Une décision récente rendue par la Cour d’appel du Québec révèle l’existence d’un autre dossier où l’intervention d’un expert en sinistre a provoqué la judiciarisation d’un litige entre un assureur et ses clients. 

La Cour d’appel était saisie d’une requête visant à faire annuler deux sentences arbitrales rendues dans un litige opposant le Syndicat de la copropriété lot 818 à l’assureur RSA Canada (maintenant Intact). Pour une deuxième fois en 2024, le syndicat a échoué à faire annuler les sentences arbitrales rendues en 2021.

L’incendie survenu en avril 2018 a causé des dommages importants à l’immeuble, comptant six unités d’habitation, dans le quartier Ahuntsic à Montréal. Devant la persistance de différends importants entre les parties au sujet du règlement de l’indemnité d’assurance, en décembre 2018, l’assureur met de l’avant la clause du contrat qui oblige les parties à régler leur mésentente par la voie arbitrale.

L’arbitre est nommé en avril 2019. Le syndicat estime que Me Pierre Dalphond, qui a rendu les deux sentences arbitrales contestées, n’était pas impartial dans son évaluation des arguments des parties au litige.

Le 26 avril dernier, la Cour supérieure a refusé la requête en annulation des deux décisions rendues par l’arbitre qui étaient contestées. La Cour d’appel a refusé d’accorder la permission d’en appeler de ce jugement dans une décision datée du 21 juin 2024

Un dossier simple 

Le juge Patrick Ouellet a rendu la décision en Cour supérieure. « Ce dossier, en apparence simple, se transforme en véritable bataille d’experts », écrit-il. En l’occurrence, il s’agit du désaccord entre deux experts en sinistre : Aubin Rioux, qui représente l’assureur, et Jimmy Fequet, mandaté par le syndicat.

Après une première visite des lieux faite par l’arbitre le 3 juillet 2020, l’audience se poursuit durant cinq jours. La première phase de l’audience permet à l’arbitre d’établir l’écart entre les positions des parties.

Le syndicat allègue que l’eau requise pour éteindre le brasier s’est infiltrée partout et qu’elle est la source de foyers de moisissures à de multiples endroits. Il veut donc tout remplacer et estime les coûts de reconstruction à 1 428 988,90 $, plus 12 000 $ pour les coûts estimés des permis. 

De son côté, l’assureur estime les travaux correctifs restants à faire en raison du sinistre totalisent environ 325 000 $. Il fait aussi valoir que divers travaux correctifs sont requis en raison d’infiltrations d’eau antérieures au sinistre, et ne sont pas inclus dans la garantie. 

L’assureur a obtenu, durant la première phase de l’audience, que l’instance soit scindée afin que l’arbitre décide uniquement, dans un premier temps, de l’étendue des dommages à l’immeuble ainsi qu’à chaque unité, sans les chiffrer. 

Des ajouts 

L’arbitre retient en grande partie la position de l’assureur et conclut que ce dernier est responsable de payer les travaux liés aux conséquences de l’incendie. Il note que la police ne couvre pas les travaux rendus nécessaires par la présence d’infiltrations d’eau antérieures à l’incendie. 

Cependant, l’arbitre ajoute certaines zones aux travaux à la charge de l’assureur. Si l’assureur avait fourni une preuve détaillée pour les travaux dont il reconnaissait être responsable, ce n’était pas le cas pour les travaux ajoutés par l’arbitre dans sa première décision, rendue le 26 octobre 2020. Cette décision n’est pas contestée. 

Me Dalphond accorde 30 jours aux parties pour s’entendre sur les montants appropriés. Comme les parties ne s’entendent pas sur les montants payables par l’assureur, une deuxième phase de l’audience commence. 

Dans son devis, M. Rioux ajoute environ 85 000 $ à son rapport initial et les réparations couvertes par la police sont estimées à 410 022,77 $. M. Fequet maintient son estimation à plus de 1,4 million de dollars (M$). 

Une conférence de gestion tenue en février 2021 confirme que les deux experts en sinistre sont incapables de produire un rapport commun pour traiter de leurs divergences et de leurs points d’accord quant à l’évaluation des coûts associés aux travaux ajoutés dans la sentence arbitrale. 

Le 25 février 2021, l’arbitre émet une ordonnance de gestion où il rappelle qu’il a tranché les questions de droit et d’interprétation de la police et que les paragraphes 142 à 159 de sa première sentence établissent les travaux à ajouter à ceux retenus par l’assureur. Me Dalphond ajoute que la divergence des évaluations faites par les experts « découle d’une perception erronée du syndicat quant à la portée de la phase 2 du processus arbitral ».

Première contestation 

Avant même que l’arbitre puisse entendre les parties dans cette deuxième phase, le syndicat dépose une première demande d’annulation de la sentence arbitrale du 25 février 2021, en alléguant que l’arbitre a violé la procédure. Le syndicat demande des changements au procès-verbal.

La Cour supérieure indique au paragraphe 18 : « Le syndicat, ayant pris la décision stratégique de ne pas contre-interroger l’expert de l’assureur sur les coûts des travaux associés aux zones que l’assureur reconnaissait devoir reconstruire à ses frais, désirait maintenant contester ces montants. Le syndicat craignait de ne pas être en mesure de le faire en raison des termes utilisés par l’arbitre pour décrire sa première sentence. » 

Le syndicat demande aussi une suspension de l’arbitrage jusqu’à ce que la Cour supérieure tranche la première demande en annulation. Cette demande est rejetée en avril 2021, même si l’assureur ne la contestait pas. 

