Les assureurs sont préoccupés depuis longtemps par l’impact des changements climatiques. L’industrie jouera un rôle clé dans la mobilisation des collectivités pour augmenter les efforts de mitigation des catastrophes naturelles, estiment plusieurs experts. 

Le 7 octobre dernier, à la quatrième journée du Sommet de la finance durable, trois experts de l’industrie ont suggéré des solutions pour renforcer le rôle des assureurs dans l’adaptation et la résilience de la société et de la nature. 

Le Sommet était organisé par l’Initiative finance du programme des Nations Unies pour l’environnement (UNEPFI). La discussion était animée par Butch Bacani, responsable du programme « Principles for Sustainable Insurance Initiative » à l’UNEPFI.

M. Bacani note que les efforts visant à limiter le réchauffement climatique à 1,5 °C sont pour l’instant nettement insuffisants. Le plus récent rapport du Groupe intergouvernemental sur l’environnement et le climat (GIEC) confirme que les émissions de gaz à effet de serre (GES) continuent d’augmenter. 

Depuis 2018, souligne M. Bacani, de nombreux groupes dans les secteurs des services financiers et de l’assurance ont été formés pour augmenter les efforts collectifs en matière de réduction des émissions de GES.

Chez Intact 

Mandy Dennison est directrice, impact social, environnement, société et gouvernance (ESG) chez Intact Corporation financière. Elle constate que le Canada vit déjà de profonds bouleversements associés aux changements climatiques alors que la température moyenne n’a grimpé que de 1,1 °C comparativement à l’ère préindustrielle.

En 2020 dans le monde, souligne-t-elle, on estime que seulement 40 % des dommages causés par les catastrophes naturelles étaient couverts par l’assurance. Le Canada se porte un peu mieux que la moyenne mondiale, avec 44 % des dommages qui étaient assurés. 

Avant 2003, il était arrivé seulement une fois que les dommages causés par les feux de forêt dépassaient les 10 milliards de dollars (G$) CA. Depuis cette date, il y a eu cinq autres années où les dommages ont été supérieurs à ce plateau des 10 G$, la pire ayant été l’année 2016 avec les feux qui ont dévasté la région de Fort McMurray, en Alberta. Il est probable que l’année en cours se joindra à cette liste en raison de la sécheresse extrême qui a provoqué de nombreux feux, particulièrement en Colombie-Britannique.

« Ce n’est pas seulement le rôle des gouvernements de lutter contre les changements climatiques, mais à toute la société. Il faut se mobiliser collectivement et les assureurs jouent un rôle clé à cet égard », insiste Mandy Dennison. 

Pour améliorer la résilience des communautés, il faut d’abord remettre en état les réseaux électriques et de distribution d’eau potable de même que les infrastructures routières. « On a vu l’importance du transport routier pour le réseau de distribution alimentaire durant la pandémie », dit-elle. Le sous-financement des infrastructures publiques dure depuis des décennies et il faut y mettre fin, insiste Mme Dennison. 

Ces infrastructures doivent être bien conçues et mieux construites dès le départ, même si cela coûte plus cher. « Chaque dollar investi dans la mitigation des risques permet d’économiser environ six dollars en dommages par la suite », souligne Mme Dennison. 

Les assureurs peuvent sensibiliser les municipalités à l’importance de préserver le couvert forestier et les milieux humides de même que sur la prudence dans le développement à proximité des zones inondables. Selon elle, la préservation des habitats naturels et le maintien du couvert forestier sont aussi des mesures à encourager. 

De son bureau au centre-ville de Toronto, à proximité du parlement provincial, Mandy Dennison constate que des travaux d’entretien du réseau d’aqueduc et d’égout sont en cours. « Est-ce que ces travaux sont faits en pensant au futur? », dit-elle. Elle encourage les participants du Sommet à consulter les publications, gratuites et accessibles sur le web, du Centre Intact d’adaptation au climat et qui traitent notamment de la modernisation des infrastructures publiques ou privées.

L’assurance de dommages des particuliers a été longtemps axée sur le risque causé par les incendies, indique-t-elle. Chez Intact en 2010, l’assureur a constaté que 40 % des réclamations en assurance de dommages étaient reliées aux dégâts causés par l’eau. « Nous sommes passés près de sortir de ce marché après avoir fait ce constat », dit-elle. Tout le modèle d’affaires a été revu en conséquence, de la souscription à l’évaluation et la tarification du risque.

