Si certains assureurs IARD ne revoient pas leur tarification bientôt, ils pourraient être acculés à la faillite. C'est l'avertissement que lance la Société d'indemnisation en matière d'assurances IARD.Au Canada, les deux-tiers des compagnies d'assurances IARD qui ont fait faillite au cours des 30 dernières années (14 sur 21 compagnies) ont été coulées par une tarification inadéquate, une mauvaise gestion de la croissance et par des réserves insuffisantes. La plupart de ces faillites sont survenues alors que le cycle de l'assurance de dommages approchait de son point le plus bas. La fin d'un nouveau cycle s'amène à grands pas, ce qui pourrait conduire à de nouvelles faillites, avertit la Société d'indemnisation.

L'organisme vient de publier une nouvelle étude sur ce sujet : Why insurers fails : Inadequately pricing the promise of insurance. C'est la Société d'indemnisation qui a la responsabilité d'indemniser les clients des compagnies d'assurance IARD en faillite. Paul Kovacs, directeur général de l'organisme, dit voir certains signes dans le marché actuel qui laissent craindre de nouvelles faillites.

« Le capital requis des assureurs IARD est en baisse, tout comme les profits des compagnies. Ce sont deux éléments qui se sont dégradés au cours de la dernière année. Il y a toutefois certains signes qui viennent contrecarrer ces éléments négatifs et qui nous laissent croire que ce ne sera pas aussi pire que la dernière fois où le cycle était en baisse. Les assureurs IARD ont connu de bons résultats au cours des cinq dernières années. Un autre signe positif est que les compagnies discutent maintenant entre elles et savent qu'elles doivent prendre action sur divers éléments, dont la tarification», dit-il.

Les nuages demeurent bien présents sur l'industrie. M. Kovacs souligne que les résultats financiers des assureurs canadiens sont en baisse alors que le pays n'a pas connu de catastrophes majeures. « Un jour, il y aura un tremblement de terre ou un autre événement sérieux. Aux États-Unis, les résultats sont mauvais à cause des catastrophes naturelles », fait-il valoir.

L'étude réalisée par la Société d'indemnisation met le point sur une autre faiblesse de l'industrie. Pour la première fois depuis 1979, les revenus d'investissement des assureurs sont dans le rouge. Du début des années 1980 au début des années 2000, les assureurs avaient de mauvais résultats techniques, mais avaient de bons revenus d'investissement. En entrant dans le nouveau siècle, l'inverse s'est produit. Depuis 2007, autant les résultats techniques que les revenus d'investissement sont négatifs.

« La normale est de faire un profit dans les deux cas. Il est inquiétant de voir l'industrie ne pas être capable de dégager un profit constant pour les résultats techniques. Les assureurs en sont conscients et travaillent à remédier à la situation. Ça pourrait toutefois leur prendre du temps», dit M. Kovacs.

Pour éviter des faillites, l'élément le plus important à revoir est la tarification des polices, dit M. Kovacs. Ce dernier rappelle que l'assurance IARD n'est pas une industrie comme les autres. Les assureurs doivent vendre leur police sans savoir s'il y aura une réclamation ou pas, ce qui n'est pas le cas des autres institutions financières.

« Les assureurs de dommages n'ont aucun coût à engager lorsqu'ils approchent un client. C'est le travail du professionnel de l'assurance d'anticiper ces coûts. C'est là que les actuaires entrent en ligne de compte. Les chances sont plus grandes en IARD de se tromper. C'est particulièrement vrai pour les nouvelles compagnies d'assurance », dit-il.

Pourquoi les faillites?

L'étude réalisée par la Société s'est penchée sur la tarification. Sur les 14 faillites d'assureurs que le Canada a connues au cours des 20 dernières années, 10 étaient dues à une tarification inadéquate.

Pour s'imposer dans un marché, des assureurs ont sciemment sous-tarifé un produit même dans des périodes où il y avait de nombreuses réclamations. Cette sous-tarification était souvent accompagnée d'une faible sélection des risques, ce qui les menait à la faillite.

Dans d'autres cas, c'est le montant de réserve qui était insuffisant et ce, plus particulièrement pour les assureurs en responsabilité. Lorsque les réclamations ont commencé à entrer, ils n'avaient pas suffisamment de liquidités pour absorber les pertes.

Pour les nouveaux assureurs, l'étude de la Société montre que c'est le manque de connaissance en gestion qui les a menés à la faillite. Les jeunes gestionnaires étaient bien souvent trop optimistes quant à la rentabilité de l'entreprise et croyaient que leur modèle d'affaires produirait des coûts plus bas que dans le reste de l'industrie. Ils ont donc sous-tarifé le produit pour gagner des contrats.

L'étude reconnaît que sous-tarifer un segment d'affaires est une stratégie courante dans l'industrie pour gagner un marché. Dans le cas des nouveaux entrants, cette stratégie était encore plus agressive et n'était pas supportée par une bonne connaissance des marchés et une gestion de risques appropriée.

