Le Tribunal administratif des marchés financiers (TMF) condamne le cabinet d’assurance de dommages C.J.P. D’Aragon à une pénalité administrative de 30 000 $. Sa dirigeante principale devra aussi payer une pénalité en plus d’être visée par plusieurs ordonnances.
Le jugement du TMF, daté du 13 septembre dernier, vient entériner l’entente intervenue entre l’Autorité des marchés financiers et les parties intimées. L’entente datée du 1er septembre a été présentée devant le tribunal le 11 septembre.
L’Autorité a publié un communiqué à ce sujet le 26 septembre. Le Portail de l’assurance a demandé et obtenu une copie de la décision du tribunal.
En vertu de l’entente avec l’Autorité, le TMF impose aussi une pénalité administrative de 7 000 $ à Chantal D’Aragon. De plus, on lui interdit d’agir à titre de superviseur ou de maître de stage pour une période de trois ans.
Son certificat, qui porte le numéro 108 942, est assorti d’une autre condition qui lui impose d’être rattaché à un cabinet dont elle n’est pas la dirigeante responsable ni l’administratrice pour une période de trois ans. L’intimée est inscrite comme courtière en assurance de dommages.
D’ici le 31 décembre 2023, l’intimée devra suivre et réussir les formations portant sur la « Tenue de dossiers » et sur la « Protection des renseignements personnels » offertes en ligne par la Chambre de l’assurance de dommages. Ces cours ne pourront servir à la comptabilité de ses unités de formation continue (UFC) obligatoires.
L’affaire découle d’une inspection menée par l’Autorité entre les mois de juin et de novembre 2020 et qui couvrait la période du 1er octobre 2018 au 31 mai 2020. Durant celle-ci, plusieurs manquements à la Loi sur la distribution de produits et services financiers (LDPSF) et à sa réglementation ont été constatés.
On accorde aux parties intimées un délai de 90 jours pour payer les pénalités administratives.
Les manquements
On rappelle que l’inspection menée par l’Autorité a été faite à distance en raison des mesures sanitaires alors mises en vigueur. L’entente entre les parties intimées et l’Autorité est jointe en annexe au jugement.
On y énumère les manquements constatés par les inspecteurs de l’Autorité dans le rapport soumis au cabinet le 8 mars 2021. Il y est question de lacunes en matière de supervision à l’égard d’une représentante rattachée au cabinet, de déclaration incomplète transmise à l’assureur concernant un client, de l’offre de produits d’assurance de dommages, de la conduite des affaires, de la tenue de dossiers des clients, du respect des procédures de renouvellement des polices, de l’absence de mise à jour du registre des plaintes, de protection des renseignements personnels, etc.
Le cabinet et sa dirigeante principale reconnaissent avoir commis une dizaine de manquements à la LDPSF et aux règlements qui s’y rattachent. Les parties intimées ont notamment omis de divulguer la concentration du volume d’affaires du cabinet à leurs clients.
Comme cela avait été le cas pour l’autre jugement rendu public la veille par l’Autorité, le TMF indique au paragraphe 16 de sa décision que la liste des manquements est fort longue et note que la responsabilité de Mme D’Aragon, à titre de présidente et principale actionnaire, est grande.
Depuis juillet 2022, le cabinet a été acquis par une autre firme et Mme D’Aragon est désormais rattachée à ce nouveau cabinet et n’agit plus à titre de dirigeante responsable.
Jugement sur requête
L’acte introductif d’instance a été déposé par l’Autorité au tribunal le 14 janvier 2022. En novembre 2022, le TMF a entendu une requête intérimaire qui concernait six demandes distinctes. Les demandes soumises par les procureurs des parties intimées ont été rejetées par le tribunal dans son jugement rendu le 15 février 2023.
