Le projet de loi fédéral C-64 créant le régime national d’assurance médicaments a été adopté ce mardi 18 juin 2024 au soir en deuxième lecture par le Sénat, mais la confusion persiste autour d’un aspect capital. Sera-t-il à payeur unique comme le prévoit la loi ou permettra-t-il aux assureurs privés de continuer à offrir leur propre couverture de médicaments comme le permet le Québec avec son régime mixte ?

On ne connaît toujours pas les intentions précises et finales du gouvernement Trudeau et de son ministre fédéral de la Santé, Mark Holland, sur cette question. 

Une sénatrice s’interroge 

Lors d’un discours devant ses pairs le 11 juin dernier, la sénatrice ontarienne Rosemary Moodie, une partisane d’un régime à payeur unique,a à son tour soulevé le flou qu’entretient le gouvernement sur cette question. 

« Ma première réserve est liée à la grande ambiguïté présente dans le projet de loi, a-t-elle déclaré. On ne sait pas vraiment, de prime abord, si le projet de loi C-64 conduira à un véritable système à payeur unique administré par l’État ou s’il se contentera de combler les lacunes de sorte que “l’accès universel” deviendra un terme générique englobant le régime public et les régimes privés. » 

L’objectif est-il de combler les lacunes ou d’offrir une couverture universelle à tous, qu’ils disposent ou non d’un régime privé, a soulevé la sénatrice ? La séance d’information technique à laquelle elle a participé une semaine plus tôt avec des fonctionnaires du ministère de la Santé n’a pas apporté les réponses ou éclaircissements qu’elle espérait. 

« On ne sait pas exactement si le gouvernement a l’intention de procéder à une refonte en profondeur ou simplement d’élargir ce que font déjà les provinces », a déploré Mme Moodie. « Je me demande si le gouvernement est réellement déterminé à suivre une voie précise ou s’il veut laisser la porte ouverte pour changer d’orientation et appliquer des principes différents au fil du temps. »

« Contrairement aux régimes publics, les assureurs privés n’ont pas d’incitatifs qui les motivent à abaisser les coûts, à réduire au minimum les frais administratifs ou à inciter les fabricants à optimiser le rapport coût-efficacité des médicaments, a ajouté Mme Moodie. Soyons clairs, je ne cherche pas à diaboliser les assureurs privés, loin de là. Je considère qu’il est important de souligner que, en tant qu’entreprises, leurs intérêts sont nettement différents de l’intérêt du public. Cela dit, je recommande fortement à tous mes collègues de veiller à ce que le régime d’assurance médicaments relève de l’administration publique. » 

« Les Canadiens auront le choix » 

L’incertitude autour d’un régime à payeur unique ou pas persiste malgré les déclarations faites à la Chambre des communes par le secrétaire parlementaire du ministre fédéral de la Santé, Yasir Naqvi, le 3 juin dernier. 

Un peu plus tôt, le député conservateur albertain Damien Kurek avait exprimé les inquiétudes d’une partie de ses électeurs que le projet de loi C-64 entraîne la disparition de la couverture offerte par les assureurs privés.

En réponse, M. Naqvi a répondu : « Aux termes de ce projet de loi, les Canadiens auront le choix. Le député a demandé une réponse directe et je la lui donne. Le ministre a très clairement dit que le choix demeure (…). Chaque personne qui bénéficie d’une assurance privée aura le choix de la garder. En fait, cette mesure a également l’appui des compagnies d’assurances privées et des organismes comme Diabète Canada. On le leur a assuré et ils ne voient dans le projet de loi aucune disposition qui vise à retirer les régimes d’assurance privés. Le projet de loi est structuré ainsi et les Canadiens de partout au pays pourront continuer d’avoir recours à leur régime d’assurance privée, s’ils le souhaitent ». 

Après des déclarations aussi claires provenant de l’adjoint du ministre fédéral de la Santé, pourquoi un imbroglio subsiste-t-il toujours autour du maintien de la contribution des assureurs privés à la fourniture des médicaments ?

La réponse tient au fait qu’aucun amendement en ce sens n’a été apporté au texte du projet de loi C-64 et qu’il parle toujours et uniquement d’un régime à payeur unique. Tant que la situation n’aura pas été clarifiée définitivement par le ministre fédéral de la Santé, ce cafouillis va persister. 

« Comme le régime fédéral d’assurance dentaire, c’est un régime très mal ficelé », commente-t-on du côté du Bloc québécois. 

Refus de participation 

Il y a du sable dans l’engrenage à d’autres niveaux. Le gouvernement conservateur provincial de l’Alberta a déjà fait savoir il y a plusieurs semaines qu’il refusera de participer à un régime national d’assurance médicaments et qu’il se limitera à encaisser la contribution financière à laquelle il aura droit de la part d’Ottawa.

« Nous retrouverons-nous dans une situation absurde où les Albertains devront se rendre en Colombie-Britannique ou en Saskatchewan pour obtenir gratuitement de l’insuline et des stérilets, ou est-ce que cette solution serait contraire aux règles ? Les groupes de femmes et les familles dont les membres sont atteints de diabète finiront-ils par faire passer des médicaments et des fournitures médicales en contrebande aux frontières de l’Alberta ? », s’est indignée la sénatrice Paula Simons devant le Sénat le 12 juin.