Le torchon brûle depuis un moment entre l’Autorité des marchés financiers et deux associations étudiantes regroupant environ 14 000 étudiants. Dans un jugement rendu le 15 novembre 2021, la Cour supérieure avait accueilli les arguments de l’Autorité pour obliger les associations à cesser de vendre de l’assurance à leurs membres. Celles-ci en ont ensuite appelé du jugement. 

Une décision rendue par la Cour d’appel du Québec le 31 mars 2023 a toutefois confirmé la décision de première instance de forcer les deux associations à cesser ces activités. 

Origine de l’injonction  

La Cour supérieure avait accueilli la demande en injonction permanente de l’Autorité des marchés financiers à l’encontre de deux associations étudiantes de l’UQTR. Selon l’injonction, l’Association générale des étudiants de l’UQTR (AGEUQTR) et l’Association générale des étudiants hors campus de l’UQTR (AGÉHCUQTR) devaient cesser toute activité d’assurance visée à l’article 21 de la Loi sur les assureurs. Elles avaient alors trois mois pour le faire. 

L’article 21 de cette loi dispose que « l’autorisation de l’Autorité est nécessaire à l’exercice, au Québec, de l’activité d’assureur dès lors qu’elle constitue l’exploitation d’une entreprise, et ce, sans égard aux autres activités que peut exercer l’exploitant ». 

La Cour supérieure avait également ordonné au cabinet d’assurance collective Groupe Major de cesser d’agir à titre de tierce partie administratrice à l’égard des régimes d’autoassurance mis en place par les deux associations étudiantes, dans les trois mois suivants le jugement.

Le tribunal ordonnait par ailleurs aux deux associations de rendre compte à l’Autorité de toutes sommes accumulées dans leurs régimes facultatifs et complémentaires d’assurance collective santé et dentaire. Il notait au passage que l’offre d’assurance à ses membres avait profité aux associations. En 2020, l’AGEUQTR en a tiré un solde net supérieur à 500 000 $, et l’AGÉHCUQTR un solde net de plus de 100 000 $.  

Analyse solide 

La décision rendue par les juges Guy Gagnon, Geneviève Marcotte et Stéphane Sansfaçon, de la Cour d’appel, vient confirmer la décision de la Cour supérieure, district de Québec, rendue par la juge en première instance, Claudia P. Prémont

Selon eux, les associations (les appelantes) n’ont pu démontrer que la juge en première instance a erré en refusant d’assimiler leurs activités à celles de régimes d’autoassurance dont l’exploitation n’est pas soumise à l’autorisation de l’Autorité. La Cour d’appel se range ainsi derrière l’analyse qu’a faite la juge en première instance pour qualifier les régimes collectifs des associations de contrats d’assurance au sens de la Loi sur les assureurs

De même, les juges de la Cour d’appel estiment que la juge Prémont ne commet pas d’erreur en concluant que les régimes des associations sont une activité d’assureur constituant une activité économique organisée, donc l’exploitation d’une entreprise au sens de l’article 1525, alinéa 3, du Code civil du Québec

Pas d’autoassurance 

La Cour d’appel estime que la juge en première instance n’a pas non plus erré lorsqu’elle a conclu que les régimes en cause n’offrent pas d’autoassurance, puisque les étudiants membres transfèrent leur risque à leur association, qui les assurent en retour du paiement d’une prime.

« Les sommes accumulées par les appelantes découlant des primes payées par les étudiants membres en vertu des régimes servent en partie à indemniser ces derniers lorsqu’ils soumettent une réclamation pour des soins de santé complémentaire ou dentaire couverts par ces régimes », peut-on lire dans la décision de la Cour d’appel. 

Des réserves à la discrétion des associations 

La Cour d’appel est aussi d’accord avec la juge Prémont, qui estime que les associations n’ont pas démontré qu’elles avaient des contraintes sur la façon d’utiliser les surplus. La décision de la Cour d’appel note ainsi que « la convention conclue entre les appelantes et la mise en cause Groupe Major prévoit expressément que les appelantes peuvent retirer les profits générés par leurs régimes collectifs suivant une décision des deux tiers de leur conseil d’administration, sans pour autant circonscrire l’objet de leur utilisation ».

Selon la Cour d’appel, les profits générés par les régimes des associations à la suite de la perception des primes constituent un bénéfice directement attribuable à leur activité d’assureur. « Elles exploitent conséquemment une entreprise au sens de la jurisprudence et la doctrine », ajoute-t-elle. 

Clients plutôt que membres 

La Cour d’appel valide aussi la conclusion de la juge en première instance selon laquelle les 14 000 étudiants membres des associations et leurs personnes à charge peuvent être considérés comme une clientèle. Ils deviennent clients parce qu’ils sont invités à adhérer aux produits d’assurance santé complémentaire et dentaire offerts par les associations. 

Des régimes à régulariser 

En réponse aux questions du Portail de l’assurance, le porte-parole de l’Autorité, Sylvain Théberge, a signalé que l’injonction n’avait pas cessé d’être en vigueur, « mais nous avions convenu de mesures intérimaires avec les associations pendant les procédures en appel ».

Cette entente prend fin avec le jugement de la Cour d’appel, a-t-il ajouté. « Nous sommes en attente d’un plan d’action de Groupe Major pour la suite. L’objectif est que les régimes soient régularisés le plus rapidement possible », a expliqué M. Théberge. 

Pour sa part, un porte-parole de Groupe Major a dit au Portail de l’assurance n’avoir aucun commentaire à faire pour l’instant. « Les associations étudiantes visées étudient actuellement le jugement et évaluent les options qui s’offrent à elles », mentionne son courriel.