Pour attirer les talents en assurance, les employeurs doivent combattre un certain nombre de préjugés sur l’image de l’industrie. Cet effort de marketing peut même les aider à convaincre les plus jeunes consommateurs à l’égard de la valeur des produits d’assurance.
Dans le cadre de la journée InsurTech Québec tenue au début avril, trois experts ont présenté les moyens qu’ils emploient pour recruter des talents en innovation dans le secteur de l’assurance, un secteur mal-aimé comparativement aux entreprises associées aux nouvelles technologies.
Pour attirer les talents, il faut leur expliquer la valeur et l’intérêt du produit, selon Frédérick Guillot, vice-président associé, partenariats analytiques de Co-operators. Il estime que les assureurs doivent mettre de l’avant cette valeur ajoutée offerte par les produits d’assurance. De nombreux consommateurs sont prêts à se procurer le nouvel appareil offert par la marque au logo fruité même si le téléphone n’est pas le moins cher sur le marché.
« En assurance, nous sommes plutôt dans la logique inverse. On essaie de vendre notre produit le moins cher possible. Le client a parfois l’impression d’acheter du vent », dit-il.
Selon lui, il faut insister sur la tranquillité d’esprit apportée par l’assurance pour des décisions financières importantes : l’achat d’une résidence ou d’une automobile, le séjour à l’étranger.
La notion d’entraide, qui était à l’origine de la plupart des mutuelles d’assurance créées au 19e siècle, devrait aussi être mise de l’avant. « On tient quelque chose de fort, avec notre produit, mais on n’est pas très bon pour communiquer cet avantage aux clients », dit-il.
M. Guillot porte deux chapeaux chez l’assureur Co-operators. Il s’occupe d’une première équipe spécialisée en innovation et analytique. Le deuxième chapeau est relié au partenariat analytique. Il collabore avec les jeunes entreprises, les milieux académiques et même les autres mutuelles pour des projets en cocréation.
Alexandre Chamberland, leader du centre d’expertise et d’acquisition de talents chez Industrielle Alliance Groupe financier, reconnaît que la valeur du produit n’est pas toujours évidente pour le consommateur ou pour que le candidat que l’on recrute. « On ne sait pas toujours quelle sera notre contribution dans l’amélioration du produit », dit-il.
Il faut utiliser les collègues déjà en poste pour témoigner de leur travail et des projets auxquels ils ont participé, tant sur les réseaux sociaux que dans les établissements d’enseignement, suggère M. Chamberland. « Les jeunes veulent savoir sur quels projets ils vont travailler et comprendre l’impact de leur contribution dans le marché », dit-il.
M. Chamberland dirige une équipe d’une trentaine de recruteurs de talents chez iA. Ils font la recherche des besoins des différents projets en se basant sur le marketing des ressources humaines, la marque employeur, l’immigration, la mobilité interne, etc.
Selon Félix Deschâtelets, cofondateur et chef de l’exploitation d’Emma, l’industrie doit constamment répéter que l’assurance contribue à rendre les gens heureux. « Nous aidons les gens à se prémunir contre la malchance », insiste-t-il : un feu, un accident, un décès subit ou une maladie grave.
La paix d’esprit que fournit l’assurance n’est pas assez mise de l’avant. « Il ne faut pas attendre de livrer la valeur promise seulement au moment de l’indemnisation », ajoute l’entrepreneur.
M. Deschâtelets a d’abord créé un premier cabinet de services financiers et de planification financière qui comptait environ 800 clients. Il a vendu l’entreprise pour se consacrer entièrement au démarrage de la nouvelle société. La plateforme Emma a été conçue pour aider les jeunes familles à acquérir leur première assurance vie en mode entièrement numérique, notamment pour couvrir leur emprunt hypothécaire.
Les défis
Les assureurs disposent désormais des données pour alerter le client avant qu’un sinistre survienne, rappelle Frédérick Guillot, les assureurs doivent devenir les partenaires de leurs clients en matière de gestion de risques. Il cite l’exemple du poids de la neige sur les toitures. « Il ne faut pas juste publier un article disant aux gens : pensez à déneiger le toit », dit-il.
