Le 19 février dernier, la Cour d’appel du Québec a renversé la décision du juge de première instance et a donné raison au demandeur dans un dossier d’assurance invalidité qui l’opposait à l’Industrielle Alliance assurance et services financiers (iA).
Le juge Gregory Moore de la Cour supérieure, district de Montréal, avait rendu un jugement le 20 juillet 2018, dans lequel il rejetait la réclamation de Sylvain Duval pour le paiement des prestations d’assurance invalidité prévues au contrat d’assurance collective dont il bénéficie.
M. Duval travaille chez Élopak Canada et gagne un salaire d’environ 80 000 $ par année, en incluant les avantages qui lui sont conférés, dont l’usage d’une voiture. Il s’absente du travail à compter du 3 septembre 2010 en raison de douleurs aigües au dos causées notamment par des hernies discales.
L’appelant a subi une intervention chirurgicale en octobre 2011 sur les vertèbres L3 et L4, en plus d’une greffe osseuse, laquelle a malheureusement échoué. Ne pouvant exercer son endroit habituel, il a donc reçu des prestations d’assurance invalidité de courte durée jusqu’en décembre 2012.
Le contrat avec l’assureur prévoit le versement de 80 % du salaire durant les 24 premiers mois. M. Duval a transmis sa demande de prestations d’invalidité de longue durée à iA le 28 novembre 2012. La réclamation est accompagnée de divers documents médicaux, dont l’attestation de son médecin traitant indiquant qu’il est incapable d’exercer tout travail rémunérateur.
Deux jours de tests
L’assureur demande au client de se soumettre à une série de tests, lesquels sont menés sur deux jours par une ergothérapeute et un kinésiologue. Leurs rapports déterminent que M. Duval possède des capacités résiduelles fonctionnelles qu’il sous-estime par crainte de la douleur, et qu’il pourrait exercer un travail sédentaire et léger. Sur la foi de leurs conclusions, l’assureur refuse la réclamation et en informe l’assuré par lettre le 21 mars 2013.
Le client se pourvoit en appel. L’assureur demande l’opinion de son médecin-conseil, lequel maintient la décision rendue par les rapports de ses experts. Le 2 juillet 2013, l’assureur confirme que sa décision de refuser la réclamation est maintenue.
M. Duval rencontre un chirurgien orthopédiste en septembre 2013, lequel examine le client et produit un rapport de 17 pages quelques semaines plus tard. Il estime que les limitations fonctionnelles de classe IV, selon le barème de l’IRSST, rendent le salarié incapable d’effectuer un travail régulier. Son examen confirme la présence de pseudo-arthrose lombaire, ce qui indique que la greffe osseuse n’a pas fonctionné.
Le rapport est transmis à l’assureur, qui le remet à son médecin-conseil. Ce dernier rejette les conclusions concernant les limitations de classe IV en alléguant l’absence de motifs soutenant une telle conclusion. L’assureur informe M. Duval du maintien de son refus le 31 mars 2014.
Ce dernier ayant déposé une demande de prestations auprès de la Régie des rentes du Québec, il se soumet à un nouvel examen médical. Le neurochirurgien rencontré rédige un rapport de 7 pages en juillet 2014, qui confirme les limitations de classe IV de M. Duval. Selon ce spécialiste, le client ne peut occuper qu’un emploi sédentaire, de préférence à domicile et à temps partiel. Il mentionne toutefois que les autres problèmes de santé de M. Duval (surpoids, apnée du sommeil, tabagisme) contribuent à la sévérité de ses limitations.
Le médecin-conseil de l’assureur exprime l’opinion que l’état de M. Duval a pu se détériorer entre janvier 2013, moment pertinent aux fins d’évaluer s’il est invalide ou non au sens de la police, et juillet 2014. L’assureur refuse de nouveau la réclamation, et M. Duval fait appel devant les tribunaux.
En Cour supérieure
Les procédures sont lancées en décembre 2015 par trois journées d’audience, devant le juge Moore. Pour l’essentiel, tous les experts consultés témoignent et réitèrent leurs opinions, sauf le chirurgien orthopédiste rencontré par M. Duval en 2013, car il a pris sa retraite. Cependant, son rapport d’octobre 2013 est accueilli en preuve.
Même si l’assureur ne conteste pas l’état de santé constaté par le spécialiste de la RRQ rencontré en juillet 2014, le juge Moore estime que M. Duval n’a pas démontré qu’il était bel et bien invalide en janvier 2013.
Les trois juges de la Cour d’appel du Québec infirment la décision de première instance. Selon eux, le juge Moore a commis une erreur manifeste et déterminante qui a vicié son analyse. Les deux spécialistes consultés par M. Duval, au fur et à mesure des refus de l’assureur, confirment les constats du médecin traitant. Même le médecin-conseil de l’assureur reconnait l’invalidité établie en juillet 2014. Cependant, il la juge trop éloignée de janvier 2013, et le juge Moore lui avait donné raison.
Selon la Cour d’appel, le dossier regorge pourtant d’éléments permettant de conclure que l’état de M. Duval était le même en janvier 2013, mais ils ont été ignorés en première instance. Certes, M. Duval a pris du poids en raison de sa sédentarité, mais cela n’est pas la cause de son invalidité.
Les constats et conclusions des experts consultés par M. Duval sont en droite ligne avec le témoignage de ce dernier, lequel a d’ailleurs été qualifié de crédible et qui a été corroboré par le témoignage de sa conjointe devant la Cour supérieure.
Si l’information transmise par l’appelant ne venait pas appuyer sa réclamation initiale, elle a été produite au fur et à mesure qu’elle a été obtenue, à la suite des différents refus de l’assureur.
M. Duval a participé à l’émission Dans l’œil du dragon afin de démarrer sa petite entreprise. Selon le tribunal, cette tentative ne fait que montrer qu’il a tenté de s’en sortir.
Les parties ayant convenu de la somme qui serait payable à M. Duval dans l’éventualité où son pourvoi était accueilli, le tribunal n’a pas procédé au calcul prescrit par la police d’assurance collective.
La Cour d’appel ordonne à l’assureur de payer les prestations d’assurance invalidité qui lui sont dues de janvier 2013 à janvier 2020, pour une somme de 198 035,51 $. De plus, l’assureur est condamné à verser 48 691,20 $, soit 10 % de son salaire mensuel depuis janvier 2013, dans le régime de retraite de l’appelant. À ces deux montants s’ajoutent l’intérêt au taux légal et l’indemnité additionnelle prévue à l’article 1619 du Code civil du Québec calculé à compter de chacune des échéances mensuelles.
L’assureur doit aussi payer la somme de 2512 $ par mois qui représente la prestation d’invalidité, réduite en fonction de la rente versée par la RRQ, aussi longtemps que durera l’invalidité de M. Duval ou jusqu’à ce que celui-ci ait atteint 65 ans. La prestation devra être indexée annuellement conformément au contrat d’assurance collective dont il bénéficie, et les sommes prévues au régime de retraite seront aussi versées par l’assureur.
L’assureur est aussi condamné au paiement des frais de justice, incluant le cout des expertises des médecins, tant en première instance qu’en appel.