Les consommateurs se disent prêts à investir pour augmenter la résilience de leur propriété face aux aléas climatiques. Malheureusement, les constructeurs de maisons semblent réfractaires à leur proposer des produits plus résistants. Les assureurs ont un rôle à jouer pour faire circuler l’information, estiment des experts de l’Institut de prévention des sinistres catastrophiques (IPSC). 

Le 11 juillet dernier, l’établissement de recherche, mieux connu par son nom anglais Institute for Catastrophic Loss Reduction (ICLR), a tenu un webinaire pour présenter les premières conclusions des travaux menés par un groupe de travail portant sur la construction résiliente. Le Portail de l’assurance y a participé. 

L’habitation est le segment d’affaires où les pertes sont les plus importantes lorsqu’un sinistre climatique survient, rappelle Dan Sandink, directeur de la recherche de l’Institut, qui a pour mission de sensibiliser les intervenants à l’adoption des meilleures pratiques de construction. 

L’IPSC offre notamment des guides présentant les matériaux et les techniques de construction accessibles aux constructeurs, permettant d’augmenter la résilience des bâtiments aux extrêmes météorologiques (feux de forêt, vents violents, tempête de grêle et inondations) et, ainsi, de réduire les dommages. 

« Les codes de construction contribuent à empirer l’impact des catastrophes naturelles », observe d’ailleurs Keith Porter, ingénieur en chef de l’Institut et animateur du webinaire. « En construisant au plus bas coût possible, les nouvelles maisons sont encore vulnérables aux aléas climatiques », poursuit-il. 

La formation du groupe de travail 

Après des années à mener des travaux selon le modèle classique du transfert des connaissances académiques, les membres du conseil d’administration de l’IPSC ont suggéré aux chercheurs de modifier leur approche en 2020, explique Dan Sandink.

Produire des guides et suggérer de nouvelles normes aux grandes associations nationales demeure une activité pertinente, nuance-t-il. « Mais nous n’avions pas encore trouvé la manière de rendre tout cela utile et concret à une mise en pratique par l’industrie », résume le chercheur. 

C'est que la grande majorité des nouvelles résidences unifamiliales sont construites par des petites et moyennes entreprises (PME). Ces entrepreneurs en construction sont généralement réfractaires à proposer des matériaux plus résistants aux aléas climatiques. Selon eux, les consommateurs n’en veulent pas si leur utilisation fait hausser le prix de l’habitation, rapporte l’IPSC.

Au début de 2024, les chercheurs de l’Institut, qui est relié à l’Université Western en Ontario, ont alors mis sur pied un groupe de travail sur la maison résiliente. Ils ont mis à contribution l’expertise des représentants de l’industrie de l’assurance et des entrepreneurs en construction membres de l’Association canadienne des constructeurs de maisons (CHBA). 

Le groupe de travail a un mandat de deux ans. Lors du webinaire, Dan Sandink et sa collègue responsable de projets Tamara Mosqueda ont présenté les résultats d’une enquête sur l’intérêt des consommateurs concernant l’adoption de matériaux et de techniques de construction mieux adaptés aux changements climatiques. 

Entre la demande et l’offre

« La réponse classique des constructeurs est que les consommateurs ne demandent pas cela ou ne veulent pas payer plus cher pour augmenter la résilience de leur habitation », rappelle M. Sandink. Autrement, il n’y a pas de véritable barrière technologique à l’implantation des meilleures pratiques. Les matériaux existent.

Or, selon une majorité de répondants de l’enquête de l’IPSC, la tolérance à une facture supplémentaire est d’environ 5 000 $. Lorsque le sujet est creusé, il appert que ce niveau de tolérance varie en fait de 1 % à 5 % du prix de la maison.

Pour les dommages causés par la grêle, les participants de l’étude dans la région de Calgary se disent prêts à dépenser jusqu’à 20 000 $ pour protéger leur habitation.

En d'autres mots, si les consommateurs sont conscients des avantages qu’ils procurent, notamment en matière de couverture d’assurance, ils sont prêts à payer un peu plus cher.

L’ajustement des primes par les assureurs pour les bâtiments mieux construits est certainement un moyen incitatif, selon M. Sandink. Des assureurs comme Aviva, Co-operators et Wawanesa offrent déjà des avenants qui permettent d’augmenter la qualité de la reconstruction après sinistre.

« L’assurabilité de l’habitation est une préoccupation des assureurs et des constructeurs. On ne peut pas vendre une maison qu’on ne peut assurer », résume-t-il.

Un objectif à atteindre graduellement 

Une approche graduelle est mise de l'avant pour faciliter l’implantation de bonnes pratiques de construction, par des méthodes améliorées et supérieures, qui correspondent aux niveaux bronze, argent et or des normes proposées.

D'ailleurs, le niveau bronze permet d’augmenter de manière sensible la résistance des immeubles, sans pour autant augmenter la facture finale de la construction, précisent les chercheurs de l’IPSC. 

À l’intérieur du groupe de travail, rapportent-ils, les représentants de la CHBA ont quant à eux insisté sur le caractère volontaire de l’implantation des méthodes de construction résiliente.