La deuxième phase de l’audience finit par être tenue en avril 2021. L’arbitre permet alors au syndicat de contester l’estimation des coûts faite par l’expert Rioux pour les travaux à faire dans les zones ajoutées à la première sentence arbitrale. L’assureur n’est pas d’accord, mais l’audience se poursuit. 

Malgré cela, le syndicat ne se désiste pas de sa première demande en annulation. L’arbitre demande aux avocats des parties de lui faire part de leurs représentations écrites sur la question des intérêts et de l’indemnité additionnelle.

Le 28 avril 2021, l’un des avocats représentant le syndicat informe l’arbitre qu’il se retire du dossier. Moins d’une heure plus tard le même jour, Me Dalphond écrit aux parties pour demander une avance d’honoraires pour la rédaction de sa sentence. Il remercie les avocats pour les documents transmis et mentionne : « Cela complète le dossier. Ma rédaction avance bien. »

Le même jour, le procureur toujours actif pour le syndicat écrit à l’arbitre pour lui demander de se récuser, en raison de son manque d’impartialité. 

Sentence finale 

Après paiement de l’avance demandée, la sentence finale est transmise le 6 mai 2021. L’arbitre souligne l’impact de l’entrée en scène de Jimmy Fequet dans le dossier. Me Dalphond rappelle que la thèse défendue par le syndicat, qui désirait la remise à neuf de l’ensemble du bâtiment aux dépens de l’assureur, a été rejetée. 

L’arbitre souligne le caractère « créatif » démontré par M. Fequet pour interpréter sa première sentence, notamment en incluant dans son devis des items non couverts ou non ajoutés, comme des travaux à la salle électrique, ou d’autres qui n’ont pas été retenus. 

En conséquence, l’arbitre juge le devis de l’expert Fequet peu utile et a préféré fonctionner à partir du devis initial et du devis complémentaire, les deux documents ayant été préparés par l’expert Rioux. M. Fequet a pu témoigner devant l’arbitre et a pu faire ajouter des éléments omis dans les zones reconnues par l’assureur ou ajoutées par l’arbitre. Le devis complémentaire totalise désormais la somme de 154 588,01 $. 

À la fin de mai 2021, le syndicat demande l’annulation de la deuxième sentence arbitrale. Cette fois, il invoque cinq motifs pour soulever le doute quant à l’impartialité de l’arbitre. 

L’appel n’est pas possible 

La Cour supérieure répond par la négative aux trois questions soulevées par la demande du syndicat et rejette les cinq motifs. « Les motifs invoqués sont dénués de fondement et constituent une tentative de reprendre l’instance arbitrale pour obtenir une nouvelle opportunité de plaider sa cause, puisque le Syndicat est insatisfait du résultat obtenu », indique le tribunal au paragraphe 39. 

Le fait que la sentence arbitrale ne soit pas susceptible d’appel peut constituer un désavantage pour la partie perdante, souligne le tribunal. Le fait qu’elle soit erronée ne permet pas au tribunal de refuser son homologation, comme le précisait la juge Marie-Josée Hogue dans un ouvrage de doctrine sur l’arbitrage.

L’analyse de la crainte raisonnable de partialité est une question de fait. Un accroc mineur à la procédure arbitrale ne devrait pas automatiquement mener à l’annulation de la sentence arbitrale. 

Le syndicat tente habilement de qualifier son désaccord avec la décision de l’arbitre en invoquant l’apparence de partialité, mais le tribunal ne peut se saisir du fond du différend dans le cadre d’une demande en annulation de sentence arbitrale. 

Sans idée préconçue 

L’arbitre a octroyé une somme de 486 294 $ au syndicat. On ne peut lui reprocher d’avoir eu une idée préconçue, car il a permis au syndicat de contester le devis de l’expert de l’assureur. En avril 2021, l’assureur avait déjà versé près de 260 000 $ pour rembourser les travaux réalisés. Il reste un solde payable de 226 600 $, indiquait l’arbitre. 

Les sommes dues ont été payées par l’assureur. Le syndicat demande à l’arbitre de se récuser alors qu’il est en train de rédiger sa sentence finale. En agissant ainsi, la demanderesse « fait flèche de tout bois, n’hésitant pas à avancer n’importe quoi » pour faire annuler la sentence finale et recommencer le processus. 

Il aurait été préférable que l’arbitre tranche la demande en récusation. Malgré cela, cet accroc ne suffit pas à faire annuler la sentence finale. Le tribunal est d’avis que le défaut de l’arbitre de statuer sur une demande basée sur des motifs non fondés ne peut justifier d’annuler ces décisions. 

La sentence finale est homologuée par la Cour supérieure. La Cour d’appel, dans une très courte décision rendue par le juge Guy Cournoyer, ne voit aucune erreur dans le jugement de première instance.

La requérante ne réussit pas à convaincre la Cour d’appel que les erreurs alléguées satisfont aux exigences du troisième alinéa de l’article 30 du Code de procédure civile. En conséquence, la demande pour permission d’en appeler qui a été soumise par le syndicat est rejetée.