Le gouvernement du Québec veut préciser dans un règlement les règles entourant la contribution au fonds d’autoassurance des immeubles en copropriété. Les deux groupes qui font du lobbying pour les syndicats de copropriétaires estiment que le gouvernement doit intervenir pour ramener les assureurs à l’ordre. 

Dès le 15 avril 2022, entreront en vigueur les règles entourant la contribution au fonds d’autoassurance. Dans la Gazette officielle du Québec du 2 février a été publié le projet de règlement no 76358 qui modifie le Code civil du Québec. Ce projet vient modifier le Règlement établissant diverses mesures en matière d’assurance des copropriétés divises, qui touche le fonds d’autoassurance inscrit à l’article 1071.1 du Code. 

L’article 2 du Règlement est modifié par l’ajout, à la fin, de l’alinéa suivant : 

« Toutefois, lorsque la contribution minimale des copropriétaires au fonds d’autoassurance établie en application des paragraphes 1° et 2° du premier alinéa a pour effet de porter la capitalisation de ce fonds à plus de 100 000 $, cette contribution peut être réduite de façon à ce que la capitalisation de ce fonds atteigne au moins 100 000 $. » 

Me Yves Joli-Cœur, du cabinet Therrien Couture Joli-Cœur, souligne que le Regroupement des gestionnaires et copropriétaires du Québec (RGCQ) qu’il a fondé appuie le projet de règlement.

Selon lui, ce changement prouve que le gouvernement n’a pas réglé le problème des montants de franchise déraisonnables dans les polices des syndicats de copropriété. « On a des immeubles qui sont rendus avec des franchises de 250 000 $. Ils subissent quand même des hausses de primes. Rendu à ce montant, on comprend que le syndicat est presque devenu son propre assureur », dit-il. 

Le troisième alinéa de l’article 1073 C.c.Q. indique d’ailleurs que « le gouvernement peut, par règlement, déterminer des cas selon lesquels une franchise est considérée comme déraisonnable ». 

La loi prévoit que le syndicat doit se doter d’un fonds d’autoassurance équivalant à la plus haute franchise. « Nous sommes intervenus pour dire au gouvernement qu’il ne devait pas se rendre là. Demander à un syndicat de copropriétaires de mettre 250 000 $ de côté, ça n’a aucun sens, encore moins s’il doit payer toutes les réclamations qui surviennent », note M. Joli-Cœur.

Me Joli-Cœur souligne que ce changement réglementaire ne règle pas le problème des réclamations qui ne sont pas reconnues lorsque le copropriétaire loue son appartement. « En partant, s’il y a un locataire, ils (les assureurs) ne paient pas. » Il y a quand même 40 % des unités dans la région de Montréal qui sont occupées par des locataires, précise-t-il.

Bulletin spécial 

Avec son collègue Richard LeCouffe, Me Joli-Cœur a publié un « Bulletin spécial copropriétés » qui a été mis en ligne sur leur site condolegal.com, en janvier 2022. Selon eux, les modifications apportées à l’article 1074.2 du Code civil du Québec (C.c.Q.) en mars 2020 n’ont pas donné les résultats attendus.

Le syndicat peut décider de ne pas se prévaloir de la garantie prévue dans son propre contrat d’assurance, par exemple si les dommages sont inférieurs au montant de sa franchise. « Il ne peut toutefois poursuivre le copropriétaire pour les dommages pour lesquels il aurait été indemnisé par son assurance, s’il s’en était prévalu. Comme le montant de la franchise ne constitue pas un dommage pour lequel il aurait été indemnisé, il est logique et normal que le syndicat recherche alors une compensation auprès du copropriétaire à l’origine du sinistre », explique-t-on dans ce bulletin.

Or, les syndicats se heurtent à l’interprétation adoptée par les assureurs en raison du libellé de l’article 1074.2. « Les assureurs ont vite interprété le second alinéa de l’article 1074.2 comme annulant désormais les clauses contenues dans les déclarations de copropriété. Les assureurs soutiennent que ce sont des stipulations qui dérogent au premier alinéa de l’article. De ce fait, ils excluaient toute application de la responsabilité contractuelle qui prévalait auparavant », ajoutent les auteurs. 

Par ailleurs, les assureurs interprètent également les derniers mots du premier alinéa comme une condition essentielle pour être tenus d’indemniser, à savoir la nécessité pour le syndicat de prouver la faute de leur assuré, c’est-à-dire le copropriétaire ou son locataire. 

Cette interprétation stricte des assureurs a plongé plusieurs syndicats dans un déficit d’exploitation récurrent. En plus, ces recours engorgent les tribunaux avec des causes qui n’avaient pas lieu d’être auparavant, déplorent les auteurs du bulletin. Dès 2019, cette situation a mené à la création de l’Association québécoise des gestionnaires de copropriétés (AQGC) et la diffusion d’une pétition visant à corriger l’article 1074.2. 

« Ça fait quand même près de 400 000 polices que les assureurs ramassent. On ne parle pas d’un petit marché. Mais les affaires sont encore meilleures si tu ne paies pas les réclamations », déplore Yves Joli-Cœur lors de son entretien avec le Portail. 

La présomption 

En France, le régime de responsabilité civile est en vigueur depuis longtemps et il y a des assureurs qui sont prêts à couvrir le risque. « S’il y a de l’eau qui coule à partir de la partie privative, il y a présomption que le propriétaire est responsable », indique Me Joli-Cœur. 