Selon l’Institut, il faut inciter les consommateurs et les constructeurs à adopter de meilleures pratiques. Et pour cela, il est nécessaire de promouvoir les options qui permettent de rendre les habitations plus résilientes, de les rendre attrayantes, observe M. Sandink.

Lors du webinaire, les chercheurs ont cité les propos de Chris Williams, coprésident d’Avalon Master Builder, un promoteur immobilier de Calgary : « Je construis des immeubles à émission zéro carbone parce que la baisse de la facture énergétique compense la hausse de l’emprunt hypothécaire. Si les techniques associées à la maison résiliente permettent de baisser la facture d’assurance du même ordre que le coût supplémentaire, je vais construire des maisons résilientes. » 

D’ici la fin de 2025, l’Institut publiera une étude intitulée L’adaptation au climat semble avoir une valeur marchande qui dépasse largement son coût (Climate adaptation seems to have a market value that greatly exceeds its cost, en anglais). Parmi les auteurs, notons les trois chercheurs ayant participé au webinaire.

L'enjeu de la reconstruction à l’identique 

La couverture d’assurance prévoit de ramener le bien dans son état préalable au sinistre, ce qui signifie... la reconstruction à l’identique. « Est-il possible de reconstruire d’une manière plus robuste sans impact sur la prime ou les garanties offertes? », a demandé le Portail de l’assurance

Dan Sandink explique que l’Institut a précédemment mené un projet intitulé « Insurers rebuild stronger homes ». Ils ont alors pu constater que certains assureurs acceptent d’appuyer les efforts en matière de résilience lors de la rénovation, mais que la barrière du libellé de la police existe bel et bien. La négociation des contrats de réassurance est une option, suggère-t-il. 

En réduisant le coût moyen des réclamations, par le recyclage et la réutilisation de certains matériaux, d’autres assureurs peuvent réinvestir ces économies dans des projets appuyant la construction résiliente.

« Une autre pratique que nous avons constatée est l’avenant facultatif. Wawanesa, par exemple, propose un avenant facultatif permettant de débloquer, je crois, 25 000 $ après un sinistre, afin d’investir dans de meilleurs matériaux », explique le chercheur. 

« D’autres assureurs appliquent ces pratiques par défaut. Ils intègrent donc des mesures incitatives à la résilience après un sinistre – par exemple 2 500 $ pour une toiture, quelque 1 000 $ pour un meilleur revêtement extérieur à Calgary, ou encore 1 000 $ ou plus pour la protection contre les inondations –, simplement par le biais de leurs politiques, ce qui peut impliquer la renégociation des contrats de réassurance », poursuit Dan Sandink. « Nous constatons donc une évolution dans le secteur », dit-il. 

En paraphrasant Paul Kovacs, le fondateur de l’IPSC, M. Sandink indique que « les assureurs doivent s'éloigner du simple versement et paiement des pertes causées par les sinistres et adopter une vision plus globale du risque et de son atténuation afin de garantir l’assurabilité des habitations ». Il précise : « Nous commençons à observer ce phénomène sur le marché et c’est ce que nous souhaitons faciliter. » 

Contre grêle et feux de forêt

Sur la question de la grêle à Calgary, où une tempête a provoqué 3 milliards de dollars (G$) en réclamations en août 2024, M. Sandink souligne que les travaux qui mèneront à un nouveau code canadien du bâtiment comprendront des aspects touchant la construction résiliente. Toutefois, la grêle est considérée comme un problème propre à l’Alberta. 

En conséquence, c’est à cette province de réviser son propre code du bâtiment pour inciter les entrepreneurs à prévenir les dommages contre ce type de sinistre, par exemple en cessant d’utiliser les parements en vinyle. Ceux-ci sont moins chers et affichent un meilleur bilan carbone que des matériaux composites à base de ciment, indique le chercheur, mais ils ne résistent pas à la grêle. 

Un participant du webinaire, dont les propos ont été rapportés par Keith Porter, a raconté son projet de rénovation. Ce propriétaire, qui réside dans la région de Kamloops en Colombie-Britannique, où des feux de forêt ont menacé les habitations en 2023, a obtenu plusieurs soumissions d’entrepreneurs-couvreurs. Familier avec la norme FireSmart, il savait que celle-ci recommande des évents de toiture dotés d’un grillage métallique de trois millimètres pour empêcher les braises de pénétrer dans le grenier. Or, aucune entreprise de toiture locale ne lui a proposé ce type d’évents.

Cette histoire illustre le manque de connaissance, selon M. Porter. L’information sur les produits doit mieux circuler, tranche-t-il.

Dan Sandink souligne que si les entrepreneurs connaissent les produits, ils seront mieux placés pour informer les consommateurs et leur expliquer la pertinence d’investir quelques sommes supplémentaires pour protéger leur habitation. En parallèle, « si les clients demandent le produit, les entrepreneurs le commanderont et les fournisseurs s’ajusteront », conclut-il. 

Keith Porter mentionne que l’Institut travaille à développer une carte interactive sur le web qui permettra aux utilisateurs d’évaluer le type de risque de sinistres naturels qui peut peser sur leur localité. Des liens vers les programmes d’aide existants offerts par les gouvernements locaux, provinciaux et fédéraux y seront ajoutés.