« On doit être plus qu’un fournisseur. On tient quelque chose, mais on ne sait pas encore très bien comment rendre tangible cette valeur apportée par l’assurance », renchérit Alexandre Chamberland.
Félix Deschâtelets insiste sur la nécessité, pour les assureurs, de prouver leur pertinence pour les nouvelles générations de consommateurs et aussi pour les futurs employés dont ils auront besoin.
Les recrues veulent savoir s’ils peuvent aider à avoir un impact sur les critères ESG (environnement, social, gouvernance) au sein de l’organisation. Les candidats veulent aussi qu’on les rassure sur le caractère non toxique de leur milieu de travail et si l’employeur fait attention à leur bien-être, ajoute Alexandre Chamberland.
Les futurs diplômés dans les disciplines technologiques ne sont pas portés à penser aux assureurs comme étant de futurs employeurs potentiels, car ils ne les connaissent pas. Or, l’apport de ces finissants est essentiel à la résolution de nombreux problèmes en assurance, selon Frédérick Guillot.
Il cite en exemple l’apprentissage automatique pour aider les actuaires à quantifier le risque, tout comme la télématique, les senseurs dans les objets connectés et, bien entendu, l’analyse de données, l’utilisation de fichiers numériques pour les demandes de réclamation, etc. « Nous devons aider les candidats à saisir les opportunités de carrière dans l’assurance », insiste-t-il.
Alexandre Chamberland souligne que les assureurs ne sont pas les seuls à tenter de recruter ces talents, mais aussi les entreprises en démarrage, les agences de publicité, les fintechs, les concepteurs de jeux, etc. « Et nos concurrents sont partout au Canada, pas juste à Québec », dit-il.
Mobilité interne
L’autre aspect que les assureurs ne doivent pas négliger est leur capacité en matière de formation continue. Le candidat au talent brut, mais pas encore défini peut relever de nouveaux défis au sein même de l’entreprise au fur et à mesure de son développement.
« Parfois, une simple journée carrière dans une école secondaire ou un cégep entraîne un emploi d’été, et une carrière par la suite, nous en avons tous des exemples chez les assureurs », note Frédérick Guillot.
Pas plus tard qu’en janvier, son service a dû recruter 40 personnes en raison de la demande en intelligence d’affaires. « Une partie de nos besoins a été comblée dans le pipeline de talents qui travaillent déjà chez nous et que nous avons contribué à former au fil de leur participation à divers projets », explique M. Guillot.
Il ne faut pas avoir peur de recruter les « savants fous » qui n’ont pas le profil de compétences dans le milieu des affaires, mais qui carburent aux défis et à la résolution de problèmes, ajoute le représentant de Co-operators.
Selon Félix Deschâtelets, les jeunes ne veulent pas tous changer d’employeur aux trois ans, mais ils veulent certainement relever de nouveaux défis tout au long de leur carrière. « Il y a de grandes compagnies en assurance et on peut justement offrir de vraies opportunités, muter dans un autre service, etc. », dit-il.
Les assureurs qui prennent soin des attentes de leurs employés à cet égard contribuent à créer une culture d’entreprise et un sentiment d’appartenance qui fidélisent les personnes et qui créent même des ambassadeurs de la marque employeur dans leurs réseaux, mentionne le cofondateur d’Emma.
On favorise aussi la mobilité interne au sein d’iA, confirme Alexandre Chamberland. En conséquence, l’employeur peut favoriser les compétences autres qu’académiques, notamment les capacités au travail en équipe et en relations interpersonnelles, la curiosité, l’adaptation, l’apprentissage, etc.
En assurance, les emplois ont été maintenus durant le ralentissement qui a suivi le début de la pandémie. Depuis, plusieurs compagnies ont affiché d’excellents résultats. « Cela a pu les aider à accélérer le virage numérique et à investir dans des outils de qualité », note M. Chamberland.
« On n’a peut-être pas une table de baby-foot, ou de la bouffe gratuite à la cafétéria, mais les assureurs ont les moyens d’offrir d’excellentes conditions de travail en santé collective, en planification financière, en conciliation travail-famille, etc. », renchérit Frédérick Guillot.
