Le Canada a connu sa pire année en 2024 en matière de sinistres catastrophiques, avec quatre événements météorologiques extrêmes. Malgré cela, les entretiens menés par le Portail de l’assurance avec des courtiers en assurance de dommages montrent que le marché demeure ramolli au premier trimestre de 2025, du moins pour l’assurance aux entreprises.
Ces quatre événements, dont trois ont eu lieu dans des agglomérations urbaines densément peuplées, ont coûté près de 8 milliards de dollars (G$) en dommages assurés, mais ce sont les particuliers qui ont été davantage touchés. Plusieurs dizaines de milliers de réclamations ont été engendrées dans la région de Montréal à la suite du passage de la tempête Debby le 9 août 2024.
Aucun assureur ne peut répondre rapidement à une telle avalanche, indique Louis-Thomas Labbé, courtier de Gallagher au Québec, en donnant en exemple la tempête de verglas de janvier 1998. « Tu ne peux pas avoir une promesse de service en fonction d’un tel événement », dit-il.
M. Labbé compte 45 ans d’expérience dans l’industrie. La firme compte 35 bureaux au Canada, et plusieurs d’entre eux ont été touchés par les inondations à Toronto et à Montréal, par la grêle à Calgary ou les feux de forêt à Jasper. Au Québec, quelque 85 % du volume de primes de Gallagher provient de l’assurance aux entreprises.
Il note que les assureurs ont grandement amélioré leur service de traitement des dossiers. « Si tu te retrouves avec plusieurs milliers de clients qui ont des réclamations à Laval, Terrebonne, etc. On se dit : “Ils sont assurés, ils ont des limites. Quelle est la réclamation ? Paye, vas-y.” C’est ce qu’ils ont fait, les assureurs », dit-il.
Un nouveau cycle
M. Labbé dit ne pas être étonné par le cycle actuel, plus favorable aux entreprises qui doivent assurer leurs biens et leur responsabilité civile. « Le marché est rendu très fragmenté par pays, par gamme de produits, par spécialité », dit-il.
La veille de notre entretien, Intact Corporation financière publiait ses résultats financiers du quatrième trimestre et son bilan pour 2024. Malgré l’avalanche de réclamations reçues durant les quatre semaines de l’été dernier, la société a dégagé des bénéfices de 2,3 G$ et a rapporté un ratio combiné de 92,2 % en 2024, soit 2 points de pourcentage plus bas qu’en 2023. Les autres sociétés publiques ont aussi affiché de bons résultats, malgré cette année catastrophique.
« Qu’est-ce qui fait bouger les assureurs ? C’est lorsque les sinistres cumulatifs d’une année donnée commencent à toucher le capital », explique-t-il. C’est ce qui est arrivé en 2018, lorsque les assureurs ont serré la vis et mis de l’ordre dans leur portefeuille après 15 années de marché mou en assurance de dommages. « Il y avait de l’inflation, mais les primes et les valeurs assurables n’étaient pas ajustées. »
Il y a désormais beaucoup d’argent dans le système, poursuit-il. Les réassureurs ont renouvelé les traités de réassurance le 1er janvier. « Les prix sont à la baisse. Il y a des capacités excédentaires. » L’oligopole formé par les réassureurs est composé « des petits futés », dit-il. Leurs actuaires ont élevé les limites de leur exposition au risque, ce qui force les assureurs à gérer leurs capacités de manière plus serrée.
Les sinistres liés au climat surviennent partout dans le monde et augmentent en sévérité et en intensité. « J’ai l’impression que l’industrie ne sera pas capable d’absorber ça tout seul. Il va falloir que les gouvernements mettent des fonds publics », dit-il, en laissant le soin aux assureurs de couvrir les plus grands sinistres.
Les primes augmentent en assurance de dommages en raison de l’inflation des coûts de reconstruction et la hausse des valeurs assurances. Conseil d’un vétéran aux assurés : « Il faut magasiner. Les courtiers ne font pas affaire qu’avec un seul assureur », indique Louis-Thomas Labbé.
