Le propriétaire immobilier confie à un entrepreneur les travaux d’agrandissement d’un bâtiment commercial. Des problèmes avec la dalle de béton entraînent des délais dans la reconstruction. L’entrepreneur se fait réclamer des dommages et demande à son assureur en responsabilité civile de le défendre. La Cour d’appel accepte de trancher le litige sur la requête de type Wellington

En première instance, l’affaire a été entendue les 3 et 4 septembre derniers dans le district judiciaire d’Arthabaska par le juge Jean-François Émond, de la Cour supérieure du Québec. Les demanderesses sont le propriétaire de l’édifice, Immeubles LCL, et les entreprises locataires qui n’ont pas eu accès à l’immeuble dans les délais promis, Industries Sainox et Groupe Plombaction. Elles réclament des dommages totalisant 368 556,34 $ à l’entrepreneur.

La défenderesse est Construction Y.G.C., laquelle détient une police d’assurance en responsabilité civile des entreprises auprès de l’assureur Northbridge General Insurance Corporation, défenderesse en garantie. Trois autres firmes sous-traitantes de l’entrepreneur sont mises en cause dans le litige. 

L’entrepreneur a intenté un recours récursoire pour forcer l’assureur à payer les dommages advenant une condamnation sur la demande principale, en plus de prendre sa défense. Devant le refus de Northbridge d’assumer son obligation de défendre, Y.G.C. a présenté une demande de type Wellington.

Le jugement rendu le 29 septembre 2025 accepte la requête de l’entrepreneur. Cependant, la Cour d’appel du Québec a entendu la requête pour permission d’appeler soumise par l’assureur le 19 novembre dernier. Les arguments des parties seront entendus en avril 2026. D’ici là, les procédures en première instance sont suspendues. 

Le contexte 

Le contrat a été accordé le 1er novembre 2021. Durant l’exécution, le propriétaire constate que la dalle de béton mise en place par Y.G.C. et ses sous-traitants est endommagée et se délamine. Immeubles LCL est d’avis qu’il n’est pas possible de la réparer et demande à l’entrepreneur de la démolir et d’en couler une nouvelle. 

Après évaluation de la situation avec la compagnie ayant souscrit son assurance chantier, en l’occurrence Northbridge, Y.G.C. accepte de refaire la dalle. Les délais ont retardé la livraison de l’ouvrage, ce qui a entraîné une perte de jouissance du bâtiment. Le propriétaire réclame la perte des revenus de location, tandis que les locataires allèguent des pertes de revenus et d’efficacité. 

Refus de couverture 

Northbridge refuse de prendre fait et cause pour l’entrepreneur et d’honorer son obligation de l’indemniser. Elle estime que les dommages réclamés à l’assuré ne constituent pas des dommages matériels au sens de la police d’assurance en responsabilité civile. Par ailleurs, si le tribunal devait en décider autrement, ces dommages matériels n’ont pas été causés par un sinistre. L’assureur mentionne diverses exclusions à la police pour rejeter la réclamation. 

L’entrepreneur veut forcer l’assureur à le défendre, même s’il nie la couverture. Le juge Émond rappelle que l’obligation d’indemniser qui incombe à l’assureur est distincte de son obligation de défendre. « Dans le cadre d’une demande de type Wellington, le seuil de persuasion imposé à l’assureur est peu élevé. » L’assureur sera tenu à son obligation de défendre l’assuré à moins qu’il démontre que la réclamation ne relève « clairement » pas de la couverture offerte. 

« Dans le cas de contexte d’une demande fondée sur un dommage matériel s’apparentant à un vice de construction, comme c’est le cas en l’espèce, il faut se garder de conclure trop rapidement qu’il ne constitue pas un accident ou un sinistre », précise la Cour supérieure.

En 2010, la Cour suprême du Canada est d’ailleurs intervenue dans l’affaire Progressive Homes c. Assurances générales Lombard*. Ses arguments ont été repris par la Cour d’appel du Québec dans le litige Développement les Terrasses de l’Île inc. c. Intact compagnie d’assurance en 2019. 

La Cour suprême donne une interprétation large aux notions de « sinistre » et d’« accident », notait la Cour d’appel. « Il y a donc couverture si les vices de construction et de conception, qui n’étaient ni prévus ni voulus par l’assuré, causent des dommages matériels à l’immeuble. La possibilité de tels dommages suffit pour déclencher l’obligation de défendre. » 

En première instance 

Le juge Émond analyse ensuite les trois moyens invoqués par l’assureur pour justifier son refus de défendre. Northbridge fait valoir deux arguments à propos de l’absence de dommages matériels. En premier lieu, elle plaide que les pertes économiques découlant d’un événement survenu en cours d’exécution d’un contrat de construction relèvent plutôt d’une assurance complémentaire à l’assurance chantier, de type wrap up, que Y.G.C. ne détenait pas. 