Selon lui, la même présomption devrait s’appliquer ici, sinon il serait préférable de revenir à la situation qui existait avant la réforme de 2018, où la responsabilité contractuelle était établie par la déclaration de copropriété. 

Le 8 décembre dernier en commission parlementaire, le ministre des Finances Éric Girard a reconnu la situation et a confirmé que la modification réglementaire est la plus intéressante pour régler le cas du fonds d’autoassurance.

Quant à l’article 1074.2, Éric Girard a reconnu que « les modifications apportées dans l’omnibus budgétaire n’ont pas eu les effets espérés. » Le ministre faisait référence au projet de loi 41 adopté en mars 2020 et qui mettait en œuvre certaines dispositions des discours sur le budget des années 2016 à 2019. 

Des décisions récentes 

Deux décisions récentes ont été rendues par la Cour du Québec dans deux recours intentés par des copropriétaires contre leur syndicat, dans ce cas-ci, le Syndicat de copropriété des Luges à Saint-Jérôme. Le juge Georges Massol du district de Terrebonne a donné raison aux demandeurs contre le syndicat pour des réclamations inférieures à 5 000 $. Les deux appartements avaient été endommagés par l’écoulement d’eau provenant de la toiture à la suite d’un événement météo survenu en mars 2019. 

Dans les deux cas, l’indemnisation avait été refusée par l’assureur qui a expédié les deux demandeurs vers leur syndicat, lequel a refusé d’indemniser les copropriétaires étant donné que la franchise pour chacun d’eux était de 5 000 $. 

Le juge Massol résume ainsi l’état actuel du droit en pareil cas : 

« Le syndicat avait l’obligation d’assurer l’ensemble de l’immeuble, y compris les parties privatives. » 

« En octroyant un intérêt assurable sur les parties privatives et communes au syndicat, le législateur désirait manifestement que celui-ci soit responsable de réparer le sinistre. » 

« Si le syndicat décide de ne pas réclamer l’indemnité, par exemple lorsque des dommages sont relativement minimes, il devient son propre assureur. » 

Le syndicat « aura l’obligation de voir avec diligence à la réparation des dommages causés aux biens de l’assuré ». 

« Que les travaux de réparation aient été payés par le syndicat ou non, ce dernier ne sera responsable que si le copropriétaire n’a pas commis de faute (présumée ou pas). » 

Les dommages provenaient d’un défaut de conception et le copropriétaire a réfuté la présomption établie à l’article 1465 C.c.Q. La clause de responsabilité pour entretien contenue à la déclaration de copropriété n’a pas non plus été enfreinte par le demandeur. Conséquemment, le syndicat devra rembourser cette partie de la réclamation, conclut le tribunal. 

Me Joli-Cœur nous renvoie à une autre décision rendue le 12 janvier 2022 par le juge Luc Poirier, du district d’Iberville de la Cour du Québec, où la demanderesse était le Syndicat de la copropriété L’Envolée. Dans ce cas-ci, le sinistre était attribué à l’une des copropriétaires, laquelle appelait en garantie son assureur.

Le syndicat réclamait le remboursement de 7 190,99 $ pour les réparations reliées à un dégât d’eau survenu en août 2019. Le juge Poirier a appliqué le cadre légal qui était en vigueur avant la modification faite à l’article 1074.2 en mars 2020. Le syndicat devait prouver la faute de la copropriétaire. La responsabilité civile pouvait être repoussée par la simple preuve d’une absence de faute. Le tribunal a rejeté la réclamation du syndicat et l’assureur de la défenderesse n’est pas tenu de payer la facture. 

« Aller à la cour présentement, c’est comme acheter un billet de loterie! », lance Me Joli-Cœur. 

Les changements apportés aux règles touchant les copropriétés par la loi 141 en 2018 ont été graduels.

Intervention demandée 

Dans un communiqué publié le 4 février dernier, l’AQGC exhorte le gouvernement Legault à mettre l’énergie requise pour régler le problème de l’assurance des condos. « Le dysfonctionnement du secteur de l’assurance est définitivement un irritant de trop, un irritant financier important qui doit être réglé rapidement », écrit l’AQGC.

Une pétition de 8 000 signataires a été déposée par l’association le 8 novembre dernier à l’Assemblée nationale du Québec afin que les règles entourant le nouveau régime d’assurance soient changées. 

« Le secteur de la copropriété a besoin d’assureurs qui veulent assurer les immeubles », ajoute l’AQGC. Les primes d’assurance et les franchises qui se pratiquent dans l’industrie rendent la situation intenable pour les syndicats, et malgré cela, les assureurs se retirent de ce marché, selon l’Association.

Le système en place « déresponsabilise l’individu au détriment de la collectivité des copropriétaires. Actuellement, les syndicats se voient dans l’obligation de réparer les dommages causés à l’immeuble sans garantie de se faire indemniser autrement qu’en entreprenant des procédures judiciaires longues et coûteuses », poursuit l’AQGC. 

La correction du libellé de l’article 1074.2 C.c.Q. est nécessaire si le gouvernement veut régler « les vrais enjeux de l’assurance en copropriété » et ramener un régime d’assurance « performant et équilibré pour tous ses acteurs », selon l’AQGC. 

Les réactions de l’industrie et les commentaires des courtiers suivront dans une prochaine dépêche.