaintes. Ce dernier est rencontré par l’intimé Boucher en compagnie de C.F. en mars 2015. 

L.H. encourage son client à rencontrer l’intimé Boucher pour parler de planification financière. En mai 2015, les deux intimés présentent leur offre de service pour gérer le portefeuille de placements de L.B. 

Frais déductibles 

Les intimés ont déterminé que seuls les frais de courtage peuvent faire l’objet d’une déduction fiscale. Ils tiennent alors pour acquis que les déductions inscrites à la déclaration de revenus de L.B. correspondent aux frais de courtage de L.H., d’où leur intérêt de comparer les frais payés par le client à ceux inscrits à sa déclaration fiscale. 

Ils utilisent ensuite des données fournies par Placements CI pour préparer leur offre de services et proposer des frais de gestion de 0,79 %, incluant les frais de courtier pour l’ensemble du portefeuille. Informé par le client de l’écart, le représentant L.H. indique que les frais de gestion sont de 1,31 %, taxes incluses. 

En mai 2015, le client informe l’intimé Boucher qu’il doit répondre aux questions de l’Agence du revenu du Canada (ARC) concernant les déclarations de sa société pour les années 2012 à 2014, au sujet des déductions des primes d’une police d’assurance vie. Il s’informe auprès du même intimé de la possibilité d’un gain en capital advenant le transfert de ses fonds de placement. 

Durant les mois suivants, les intimés poursuivent leurs échanges avec L.B. sur la question des frais. En avril 2016, L.H. répète au client qu’il n’existe pas de frais cachés sur ses comptes, contrairement à ce que les intimés avancent. 

En novembre 2016, L.B. se plaint par écrit auprès du cabinet du représentant L.H. où il déplore les frais qu’on lui impose, mais en utilisant les données fournies par l’intimé Boucher. Un mois plus tard, ce dernier confirme que les calculs soumis par L.H. et son cabinet sont exacts. L.B. retire sa plainte. 

Parallèlement, l’épouse de L.B., laquelle avait confié la gestion de ses actifs aux intimés, demande à ceux-ci de ne plus intervenir dans ses investissements. La relation entre le client et L.H. est entachée par la plainte, et même si le consommateur insiste, le représentant refuse de reprendre les comptes.

En novembre 2017, insatisfait des pourparlers entrepris avec les intimés en vue d’un règlement, L.H. dépose une demande d’enquête à l’Autorité des marchés financiers et enregistre aussi une poursuite civile. 

Gravité certaine 

La jurisprudence définit la faute déontologique, laquelle doit s’éloigner de manière importante du comportement acceptable de la part du représentant. Si cet écart n’est pas inacceptable, il n’y a pas de faute déontologique, explique le comité. 

L’infraction reprochée aux intimés au chef 1 de leur plainte respective est de responsabilité stricte. Il n’est pas nécessaire de prouver l’intention coupable.

Selon la preuve soumise, les intimés ont bel et bien fourni des informations fausses, incomplètes ou inexactes à L.B. concernant les frais de gestion applicables à ses investissements détenus chez Placements CI, indique le comité. 

Leur prémisse de départ, basée par la déclaration de revenus de L.B., était erronée. Les intimés ne vérifient même pas l’annexe 4 qui fournit les précisions sur les frais. Leur estimation sur les frais de gestion et de courtage se révèle tout aussi erronée. La première évaluation faite par les intimés « se révèle donc déficiente et trompeuse ». 

L’intimé Lachance juge même trop aride la lecture du prospectus simplifié de la firme de placements, même s’il détient une maîtrise en finances, ce qui surprend le comité. Le prospectus est l’outil de base que doit utiliser tout représentant pour bien conseiller son client. S’il l’avait consulté, l’intimé Lachance aurait constaté l’inexistence de frais de gestion pour la série « I » de Placements CI. 

À partir de mai 2016, après avoir pris connaissance des précisions fournies par L.H. au client, les intimés « continuent de refuser l’évidence et s’acharnent à produire des évaluations erronées » des frais de courtage de L.H. La correspondance nombreuse avec Placements CI pour déterminer la nature des frais montre le même acharnement de la part des intimés. 

Si l’erreur de départ a pu être commise de bonne foi, « la suite révèle un comportement non seulement insouciant, mais négligent de leur part, voire un aveuglement volontaire », écrit le comité au paragraphe 100 de la décision de 29 pages. 

Leur façon d’agir dépasse le comportement non souhaitable de la part d’un professionnel placé dans les mêmes circonstances. 

Le comité rejette aussi la défense de diligence raisonnable des intimés en citant des jugements associés à des décisions disciplinaires. 

Chef 2 

Concernant le chef 2 de la plainte contre l’intimé Boucher, le comité estime que la volumineuse preuve documentaire et testimoniale démontre de façon prépondérante que l’intimé a dénigré L.H. durant la période mentionnée. Le client a même porté plainte contre son représentant après avoir accepté les déclarations de l’intimé, toujours sur la question des frais. 

Par ces propos répétés, insinuations mensongères ainsi que sa grille de frais erronée et exorbitante, l’intimé Boucher exerce bel et bien une pression indue sur L.B. afin qu’il transfère la gestion de ses investissements vers son cabinet. Il participe même à la rédaction de la plainte de L.B. faite au cabinet de L.H. 

« Qui plus est, par ses corrections, M. Boucher s’applique davantage à retirer ou à modifier les passages qui seraient de nature à lui nuire », lit-on au paragraphe 129. 

Le comité ordonne l’arrêt conditionnel des procédures à l’égard des autres alléguées au soutien des plaintes.