Au stade de la requête de type Wellington, le tribunal estime plutôt que les réclamations des locataires Sainox et Plombaction peuvent constituer des dommages pour perte de jouissance qui découlent de la détérioration ou de la destruction d’un bien corporel. Or, ceux-ci sont expressément visés dans la définition de « dommage matériel » inscrite à la police de la défenderesse. Le tribunal rejette donc l’argument de l’assureur. 

En second lieu, Northbridge fait valoir que la perte de jouissance découlerait exclusivement du long délai pris par Y.G.C. pour procéder à la reconstruction de la dalle de béton. Au moment de conclure le contrat avec l’entrepreneur, le propriétaire avait fixé des dates de livraison au contrat, rapporte l’assureur dans un très court extrait de l’interrogatoire du représentant d’Immeubles LCL. 

Pour le tribunal, à ce stade préliminaire de la procédure, « il paraît difficile, pour ne pas dire hasardeux, de conclure que le délai pris par Y.G.C. pour amorcer les travaux » serait à lui seul la cause des pertes de jouissance alléguées. 

L’absence de sinistre est le deuxième moyen invoqué par l’assureur pour nier la couverture. Selon Northbridge, les dommages découlent de malfaçons, lesquelles ne sont pas couvertes par la police d’assurance en responsabilité civile, mais plutôt par la police d’assurance chantier. Or, celle-ci ne prévoyait pas l’indemnisation des dommages pour les retards contractuels. 

Un rapport d’expertise a été produit par la firme LEQ. Les causes de la délamination de la dalle de béton ayant nécessité sa reconstruction y sont déterminées. Selon le tribunal, plusieurs incidents successifs ont pu contribuer, incluant des lacunes à l’usine de fabrication, dans un contexte qui sera clarifié au procès. Les dommages réclamés en pareil cas pourraient être couverts par la police en responsabilité civile. 

À la lumière des actes de procédure et des pièces produites à leur soutien, le délai pris par Y.G.C. lors de la reconstruction de la dalle n’explique pas à lui seul le retard de livraison de l’ouvrage. Il est possible que la couverture puisse être déclenchée, ne serait-ce qu’en partie, ce qui entraîne l’obligation de l’assureur de défendre les droits de son assurée. 

Le troisième moyen concerne plusieurs exclusions à la police en responsabilité civile, inscrites à la partie III, section 2. Au paragraphe h, où l’on exclut les dommages à certains biens, se trouve une exclusion au dommage matériel à toute partie de biens devant être réparée ou remplacer en raison de la mauvaise exécution des travaux sur ladite partie.

Le tribunal de première instance estime que la portée des exclusions invoquées n’est pas démontrée à ce stade et qu’il est même douteux que l’assureur puisse les opposer aux locataires de l’immeuble, lesquelles ne sont pas parties au contrat de service intervenu entre le propriétaire et l’entrepreneur. Si la détérioration de la dalle peut s’expliquer par des problèmes à l’usine de fabrication de béton, les exclusions pourraient ne pas s’appliquer.

La Cour supérieure ordonne donc à la défenderesse en garantie Northbridge d’assumer son obligation de défendre, et de rembourser à Construction Y.G.C. les honoraires et frais raisonnables et nécessaires qu’elle a engagés jusqu’au jugement rendu le 29 septembre 2025. 

Permission accordée 

Le 19 novembre, la juge Suzanne Gagné a entendu les arguments de l’assureur dans sa demande de permission d’appeler du jugement rendu en première instance sur la requête Wellington. Selon le procureur de Northbridge, la requérante soutient que le jugement ne tient pas compte de la nature véritable de la réclamation et de la définition de dommages matériels. 

De plus, le jugement serait entaché d’une faiblesse apparente à propos du principe directeur d’une police d’assurance en responsabilité civile, « laquelle n’est pas conçue pour couvrir les dommages causés aux travaux exécutés par l’entrepreneur ou ses sous-traitants en cours de chantier ». 

Enfin, l’assureur souligne que le jugement ne contient aucun motif justifiant de mettre de côté le libellé clair de la clause d’exclusion h) sur les dommages à certains biens.

La juge Gagné donne raison à la requérante sur cette exclusion et estime que le jugement comporte à première vue une faiblesse, tout au moins au regard de la motivation indiquée aux paragraphes 36 et 37 du jugement de première instance. 

Il est bien établi qu’un jugement qui accueille une demande de type Wellington « est susceptible de causer un préjudice irrémédiable à l’assureur », note la juge Gagné. L’appel envisagé respecte le principe de la proportionnalité. L’assureur devra déposer son exposé au greffe de la Cour d’appel d’ici le 8 janvier 2026, et la partie intimée aura jusqu’au 20 février 2026 pour remettre sa propre argumentation. La longueur des exposés est limitée et les parties auront chacune 40 minutes pour présenter leurs arguments lors de l’audience prévue le 17 avril 2026. 

* NDLR: Lombard est l’une des trois sociétés d’assurance à l’origine de la création de Northbridge.