Cinthia Duclos

Valeurs mobilières, assurance de personnes, planification financière : ces domaines offrent certains produits similaires, parfois même identiques, mais leur encadrement, et donc la protection des épargnants, est à géométrie variable. 

Ce n’est pas une situation à l’avantage des consommateurs et il faudrait tendre à plus d’harmonisation dans cette industrie du conseil en investissement, ainsi qu’à un meilleur encadrement des cabinets d’assurance et de leurs dirigeants. 

C’est l’une des thèses que soutient Cinthia Duclos, professeur de droit à l’Université Laval, directrice du Laboratoire en droit des services financiers (LABFI) et co-auteure de Droit des services d’investissement – Encadrement des intermédiaires financiers et protection des épargnants, un ouvrage de plus de 800 pages lancé en mars. 

Toute la démarche de cette avocate est focalisée sur un point : la protection des épargnants. On remarque, dit-elle, que les normes varient selon les différentes catégories d’investissements. De manière générale, celles qui s’appliquent aux valeurs mobilières sont plus détaillées que celles applicables à l’assurance de personnes. Ce constat est surtout vrai pour les entreprises et leurs dirigeants. Du côté des représentants, l’asymétrie est toutefois moins grande.

Cet écart, notamment dans l’encadrement des entreprises et des dirigeants, soulève des enjeux. Le consommateur qui investit dans un contrat individuel à capital variable (CICV) proposé en assurance de personnes, un produit qui présente plusieurs similitudes avec les titres d’organismes de placement collectif (OPC) offerts par les intermédiaires du courtage en placement, ne fait pas affaire avec une entreprise et des dirigeants encadrés de manière aussi spécifique et rigoureuse que s’il avait opté pour un produit en valeurs mobilières.

C’est l’une des incohérences en termes de protection des épargnants qui sont observées dans cette industrie.

Encadrement harmonisé entre les catégories 

Cinthia Duclos juge que l’encadrement actuel des intermédiaires comporte des lacunes qui résultent principalement de son fractionnement. Cette fragmentation se manifeste par la pluralité des catégories d’inscription, des disparités dans les contenus réglementaires et dans les mécanismes d’inspection, de discipline ainsi que de règlement des différends et d’indemnisation. 

« Un exemple de cette disparité est l’imposition de l’obligation de convenance. Cette norme est imposée tant au représentant en épargne collective qu’au conseiller en sécurité financière, mais elle est moins définie dans le corpus de l’assurance de personnes et son étendue est plus restreinte ; elle ne s’étend pas explicitement à l’entreprise et aux dirigeants, ce qui est pourtant le cas en valeurs mobilières », indique Mme Duclos en entrevue avec le Portail de l’assurance.

Dans ce contexte, elle propose l’adoption d’une approche holistique selon laquelle l’ensemble des intermédiaires des différentes catégories des services financiers devraient être assujettis à un encadrement uniforme ou harmonisé, afin d’offrir une protection égale aux épargnants.

« On ne veut pas dire que ça prend la même loi et y mettre tout le monde. Mais il faut que les deux encadrements, tout en étant distincts, offrent les mêmes normes de conduite, contiennent les mêmes exigences et donnent la même protection aux consommateurs. Ce n’est pas le cas actuellement » explique-t-elle. 

Une approche holistique des acteurs 

Cette approche doit aussi viser les trois groupes d’acteurs impliqués dans la prestation des services, soit les entreprises, leurs dirigeants et les représentants. 

Sur ce point, elle se base sur ses études doctorales qui ont mis en relief le rôle crucial des entreprises et des dirigeants dans la protection des épargnants. 

« Que l’on se comprenne bien. Je ne veux pas que tout le poids du monde repose sur les épaules des dirigeants, mais ce sont eux qui construisent leur société et induisent la culture d’entreprise, dit-elle. Il faut en tenir compte. J’ai passé dix ans à documenter le rôle des dirigeants. Leur influence est certaine dans les services financiers, comme dans d’autres secteurs. » 

« Quand il y a un écrasement d’avion, c’est rarement juste la faute du pilote. Il peut y avoir un manque de formation de l’équipage et un mauvais entretien des appareils, découlant de l’adoption d’un budget restreint à ces égards et d’un manque d’intérêt pour la sécurité par la haute direction de l’entreprise », ajoute Mme Duclos. 

Pour l’entreprise, elle rappelle que c’est avec elle, et non le représentant, que le client contracte au sens de la loi. Il faut donc un encadrement à la hauteur des attentes des épargnants qui remettent à ces cabinets et sociétés un pouvoir sur leurs économies, dans le contexte des services d’investissement. 

