Après avoir prolongé les ordonnances d’une autre période de quatre mois en décembre 2023, le Tribunal administratif des marchés financiers (TMF) a encore accordé trois mois supplémentaires à l’Autorité des marchés financiers pour continuer son enquête concernant les manquements allégués envers Roger Tremblay (certificat no 133 149).
Le TMF a prolongé ces ordonnances dans un jugement rendu le 22 mars 2024 par la juge administrative Antonietta Melchiorre. Celles-ci sont prolongées jusqu’au 26 juin.
L’enquête de l’Autorité a débuté en décembre 2021. Selon l’enquête, l’intimé se serait placé en situation de conflit d’intérêts dans le cadre de ses activités en planification financière en agissant à titre de cofiduciaire de la fiducie créée par son client A.B. et de mandataire de la cliente H.D.B., une personne en état de vulnérabilité vu son âge et sa santé.
La dame est décédée en avril 2023. Dans son rôle de planificateur financier, de conseiller financier, de mandataire et de proche aidant de H.D.B., il était désigné à titre de coliquidateur et d’héritier de la succession, en plus d’administrer le patrimoine du conjoint A.B. et celui de sa cliente. Il avait un accès direct à leurs actifs.
L’intimé aurait effectué des dépenses inexpliquées et injustifiées à la hauteur d’un montant approximatif de 654 000 $ incluant l’achat d’un véhicule récréatif et d’un bateau en son nom personnel.
En décembre 2023, le TMF a prononcé de nouvelles ordonnances de blocage relativement à des sommes détenues ou administrées par le Curateur public du Québec au nom de la cliente décédée. L’Autorité réclamait neuf mois de prolongation, mais le tribunal avait limité cette période à quatre mois.
Depuis les premières ordonnances de blocage prononcées en décembre 2021, celles-ci avaient été prolongées trois fois par le TMF sans contestation de la part de l’intimé. Cependant, il a vivement contesté la dernière prolongation demandée en septembre 2023.
Le jour de la marmotte
L’intimé soutient qu’il a l’impression de revivre « le jour de la marmotte » chaque fois que l’Autorité demande des délais supplémentaires en invoquant les mêmes motifs. Il dit vivre dans une « prison sans barreaux » depuis la première décision rendue en son absence en décembre 2021. Il est privé de son droit de jouir de ses biens depuis 26 mois et il affirme être dépendant de ses proches.
L’avocate de l’Autorité affirme avoir reçu le mandat ferme de la part de ses patrons pour entreprendre des procédures. En conséquence, le TMF rejette la requête de l’intimé Tremblay qui désirait faire déclarer abusive la demande de prolongation.
L’Autorité annonce déjà que son « recours imminent » inclura des ordonnances enjoignant notamment la remise des sommes appropriées sans droit. Le délai lui permettra de déterminer à qui devront être versées les sommes qui font présentement l’objet des ordonnances de blocage.
De nombreuses œuvres caritatives ont été ajoutées à la demande de l’Autorité comme parties mises en cause, car celles-ci seraient apparemment bénéficiaires de la fiducie de A.B.
L’analyse de l’abondante preuve qui comporte plusieurs milliers de pages justifie ce nouveau délai, affirme l’avocate de l’Autorité. L’enquête se poursuit, même si un rapport a déjà été remis au service du contentieux de l’Autorité, afin de compléter la preuve qui sera jointe au recours.
De son côté, l’intimé rappelle qu’une ordonnance ne peut être prolongée indéfiniment sous le prétexte de délais administratifs déraisonnables. Il estime que la décision rendue par le TMF en septembre 2023 imposait un délai à l’Autorité pour conclure son enquête et que toute demande pour la prolonger est « frivole et dilatoire ».
L’avocat de l’intimé fait valoir qu’une sœur de A.B. aurait des droits, conformément au testament, sur les sommes bloquées par le tribunal, contrairement aux mises en cause, et que le laxisme de l’Autorité brime l’exercice de ses droits.
Pour comprendre cet argument, le TMF mentionne que le testament de A.B. prévoit qu’au décès de H.D.B., le résidu de sa succession devait être transmis dans une fiducie au bénéfice de ses frères et sœurs sans représentation. Ce serait uniquement en cas de décès de tous ses frères et sœurs que le résidu serait transmis aux mises en causes dans les proportions précisées.
Motifs
Au paragraphe 61, le TMF rappelle qu’une ordonnance de blocage est une mesure dite « conservatoire » qui permet de préserver le statu quo pendant le temps que l’Autorité enquête sur la situation. « Ces biens et avoirs qui ont été potentiellement acquis ou recueillis auprès d’investisseurs ou d’épargnants d’une manière contraire à la loi sont donc essentiellement protégés et conservés en vue ou au cours de l’enquête de l’Autorité et jusqu’à son dénouement. »
Le tribunal rappelle aussi que « le simple passage du temps n’a pas pour effet d’effacer l’existence de manquements apparents observés par le tribunal » dans sa décision rendue ex-parte en décembre 2021.
La Cour supérieure a déjà abordé le sujet de la complexité d’un dossier dans un jugement rendu en 2022, où elle indiquait : « Dans une affaire complexe ou d’envergure, tous les effectifs doivent être mobilisés pour s’assurer d’un prompt déroulement de l’enquête. »
Même si un rapport d’enquête a été remis au contentieux en mars 2023, le Tribunal « comprend que l’Autorité n’a pas pu déterminer la nature du recours à être institué à l’encontre de Roger Tremblay avant d’effectuer d’autres démarches d’enquêtes. Ces compléments d’enquête ont créé certains délais et ont vraisemblablement eu un impact sur la nature des procédures à être instituées, ainsi que sur les allégations de celles-ci ».
Autres délais
L’implication du Curateur public afin d’ouvrir un régime de protection des biens de la cliente a contribué au délai de l’enquête, tout comme le décès de la cliente. La liquidation de deux patrimoines testamentaires continue d’entraîner des conséquences.
Le TMF juge que l’enquête de l’Autorité est toujours en cours, malgré les prétentions contraires de l’intimé. Lors de la prolongation de quatre mois prononcée en septembre 2023, le tribunal n’a jamais précisé qu’il s’agissait de la dernière prolongation.
Néanmoins, le TMF estime qu’il serait déraisonnable d’accorder la prolongation de neuf mois demandée par l’Autorité. Lors de l’audience tenue à la fin de février, l’Autorité se disait prête à réduire la durée de la prolongation à six mois au lieu de neuf mois.
Une fois les procédures instituées, le tribunal évaluera la progression de l’enquête de l’Autorité, en son « sens large », et se penchera sur les délais de prolongation additionnelle nécessaire pendant cette période dans le but de procéder à l’audition sur le fond de cette affaire le plus rapidement possible.
On interdit toujours à l’intimé de se départir de plusieurs biens immobiliers et véhicules. Les nombreuses institutions financières mises en cause ne peuvent se départir des fonds de la succession ou ceux déposés au nom de l’intimé.
Le TMF précise que la présente décision ne doit pas être interprétée comme empêchant l’exécution des décisions en levée complète ou partielle des ordonnances rendues à cinq reprises en 2022, du mois de janvier au mois de juillet.