Selon Paul Kovacs, l'industrie doit aussi revoir la composition de sa police en assurance habitation. « Depuis des années, l'industrie vend un produit multifonction, qui couvre le feu, les variations de climat et plusieurs autres choses. Toutefois, la tarification et la gestion de la police ne sont pas établies en fonction de tous ces critères. Elle sont essentiellement établie sur les risques d'incendie.

« Quand une personne souscrit à une police d'habitation, on lui demande si elle est proche d'une borne-fontaine et d'une caserne de pompiers. On lui demande aussi combien de détecteurs de fumée il y a dans sa maison. Ce sont des choses très importantes à vérifier et l'industrie doit continuer dans cette voie. Les dommages causés par l'eau et le vent sont maintenant deux fois plus coûteux que les dommages causés par le feu. Les efforts pour gérer ces risques ne sont pas doubles, ni voir égaux, à ceux consacrés au feu », dit-il.

Réglementation

Paul Kovacs avance un autre élément qui pourrait conduire certains assureurs de dommages à la faillite : la mise en place de réglementations gouvernementales pour tarifer le marché de l'assurance auto. « L'Ontario a déjà une réglementation en ce sens et elle a de grosses lacunes.

L'industrie ne peut malheureusement pas y faire grand-chose, sauf conseiller les gouvernements. La situation se détériore en Ontario et nous n'avons aucun signe de la part du gouvernement. C'est déconcertant », affirme M. Kovacs.

Jusqu'en 2003, seul l'Ontario régulait le marché de l'assurance auto. Depuis, l'Alberta et certaines provinces de l'Atlantique ont suivi. En Ontario, les assureurs doivent obtenir la permission du gouvernement pour modifier leurs tarifs auto. Le gouvernement intervient aussi sur cet aspect en Alberta. La présence d'une réglementation gouvernementale peut ainsi enlever de la flexibilité à un assureur pour modifier sa tarification, dit la Société d'indemnisation. Ce n'est pas le cas au Québec. M. Kovacs dit d'ailleurs que la Belle province est celle qui se tire le mieux d'affaires en assurance auto.

Dans les marchés où les gouvernements ne sont pas impliqués dans la réglementation, la relation entre les prix et les coûts est très élevée. Si les coûts augmentent, les prix augmentent. Quand le gouvernement est impliqué dans la réglementation, il y a une rupture de ce lien. L'implication du gouvernement ne mène pas directement à la faillite, mais c'est un risque supplémentaire. Dans ses juridictions, on voit plus de faillites. L'Ontario est d'ailleurs la province où on en retrouve le plus », dit M. Kovacs.

La crise économique pourrait avoir un impact sur la solvabilité des assureurs IARD du Canada, mais ce n'est pas le facteur qui affectera le plus les assureurs de dommages selon M. Kovacs.

« Pour certaines industries, comme le domaine bancaire, l'assurance vie, l'automobile et la foresterie, c'est l'enjeu premier. Les compagnies d'assurance IARD du Canada n'ont pas investi dans l'immobilier américain. Les assureurs de dommages sont souvent conservateurs et investissent dans des obligations du gouvernement. Notre industrie privilégie toujours les investissements sûrs. Toutefois, même les investissements les plus sûrs ont été touchés cette fois-ci. L'impact varie toutefois d'un assureur à l'autre », mentionne-t-il.

Quant aux changements climatiques, leur impact sur la solvabilité des assureurs sera limité. M. Kovacs rappelle que les assureurs de dommages doivent voir les changements climatiques comme une occasion et non une menace.

Selon M. Kovacs, les assureurs pourront aider les propriétaires de résidences, car ces derniers sont à la recherche des techniques que les assureurs ont mises en place pour réduire leurs risques. « C'est ce que les assureurs ont fait pour les risques d'incendie et ceux-ci sont en baisse constante depuis quelques années. Au fur et mesure que l'industrie s'engage pour gérer les changements climatiques, c'est une occasion pour eux de servir les propriétaires de résidence et de les aider à gérer le fait que le climat change », explique-t-il.

Quelques statistiques

• Depuis 1979, 314 assureurs IARD ont fait faillite aux États-Unis et au Canada. Depuis 2000, 115 sont devenus insolvables.

• Depuis 1979, 32 assureurs ont fait faillite au Canada. Onze d'entre eux étaient solides financièrement, mais ont dû fermer puisque le siège socialà l'étranger avait des difficultés.

• Depuis que la Société d'indemnisation a vu le jour en 1989, dix assureurs ont fait faillite à cause d'une tarification inadéquate. Ces faillites représentent 71 % des faillites enregistrées depuis 20 ans. Elles ont coûté 128 M$ à l'industrie et ont affecté 193 000 titulaires de polices.

• Selon l'étude de la Société d'indemnisation, les assureurs de dommages canadiens ont enregistré un déficit de 22,8 milliards de dollars entre la valeur réelle des polices et le prix exigé depuis 1980. (Ce chiffre comprend l'ajustement à l'inflation.)

Source : Société d'indemnisation et A.M. Best