L’enjeu principal en assurance de personnes 

En ce moment, les représentants en assurance de personnes sont encadrés par la Chambre de sécurité financière (CSF), mais la CSF ne peut pas intervenir sur les dirigeants ni sur les entreprises. Ces derniers relèvent de l’Autorité des marchés financiers (AMF) et du Tribunal administratif des marchés financiers (TMF) pour le volet déontologique et disciplinaire.

« S’il y a un enjeu en assurances, renchérit-elle, c’est au niveau des cabinets et des sociétés où la marge est sans commune mesure avec celle des valeurs mobilières (…) Dans ce secteur, toutes les principales obligations qui visent la prestation en soi du service, dont l’obligation de convenance, ne sont pas imposées seulement à la personne physique, mais aussi à l’entreprise », indique Cinthia Duclos.

« En assurance, il n’y a pas autant cette reconnaissance que la convenance et les autres normes sont autant l’affaire de l’entreprise que du représentant », précise-t-elle. Ce qui lui fait dire que le volet organisationnel dans le domaine de l’assurance de personnes est significativement plus faible comme encadrement au niveau de la protection des épargnants.

L’une des explications est l’absence d’organisme d'autorégulation (OAR) qui encadre les entreprises et leurs dirigeants. Parce que sa compétence est restreinte aux aspects individuels de la prestation de services, déplore l’avocate, la CSF n’a pas le pouvoir d’enquêter sur l’environnement de travail dans lequel le représentant évolue.

Si elle décèle des manquements de nature organisationnelle, elle ne peut imposer de sanctions ni à l’entreprise ni aux dirigeants qui auraient, par exemple, manqué à leurs obligations de surveillance à l’égard de ce représentant. Elle doit plutôt communiquer cette information à l’AMF. 

Une situation difficile à comprendre pour Mme Duclos. « Pourquoi l’approche englobante retenue en valeurs mobilières pour assurer la protection des épargnants, avec un OAR, soit l’Organisme canadien de réglementation des investissements (OCRI), responsable à la fois de l’encadrement déontologique et disciplinaire des entreprises, des dirigeants et des représentants, n’est-elle pas pertinente en assurance de personnes ? », se demande-t-elle.

L’entrevue avec Mme Duclos a été réalisée le 8 avril, soit le jour de l’annonce du projet de fusion de la Chambre de la sécurité financière et de la Chambre de l’assurance de dommages, issu d’une réflexion amorcée en janvier 2023 à la suite de la création de l’OCRI, justement. Appelée à réagir le lendemain, l'avocate a indiqué par courriel : « Ma réflexion au sujet de la possibilité d’inclure les cabinets et les dirigeants sous l’encadrement d’une chambre demeure entière et pertinente. » 

Faire encadrer cabinets et dirigeants par la CSF 

L’avenue que Mme Duclos propose serait de confier l’encadrement des cabinets et de leurs dirigeants à la CSF, ce qui supposerait que l’AMF lui délègue cette responsabilité. Dans un tel scénario, les pouvoirs de la Chambre seraient élargis afin de la reconnaître comme OAR à l’égard des cabinets, leurs dirigeants et leurs représentants exerçant leurs activités au Québec.

En cas de plainte de clients, la CSF serait capable d’examiner toute la chaîne. Par ailleurs, l’AMF conserverait tous ses pouvoirs et pourrait encore intervenir au besoin. Cette proposition est sujette à des ajustements selon les changements qui sont proposés par le projet de loi 92, précise-t-elle.

Pas une seule loi 

Lors d’un congrès récent à Toronto, le président canadien de l’Association canadienne des compagnies d’assurances de personnes (ACCAP), Stephen Frank, a indiqué que les projecteurs des régulateurs sont maintenant tournés vers l’assurance. Il prévoit que dans 5 à 10 ans, l’encadrement en assurance de personnes ressemblera à celui des valeurs mobilières.

C’est en quelque sorte le souhait que Cinthia Duclos émet, tout en soulignant que l’harmonisation ne doit pas se traduire par un simple calque du modèle en valeurs mobilières.

Même si elle prône une harmonisation des règles dans l’industrie, elle ne croit pas toutefois que l’on aura un jour une seule loi qui va encadrer l’ensemble des services d’investissements au pays puisque l’encadrement des secteurs de l’assurance de personnes et celui des valeurs mobilières ne répondent pas à la même dynamique à l’échelle canadienne.