La Cour d’appel du Québec maintient le jugement de première instance et confirme que la réclamation du transporteur pouvait être refusée par Intact Compagnie d’assurance.
Le 9 mars 2022, la juge Chantal Corriveau de la Cour supérieure avait donné raison à l’assureur qui refusait la couverture. La remorque réfrigérée, qui était la propriété de Transport Kahkashan, était entreposée dans la cour d’un atelier de Joliette pour y être réparée.
L’assureur du garage qui devait réparer la remorque a refusé d’indemniser Kahkashan pour le vol. La Cour supérieure lui donne raison.
Comme le mentionne la Cour d’appel, « le litige qui mène au présent appel naît d’une confusion entre les personnes morales impliquées et contractantes », note la juge Corriveau.
Le transporteur prétendait avoir contracté avec le garage Remorque Syr Plus pour la réparation de son unité de remorque. Le tribunal a plutôt conclu que l’appelante était étrangère au contrat et que celui-ci engageait plutôt le garage envers Service de réparation R.B.
Cette firme a pour directeur général la même personne que le transporteur, en l’occurrence, Sami Ullah, d’où la confusion. L’absence de lien contractuel a amené la juge à se pencher sur une faute extracontractuelle de Syr pour déterminer si l’assureur devait indemniser Kahkashan. Le tribunal conclut par la négative et la Cour d’appel lui donne raison. Le jugement a été rendu par la Cour d’appel le 10 novembre dernier.
Le contexte
La remorque du transporteur a été accidentée le 5 juillet 2016 lors d’un transport de Montréal vers New York. La remorque accidentée est ensuite entreposée dans la cour de Garage RB.
M. Ullah demande à un employé de cet établissement d’obtenir une soumission pour faire effectuer la réparation. Remorque Syr Plus produit deux soumissions quelques jours plus tard, l’une avec des pièces neuves et l’autre avec des pièces usagées. La première option est retenue et les pièces neuves sont commandées par Syr.
À la mi-septembre 2016, quand les pièces sont livrées, un chauffeur de l’appelante conduit la remorque à être réparée chez Syr. Le véhicule est stationné sur un terrain adjacent où se trouvent déjà 10 autres remorques.
Le 5 octobre suivant, la réparation ne peut se faire, car on constate que l’unité endommagée a été volée. Le vol est signalé auprès de la Sûreté du Québec. Syr transmet un avis de sinistre à son assureur, qui est Intact.
Des documents de règlement de réclamation sont préparés par l’assureur en faveur du transporteur. Un chèque de 65 000 $ est même émis le 9 mars 2017, mais l’assureur avise le transporteur que le règlement est annulé. Le 27 juillet 2017, l’assureur confirme son refus d’indemniser l’appelante pour le vol de la remorque.
En première instance
La juge de la Cour supérieure reconnaît que la remorque dont la valeur est réclamée est bien celle qui a été volée. Elle examine ensuite la nature du lien juridique entre le transporteur et Syr et conclut qu’il n’y a ni contrat de service ni contrat de dépôt entre ces deux entreprises.
En conséquence, la relation entre les parties est régie par les règles de la responsabilité extracontractuelle et l’appelante ne peut bénéficier des présomptions prévues au Code civil du Québec pour les contrats de dépôt ou de service.
La juge Corriveau conclut aussi qu’il n’y a pas eu faute de la part de Syr, même s’il est démontré qu’il n’y a pas de surveillance sur le site d’entreposage des remorques en attente de réparation.
Selon l’assureur, le lien contractuel pertinent est établi entre Syr et Garage RB, et non pas avec Intact. La Cour d’appel lui donne raison. La soumission est adressée et transmise uniquement au représentant de Garage RB.
La Cour d’appel écrit au paragraphe 32 : « Syr peut très bien savoir que la remorque appartient à l’appelante sans pour autant savoir l’intention de contracter avec cette dernière. Il s’agit d’une distinction fondamentale dans le dossier. »
Devant les faits établis, la juge de première instance pouvait conclure que la preuve prépondérante ne démontrait pas que Garage RB contractait avec Syr au nom de l’appelante, mais qu’elle l’avait plutôt fait en son propre nom. Cela répond du même souffle à l’absence de mandat. La Cour d’appel est d’avis que la Cour supérieure n’a pas commis d’erreur manifeste en concluant à l’absence de lien contractuel entre l’appelante et l’assurée de l’intimée.
Pas de faute
En l’absence d’un tel lien contractuel, l’appelante devait démontrer la faute de Syr afin de faire valoir son droit d’action contre son assureur. Encore une fois, la Cour d’appel donne raison à la juge de première instance qui a conclu à l’absence de faute de la part de Syr.
La juge a considéré la preuve dans son ensemble, notamment le long délai encouru avant de découvrir le vol. Elle a souligné que la remorque volée nécessitait des réparations majeures et que son déplacement nécessitait un camion de taille imposante. Malgré l’absence de surveillance, aucun autre vol n’a été déclaré lors des 18 années précédentes d’activité du site.
À la lumière de la preuve au dossier, le réparateur ne pouvait pas savoir et prévoir que le vol était un événement auquel il devait se préparer. Cette conclusion de la Cour supérieure est exempte d’erreur manifeste et déterminante et ce moyen d’appel est rejeté.
Le transporteur réclamait aussi un montant de 10 000 $ à titre de dommages-intérêts compensatoires pour le retard à être indemnisé par l’assureur. Comme les autres moyens d’appel n’ont pas été retenus, la Cour d’appel estime qu’elle n’a pas à traiter de cette question.
Le verdict nucléaire
Le nom de Kahkashan apparaît dans un autre dossier traité il y a un peu plus de deux ans par le Portail de l’assurance. Un de ses chauffeurs a été impliqué dans un accident mortel survenu près de Jacksonville en Floride le 4 septembre 2017.
Le véhicule de la victime était immobilisé en raison d’un carambolage survenu à 21 h 10. À 22 h 34, le camion de Kahkashan a heurté l’auto de la victime par l’arrière.
Le 20 août 2021, un jury a accordé des dommages de 102 millions de dollars (M$) à la famille de la victime, dont 86 M$ étaient attribués à Transport Kahkashan.
Un autre transporteur du New Jersey ayant provoqué le carambolage a été condamné à payer 900 M$ à la famille de la victime en dommages punitifs. Ce verdict nucléaire totalisant un milliard de dollars n’était pas couvert à une telle hauteur par les assureurs des deux sociétés de transport.
Kahkashan Carrier a changé de nom en juin 2020 pour devenir Fester Transportation. Selon les recherches menées par le Portail de l’assurance, l’inscription de cette société a été radiée du Registre des entreprises du Québec le 19 septembre 2023 après deux années sans produire de déclaration.
Toujours selon le Registre, la société Service de réparation R.B. est toujours en activité. Son adresse est située sur le même terrain où l’établissement de Kaskashan était domicilié sur le boulevard Dagenais à Laval.