Le courtier s’occupe des assurances personnelles de certains entrepreneurs à la tête de grandes entreprises clientes du cabinet. « Eux aussi, ils la voient, la hausse des primes en automobile et en habitation. » Plusieurs assureurs, notamment des compagnies qui distribuent leurs produits en mode direct, mènent des campagnes de publicité très dynamiques. « Ils savent quel marché ils veulent aller chercher, puis ils font une tarification en conséquence. Vous les rappelez trois mois après, la tarification a changé. »
La transition
Louis-Thomas Labbé a vendu le cabinet GPL à Gallagher en 2017. Il demeurait président du conseil d’administration jusqu’au 31 décembre 2024. Le cabinet n’est plus une société distincte et a été fusionné à Gallagher. Il y demeure comme conseiller sénior. « J’ai un mandat d’un an. Rendu là où j’en suis, c’est une année à la fois », dit-il.
L’établissement de Gallagher poursuit ses activités comme auparavant et tout son monde conserve son emploi. Sept ans après la transaction, M. Labbé se réjouit d’avoir choisi cette firme plutôt qu’une autre pour assurer la pérennité de son entreprise. « Gallagher, c’est encore dirigé par des courtiers. »
À son plus récent passage à Londres avec quelques-uns de ses clients, il a eu l’occasion de rencontrer les trois principaux dirigeants de l’entreprise, lesquels continuent eux aussi d’accompagner leurs plus gros clients. « J’ai travaillé pour les plus grandes firmes concurrentes, et leurs dirigeants ne font pas ça. Pour eux, un client, c’est du trouble, ça pose des questions », raconte M. Labbé.
Même constat
Chef de la direction de Fort Assurances et services financiers, le courtier Vincent Gaudreau constate lui aussi que, malgré les catastrophes de l’été 2024, les assureurs affichent d’excellents résultats dans plusieurs lignes d’affaires. « En assurance des entreprises, ça reste un marché qui est relativement mou. Les assureurs ont de l’appétit pour écrire de nouveaux risques. La compétition est quand même là », dit-il.
Le marché de l’immobilier commercial, un secteur de prédilection pour le courtier depuis des années, s’est aussi stabilisé. « Il y a trois ou quatre ans, chaque semaine, je recevais un appel d’un syndicat de copropriété qui n’arrivait plus à trouver un assureur. Je ne me souviens plus de la dernière fois que c’est arrivé », indique M. Gaudreau.
La stabilité a été rétablie parce que les assureurs ont augmenté les primes et les montants de franchise, mais aussi parce que les syndicats ont amélioré la gestion des immeubles. « Cela a paru du côté des taux de sinistralité. L’émergence de dispositifs de détection des fuites d’eau, ça aide dans certains cas aussi », ajoute-t-il.
Même si les assureurs ne sont pas si nombreux à vouloir assurer les immeubles en copropriété, « on est capable d’avoir des soumissions maintenant. Si le syndicat a une bonne expérience, dans bien des cas, je travaille pour une soumission auprès d’un autre assureur », souligne M. Gaudreau.
Vincent Gaudreau souligne qu’à l’exception de la tempête Debby, qui a essentiellement touché le secteur de l’assurance habitation des particuliers et la résidence unifamiliale, le Québec a été épargné en matière d’événements météorologiques extrêmes durant les années 2020 à 2024. « On a été relativement chanceux au Québec, touchons du bois », poursuit-il en notant que les années 2017 à 2019 avaient été mauvaises pour les résultats de souscription des assureurs.
Productivité
Paul Copti, vice-président principal, services aux entreprises du cabinet Lussier, souligne que le principal impact sur les entreprises en lien avec les sinistres majeurs a plutôt été du côté des régimes collectifs. « De nombreux employés ont dû prendre congé pour s’occuper de gérer leur réclamation », dit-il.
Les succursales du cabinet établies dans la région montréalaise ont été occupées à gérer les conséquences de Debby, principalement en assurance des particuliers. « De manière générale, au point de vue de la disponibilité mentale et même physique, quand les gens doivent s’occuper de leur maison en premier, il y a une baisse de productivité pour leur employeur, ce qui est tout à fait compréhensible », dit M. Copti.
Les 21 bureaux de Lussier emploient quelque 750 personnes, dont environ 450 en assurance des entreprises. Quelque 30 000 entreprises utilisent les services des courtiers de Lussier, dont 40 % pour leurs besoins en avantages sociaux.
Cet article est un Complément au magazine de l'édition de mars 2025 du Journal de l'assurance.