La pandémie liée à l’éclosion de la COVID-19 a forcé les restaurateurs après-sinistre à s’adapter rapidement, ce qui a parfois entrainé des frictions sur le terrain. Le Portail de l’assurance a investigué le tout.

Les restaurateurs après-sinistre sont de plus en plus sollicités pour nettoyer les lieux infectés ou possiblement infectés. Ils se sont d’ailleurs mérité quelques remerciements de la part du premier ministre mercredi.

« Quand une personne est infectée ou qu’on soupçonne un cas de COVID-19, c’est nous qui devons tout nettoyer. Souvent ça presse parce que plus personne ne peut intervenir. Souvent, c’est la Santé publique qui l’oblige », a souligné Éric Pichette, président et chef de direction de Groupe Qualinet inc. au Portail de l’assurance.

Chez Groupe Qualinet, les contrats affluent plus que jamais. Dans les 10 derniers jours, le siège social a procédé à l’embauche de 130 nouveaux employés. « Nous avons embauché principalement à Montréal et à Québec pour en venir à bout, mais même là, il rentre plus de cas qu’on est capable d’en faire. Depuis le coronavirus, c’est 200 % d’augmentation du travail, et ce, même si on ne fait que les situations d’urgence. On travaille beaucoup plus. On est en mode embauche plus que jamais », dit Éric Pichette.

« Pour le moment, les mandats pour nettoyer le coronavirus nous viennent des gouvernements, pour les hôpitaux, les écoles et les résidences étudiantes ou de personnes âgées, mais on a aussi des appels pour les chaines de pharmacies, chaines alimentaires, municipalités, casernes de pompier, véhicules de police et ambulances. »

M. Pichette ajoute que les assureurs continuent de leur envoyer des cas de réclamations pour des dégâts d’eau, dégâts d’huile, incendies, etc. « Nous avons aussi reçu quelques cas de clients qui ont été affectés par un dégât d’eau et qui étaient en attente des résultats de leur test de détection de la COVID-19 », mentionne M. Pichette, en précisant que les protocoles d’interventions pour des inondations sont adaptés à la situation de la pandémie.

Un exercice d’adaptation

Pour mener à bien leurs missions et éviter toute contamination croisée, les différents experts n’ont pas eu d’autre choix que de mettre en place de nouvelles mesures et de nouveaux protocoles d’intervention.

« On est un peu dans l’inconnu pour le moment. On ne connait pas bien le virus, même si on sait qu’il peut rester longtemps dans l’air et sur les différentes surfaces, même sur l’acier inoxydable. Toutefois, son enveloppe visqueuse fragile qui lui donne une grande force au niveau de sa contagion est aussi ce qui le rend faible quand on le contre-attaque », dit Daniel Pellerin, PDG de Phoenix, interventions après sinistre.

Chez Tandem, services après sinistre, pour contre-attaquer le coronavirus, le président, Jonathan Dupuis, a fait appel à Gabriel Bélanger-Sauvageau, le président de l’Institut de la qualité de l’air du Québec (IQAQ). Ce dernier a rédigé un protocole d’une douzaine de pages qui s’apparente à celui de l’amiante, c’est-à-dire qu’il nécessite le plus haut niveau de protection, explique M. Dupuis.

« Il n’y a pas de protocole parfait, croit pour sa part Daniel Pellerin. C’est encore nouveau. C’est pour cette raison que c’est l’occasion de mettre en branle notre intelligence collective et de se partager nos recherches. C’est ce qui va faire qu’on va gagner face au virus. »

Un poids sur la logistique

Avec le temps doux viennent la fonte des neiges et la crue des eaux. Bien que les experts s’entendent pour dire que le printemps ne sera pas propice aux inondations, le risque demeure un enjeu saisonnier. Les restaurateurs avec qui le Portail de l’assurance s’est entretenu ont tous mentionné être prêts à faire face à la musique, en toute sécurité.

Là où le bât blesse, c’est au niveau logistique. « Dans l’entreprise, ce n’est toujours pas facile », dit M. Dupuis. Fini le temps où les camions partaient avec 3-4 employés. « Pour être capable de respecter la règle du 2 mètres de distance, maintenant c’est un employé par véhicule. S’ils sont trois, c’est trois véhicules. Ça change totalement la dynamique et les interventions », mentionne M. Dupuis.

Les horaires de travail sont donc remaniés pour limiter les contacts des employés. Les interventions se font donc à toute heure du jour comme de la nuit chez l’ensemble des restaurateurs qui font des interventions d’urgence.

En mode urgence

Chez Paul Davis, la plupart des franchisés gardent l’entièreté de leurs employés. Seul le secteur de la reconstruction est au ralenti, mais la reconstruction d’urgence reste en place, dit le vice-président régional des opérations du Canada, Marc Léger. « Pour le moment tout va bien, mais si la situation devait perdurer et se détériorer, alors peut-être que certains franchisés auront à prendre des décisions difficiles, dans les prochaines semaines », a-t-il ajouté.