Le juge administratif Jean-Pierre Cristel cite une décision de la Cour suprême de 2005 que le standard de divulgation de la preuve ne s’appliquait pas à la justice administrative. Les parties intimées demandaient au tribunal d’ordonner à l’Autorité de fournir « les notes prises par les inspecteurs dans le cadre des interrogatoires avec le cabinet et ses représentants ».
L’Autorité affirme que les notes ayant un lien avec les allégations contenues dans sa poursuite sont intégrées au rapport d’inspection qui a déjà été transmis au cabinet. Le TMF partage l’avis de l’Autorité et estime que cette demande d’obtenir les notes qui ne sont pas incluses dans le rapport d’inspection équivaut à une « expédition de pêche ». Cette demande n’a pas pour objectif de connaître les faits qui sont reprochés aux parties intimées, mais de dévoiler les méthodes d’inspection de l’Autorité qui sont de nature confidentielle.
Le tribunal indiquait alors que l’Autorité reprochait au cabinet l’absence complète d’une politique écrite relativement à la sécurité informatique. Concernant cet aspect et les autres manquements allégués, le TMF rappelait qu’il allait analyser la preuve soumise par l’Autorité et les parties intimées « dans le plus grand respect des règles de justice naturelle et de l’équité procédurale ».
Une inspection, pas une enquête
De plus, le juge Cristel rappelle que les manquements allégués découlent d’une inspection menée par l’Autorité, et non d’une enquête. En conséquence, le tribunal exprime son étonnement de constater que les intimés demandent à l’Autorité de lui transmettre des documents qui proviendraient du cabinet lui-même et dont ils devraient avoir des copies. Si les intimés détiennent d’autres documents qui sont de nature à les disculper, ils n’auront qu’à les soumettre en preuve, souligne le juge administratif.
Le tribunal a tranché de la même manière la demande de précision, la délimitation des débats, le rejet de certaines pièces et la scission des instances. Le juge Cristel répète qu’il prendra connaissance de la preuve et de l’argumentation de l’Autorité lors de l’audience et que les intimés auront l’occasion de présenter leur preuve et leurs arguments en plus de contre-interroger tous les témoins que l’Autorité fera entendre.
« Le tribunal est parfaitement capable d’apprécier ce qu’est une allégation vague et sans fondement ainsi qu’une preuve prépondérante », écrit le juge Cristel en rejetant la troisième demande portant sur la limitation des débats.
Concernant la demande sur le rejet de certaines pièces, le tribunal cite le procureur de l’Autorité qui précise que l’inspection n’a pas pour objectif de découvrir une contravention à la loi, mais simplement de vérifier que les activités professionnelles des intimés dans le domaine de l’assurance respectent les dispositions législatives et réglementaires.
Selon le TMF, l’inspection régulière des intermédiaires financiers est l’un des principaux mécanismes mis en place afin de protéger, dans l’intérêt public, les consommateurs de produits d’assurance et assurer l’intégrité stratégique des assurances dans le secteur des services financiers.
La cinquième demande de la requête visait à scinder l’audience en deux parties, soit une première partie pour déterminer si les intimés ont commis les manquements et, le cas échéant, une deuxième partie ayant pour but de déterminer si le tribunal doit prononcer les ordonnances décrites dans les conclusions de l’acte introductif d’instance.
Au paragraphe 94, le tribunal rappelle qu’il n’est pas un comité de discipline. Afin de simplifier et d’accélérer l’administration de la justice, il est usuel pour le TMF de procéder en un seul temps. Il apparaît important pour le tribunal de procéder le plus rapidement possible à l’audition au mérite du dossier.
Comme les cinq premières demandes ont été rejetées, la sixième est devenue sans objet. « Le législateur a établi qu’il n’est pas approprié pour le régulateur de se contenter d’attendre — que des consommateurs se soient fait escroquer ou que des manquements majeurs à la loi par des inscrits dans le domaine des assurances leur causent un préjudice ou les exposent à des risques indus — pour intervenir », conclut le juge Cristel.