Au sein d’une jeune pousse, si l’entreprise est bien financée et c’est le cas d’Emma (voir encadré en fin de texte), les conditions d’emploi sont excellentes, souligne Félix Deschâtelets. Dans son entreprise, on a créé la station fintech qui est un environnement de travail collaboratif. Selon lui, la fierté est un moteur de rétention plus fort que l’espace de loisirs. « Les défis, la responsabilité qu’on donne aux employés, c’est ce qui les valorise », dit-il.
Les partenariats
L’assurance est une industrie relativement lourde et réglementée, selon Félix Deschâtelets. L’entreprise en démarrage doit trouver un partenaire à qui elle peut prouver sa valeur, et le client doit être assez agile pour tirer profit de cette relation sans nécessairement revoir tous ses processus internes pour faire aboutir une innovation.
« La concurrence, elle ne vient plus seulement des autres assureurs, mais des géants comme Tesla et les GAFAM (Google, Amazon, Facebook, Apple et Microsoft) », dit-il.
« Chaque assureur doit exploiter toutes les occasions de partenariat qui lui sont offertes, ne serait-ce que pour accélérer l’innovation et générer des idées », reconnaît Frédéric Guillot. Cette collaboration permettra de créer un écosystème plus résilient.
Alexandre Chamberland partage cet avis. « Parfois, il est plus facile d’être le client d’une startup que de tenter de créer une équipe complète pour créer une solution bien précise », dit-il. À la limite, la création de nouvelles entreprises dans les technologies de l’assurance contribue à maintenir de l’expertise dans l’écosystème, au lieu de les perdre au profit des grandes firmes technologiques.
Félix Deschâtelets confirme qu’il y a tout de même des embûches, notamment de cibler la bonne personne responsable chez l’assureur à qui l’on peut offrir une solution. Il existe des incubateurs et des accélérateurs, mais l’industrie doit s’ouvrir. « Pour l’instant, c’est encore un peu l’inverse. C’est la startup qui doit défoncer les portes, au lieu qu’on lui ouvre pour qu’elle se sente bien accueillie », dit-il.
Frédéric Guillot a fondé Actulab en mars 2014, pour créer un pont entre les milieux académiques et professionnels. « On travaille ensemble durant une journée avec des étudiants et on essaie de résoudre des problèmes », dit-il. Il affirme avoir de nombreux exemples où les étudiants ont par la suite trouvé un emploi ou obtenu une bourse pour continuer des études à la maîtrise ou au doctorat.
Il suggère aux entrepreneurs de recourir au programme fédéral Mitacs qui permet de financer des stages en milieu de travail. Le vice-président de Co-operators encourage les experts en technologie de rencontrer des assureurs pour sonder leur intérêt et comprendre leurs besoins. « Il faut réveiller et brasser l’industrie », dit-il.
Alexandre Chamberland estime aussi que les assureurs « doivent être en avant de la parade en matière de pratiques d’embauche », d’environnement de travail et de stimulation intrapreneuriale.
Selon Félix Deschâtelets, la capacité d’adaptation chez les assureurs est essentielle, car la concurrence est présente non seulement pour le recrutement de talents, mais également pour trouver des clients et des capitaux sur le marché canadien. « Si les assureurs canadiens ne font rien, il sera trop tard dans 10 ou 20 ans », dit-il.
Frédéric Guillot note que Co-operators a annoncé des investissements dans de jeunes pousses. « On peut faire des petits pas et bâtir sur des petits succès. L’important, c’est de se lancer », conclut-il en répétant son appel à l’action.
Emma lève 6 M$
Le 13 avril dernier, soit quelques jours après InsurTech Québec, Emma annonçait la clôture d'une ronde de financement de 6 millions de dollars (M$). Les sociétés Luge Capital, Investissement Québec et Tactico ont participé à cette ronde de financement.
Emma utilisera les fonds pour offrir ses produits d'assurance dans toutes les provinces canadiennes. La jeune pousse offre déjà ses propres produits d'assurance de personnes par l'entremise d'Humania Assurance.
Emma a gagné le concours de pitch présenté à l'édition 2021 d'InsurTech Québec, laquelle avait été présentée entièrement en mode numérique.
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