Du côté de Groupe Qualinet, les employés de bureau sont en télétravail, la division de nettoyage général, de tapis et de conduis d’air et de ventilations, est fermée depuis vendredi dernier. « Les estimateurs ne sortent plus chez les clients, mais ils répondent encore au téléphone et planifient des rendez-vous pour le mois prochain. Entre temps, on analyse pour voir s’il s’agit d’une situation d’urgence. Si c’est une urgence, on va y aller, sinon ça va être dans un mois », dit Éric Pichette.

« Toutes les 5 minutes, nous recevons un cas de coronavirus. Dans ce lot d’appels, il y a aussi des appels qui sont faits par précaution. Nous sommes un service d’urgence, et c’est ce qu’on fait », ajoute-il.

Une urgence qui varie

Or, le mode urgence n’a pas la même signification pour chaque restaurateur. Chez Tandem, service après sinistre, sur 75-80 employés, le restaurateur n’en garde qu’une quinzaine pour assurer le volet urgence de l’entreprise. Le reste sera en arrêt de travail, a dit son président Jonathan Dupuis, au Portail de l’assurance.

« Tout ce qui est chargé de projet, administration, secrétariat et bureautique est fermé, depuis l’annonce du gouvernement. Mais ces employés pourront toujours faire quelques heures par semaine, soit le maximum permis par le programme d’assurance emploi. Nous étions un secteur qui fonctionnait encore très bien, malgré le contexte de pandémie, confie M. Dupuis, mais là, ça nous touche ! »

Chez Phoenix, on « garde toutes les équipes sur le terrain. Nous avons des employés en télétravail et autour de 10 % de nos employés sont en arrêt de travail », a expliqué Daniel Pellerin.

Le Portail de l’assurance a aussi joint d’autres restaurateurs après-sinistre pour réaliser ce texte, mais ceux-ci ont préféré ne pas répondre à nos questions.

« C’est la guerre ! »

Une source proche des experts en sinistres indépendants et des restaurateurs après-sinistre, mais qui a requis l’anonymat par peur de représailles, affirme que tout n’est pas rose en ce moment dans le domaine du sinistre.

« C’est la guerre ! », affirme cette source. Alors que certains restaurateurs tentent de bonifier leurs tarifs auprès des assureurs, fait remarquer cette source, d’autres coupent dans les couts.

Des assureurs iraient même jusqu’à joindre des franchisés individuels, contournant ainsi les regroupements, corporations ou sièges sociaux de restaurateurs pour faire planer la menace de coupure de volume au détriment de compétiteurs profitant malheureusement de cette opportunité pour se tailler une place chez les grands donneurs d’ouvrage.

Un restaurateur facture en moyenne 45 $ de l’heure par technicien lors d’une intervention d’urgence, indique cette source. Un réseau de restaurateurs offre aux assureurs de le faire à 25 $ pour gagner leurs faveurs, révèle cet informateur. Ce réseau demande actuellement plus cher aux particuliers, entre 55 $ et 125 $ l’heure pour couvrir ses couts d’ensemble.

Le Portail de l'assurance a aussi appris que des assureurs ne fermaient pas la porte aux doléances de certains restaurateurs après-sinistre. Certains réévaluaient leur position hier jeudi et des discussions avaient cours avec des restaurateurs après-sinistre.

Un service essentiel selon la Chambre

Jointe par le Portail de l’assurance, la Chambre de l’assurance de dommages a indiqué être d’avis que les activités des restaurateurs après-sinistre tombent dans la catégorie des services essentiels au Québec.

« Bien qu’ils ne soient pas encadrés par la Chambre, nous sommes d’avis que la portion de leurs activités en lien avec les mesures d’urgence après-sinistre est déjà prévue dans la liste des services essentiels diffusée lundi. En effet, les « firmes de constructions pour réparations d’urgence ou pour fins de sécurité » sont considérées comme un service essentiel », a indiqué sa porte-parole Lisane Blanchard.

Elle a en outre précisée que la Chambre est en étroite communication avec l’Autorité des marchés financiers à ce sujet. « Nous diffuserons toute communication de leur part aux professionnels certifiés », a précisé Mme Blanchard.

Les carrossiers aussi considérés services essentiels

Le Bureau d’assurance du Canada (BAC) a aussi joint le Portail de l’assurance sur cette notion de services essentiels. Le gouvernement québécois a confirmé à l’organisme de représentation des assureurs que les « travaux de réparation de carrosserie et de nettoyage/restauration après-sinistre étaient reconnus comme nécessaires à la prestation des services d’assurance essentiels. »

Dans un courriel destiné au Portail de l’assurance, sa porte-parole Pauline Triplet a ajouté que ces services ne seront pas nécessairement ajoutés à la liste du gouvernement du Québec des activités et services prioritaires. Ils tombent plutôt sous la disposition suivante, qui figure en préambule de la liste : « Toutes les entreprises produisant des intrants ou des matières premières nécessaires aux services et activités prioritaires doivent maintenir leurs activités en conséquence, en tenant compte des directives de la santé publique. »

« Par conséquent, ces entreprises sont jugées nécessaires aux assureurs pour fournir des services adéquats à leurs clients et, à ce titre, elles sont autorisées à exercer leurs activités, tout en respectant tous les protocoles de prévention et de distanciation sociale », a aussi précisé Mme Triplet.

PAR FRÉDÉRIQUE DE SIMONE ET HUBERT ROY

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