La cueillette et l’analyse de données permettent désormais d’appuyer les clients, les collectivités et les gouvernements en suggérant des méthodes de mitigation des risques, ajoute-t-elle. Cela inclut les plans de lutte contre les catastrophes naturelles, l’aménagement du territoire et les changements à apporter aux codes de construction. 

Chez TD Assurance 

Moira Gill est vice-présidente associée aux relations environnementales, gouvernementales et de l’industrie chez TD Assurance. Elle fait observer que l’été 2021 a été un indice supplémentaire de l’importance des changements climatiques et des dommages qu’ils provoquent. « On peut être déprimé par toutes ces nouvelles sur les canicules, les feux, les inondations, etc. C’est aussi un appel urgent à la nécessité d’agir », dit-elle. 

TD Assurance est membre fondateur de Climate Proof Canada, une organisation non gouvernementale axée sur l’environnement, la lutte contre les changements climatiques et la résilience des communautés. Selon elle, chaque assureur doit sensibiliser l’industrie dans son ensemble et les communautés où il est actif si l’on veut obtenir les changements requis. 

« L’action collective est essentielle pour lutter contre les impacts immédiats des changements climatiques, augmenter la résilience et relever les défis à long terme », dit-elle.

Les changements climatiques ne concernent pas que l’industrie de l’assurance de dommages, insiste Mme Gill. TD Assurance a aussi un important portefeuille en assurance de personnes. Les catastrophes naturelles ont un impact important sur les biens des particuliers, mais aussi sur les personnes et leur qualité de vie.

Elle ajoute que l’Association médicale du Canada a rappelé que les canicules, les feux, les évacuations et la pollution de l’air ont des impacts évidents sur la santé. « Ces impacts ne sont pas distribués de manière équitable sur tout le monde », note Moira Gill.

Les personnes les moins préparées et les plus atteintes par les changements climatiques sont souvent les gens défavorisés. Cet écart dans la couverture d’assurance des classes sociales contribue d’ailleurs à augmenter les inégalités, poursuit-elle. 

La campagne électorale qui a mené au scrutin de septembre dernier au Canada a eu lieu pendant des canicules et des feux dévastateurs. Ces sinistres ont forcé les élus à prendre le thème du climat au sérieux, « ce qui est une bonne nouvelle ». Le sujet avait été pratiquement ignoré lors du scrutin d’octobre 2019.

« Tous les partis politiques ont dû parler de la lutte aux changements climatiques et de résilience dans leur plateforme », dit-elle. La pandémie a montré l’importance de préserver les arbres, les parcs et les espaces verts dans les agglomérations urbaines, souligne Moira Gill.

« Il faut admettre que l’information fournie par les grandes compagnies aux consommateurs n’est pas toujours jugée comme étant très crédible. Les gens accordent plus de foi à ce que pensent leur famille, leurs amis, leurs pairs. Il faut se rapprocher des sources d’information qui sont issues de la communauté si l’on veut mobiliser les gens dans la lutte aux changements climatiques », dit-elle. 

En Californie 

Le troisième expert de la session était Michael Peterson, premier sous-commissaire de la direction du climat et de la durabilité du California Deparment of Insurance. Dans cet État de l’ouest des États-Unis durement frappé par la sécheresse, les canicules et les feux de brousse depuis plusieurs années, l’écart de la couverture d’assurance s’est accentué entre les classes sociales. Selon M. Peterson, ce fossé doit être réduit si l’on veut mobiliser les collectivités dans la lutte contre les changements climatiques.

Il suggère divers moyens pour cette mobilisation, comme le développement de projets de plantation d’arbres et de protection du couvert forestier, de même que d’autres méthodes de mitigation des risques associés aux catastrophes naturelles. Il existe de nombreuses études qui démontrent les avantages de ces investissements et les communautés doivent se les approprier, insiste-t-il. 

Son département vient de publier un plan de mise en œuvre des actions à entreprendre : « California Sustainable Insurance Roadmap ». Selon lui, il est difficile de mettre en ordre de priorité les actions à entreprendre, car elles sont toutes urgentes. Les feux, les canicules et les inondations sont les trois plus grands risques associés aux catastrophes naturelles. En Californie, où la sécheresse dure depuis des années, de nombreuses communautés sont insuffisamment assurées contre le risque d’inondation, déplore M. Peterson.