L’industrie de l’assurance canadienne continue de ressentir les répercussions de l’annonce, en décembre dernier, de la mise sous séquestre de TruStar Underwriting Inc., un agent général de souscription (MGA) actif en assurance de dommages. TruStar a également intenté une poursuite devant les tribunaux contre son ancien président-directeur général (PDG), Daniel Alexander Moses, ainsi que contre deux personnes et deux sociétés non identifiées.
Des documents de la Cour supérieure de justice de l’Ontario, datés du 24 décembre 2024, indiquent que « TruStar a découvert des preuves substantielles laissant croire que M. Moses avait souscrit des polices, sans les placer auprès d’assureurs, tout en affirmant à des clients et à d’autres professionnels du secteur que ces polices étaient bel et bien en vigueur ».
« Cette affaire a suscité de nombreuses discussions dans le milieu de l’assurance », observe Mark Abraham, PDG du Registered Insurance Brokers of Ontario (RIBO), basé à Toronto.
Selon lui, il y a désormais une prise de conscience accrue dans l’industrie. Il souligne que les assureurs, les courtiers et les agents généraux veulent désormais mieux comprendre ce qui peut être amélioré pour accroître la protection de toutes les parties prenantes.
« Pour appuyer cette démarche, RIBO a diffusé un rapport d’information obligatoire qui posait plusieurs questions aux sociétés enregistrées afin d’évaluer les pratiques actuelles des courtiers en lien avec les MGA. Nous poursuivons notre analyse approfondie et cherchons à dégager des pratiques exemplaires pouvant alimenter nos lignes directrices, tant pour les courtiers œuvrant chez un MGA que pour les MGA eux-mêmes », ajoute M. Abraham.
RIBO se concentre sur trois axes, précise-t-il : comprendre les facteurs ayant permis — ou pouvant permettre — la fraude; cerner les implications pour l’industrie; et déterminer comment les courtiers et les MGA peuvent mieux se protéger et protéger les consommateurs.
Chronologie des événements
23 décembre 2024 – Le RIBO est informé d’une procédure judiciaire en cours impliquant TruStar Underwriting Inc., un détenteur de permis du RIBO.
24 décembre 2024 — Dépôt d’une requête en Cour supérieure de justice de l’Ontario opposant TruStar Underwriting Inc. (demandeur) à Daniel Alexander Moses, son ex-PDG, ainsi qu’à deux individus anonymes (John Doe 1 et 2) et deux sociétés anonymes (John Doe Corporation 1 et 2), en tant que codéfendeurs.
24 décembre 2024 – La Cour supérieure de justice de l’Ontario nomme Grant Thornton Limited à titre de séquestre et gestionnaire de tous les actifs, entreprises et biens de TruStar.
8 janvier 2025 – Le RIBO annonce que l’Association des courtiers d’assurance de l’Ontario (IBAO) a rédigé une série de directives générales pour les courtiers ayant émis des polices par l’entremise de TruStar.
Les MGA sous la loupe
L’affaire TruStar a ravivé le débat sur le rôle des agents généraux (ou MGA), une fonction souvent mal comprise dans l’industrie, selon Steve Masnyk, directeur général de l’Association canadienne des agents généraux de souscription (CAMGA), qui représentait les MGA en assurance de dommages au moment de l’entretien avec le Portail de l’assurance. Son départ de la CAMGA a été récemment annoncé.
« Le point positif, c’est qu’on observe maintenant un intérêt accru, tant du côté des courtiers que des assureurs, pour comprendre comment fonctionnent les MGA : quels standards respectent-ils? Quels standards devraient-ils respecter? Quel niveau de transparence, de gouvernance et de reddition de comptes doivent-ils atteindre? », explique-t-il.
M. Masnyk souligne que de nombreux membres de la CAMGA respectent déjà des normes élevées à ces égards — ce que peu de gens savaient auparavant.
Stephen Stewart, président-directeur général de Stewart Specialty Risk Underwriting Ltd., à Toronto, reconnaît que « les actes présumés de TruStar ont nui à la réputation des MGA et des courtiers ». « Il me semble néanmoins évident que les manquements allégués relèvent d'un cas isolé, et non pas d'un problème systémique », nuance-t-il.
Malgré les spéculations sur la possibilité qu’une réglementation plus stricte ait pu empêcher l’affaire TruStar, M. Stewart rappelle que la fraude est déjà visée par le Code criminel, et que la réglementation n’est pas une garantie contre ce type d’événement.
« Ce genre de situation pourrait survenir dans un cabinet juridique, une maison de courtage ou tout autre organisme qui détient des fonds en fiducie », fait-il valoir. Il ajoute que, selon la ligne directrice B-10 du Bureau du surintendant des institutions financières (BSIF), « les assureurs ont la responsabilité de s’assurer que les entités auxquelles ils délèguent leurs obligations agissent conformément à la réglementation du BSIF ».
Cela dit, une gouvernance plus rigoureuse chez le MGA, conjuguée à des exigences accrues de la part des assureurs délégants, « aurait probablement permis de détecter les irrégularités plus tôt, voire de les prévenir entièrement », affirme M. Stewart.
Les courtiers ont aussi un rôle à jouer, notamment en validant les processus internes des MGA. De manière générale, une diligence raisonnable renforcée de la part de tous les acteurs aurait pu prévenir ou atténuer la situation, insiste-t-il.
Éviter la prochaine crise
Plusieurs gestes simples et de bon sens auraient pu éviter ce qui s’est produit chez TruStar, selon Steve Masnyk, notamment exiger deux signataires pour les comptes en fiducie. Il précise qu’il est facile pour un MGA de montrer à ses partenaires assureurs et courtiers qui sont les signataires autorisés. Une banque peut d’ailleurs produire cette information rapidement, sans frais.
De plus, selon les bonnes pratiques d’affaires et le Code de normes opérationnelles de la CAMGA, un MGA devrait, dès l’étape de la soumission, divulguer les noms des assureurs derrière chaque police qu’il soumet, souscrit et émet.
« À ma connaissance, une seule personne était signataire du compte en fiducie, ce qui lui donnait le plein contrôle sur les fonds », explique M. Masnyk. « Les sommes déposées dans ce compte sont des primes qui n’appartiennent ni au MGA ni au courtier, mais à l’assureur. Le MGA agit donc comme un simple intermédiaire qui détient temporairement ces fonds entre le courtier, l’assuré et l’assureur », dit-il.
Il ajoute que tant le courtier que l’assuré doivent savoir clairement qui sont les assureurs derrière la police émise par un MGA. Il est d’ailleurs très facile de vérifier auprès d’un assureur si une police a bel et bien été émise. « Est-ce que je détiens une couverture d'assurance avec votre compagnie? »
Même si le mandat de la CAMGA est limité, l’association continue de promouvoir ses standards, incluant ses divers codes de déontologie et son Code de normes opérationnelles, poursuit-il.
Mais au-delà de la CAMGA, plusieurs MGA eux-mêmes prennent l’initiative de promouvoir publiquement les normes qu’ils appliquent. « Cela contribue à démontrer leur volonté d’être transparents et responsables, et à prouver qu'ils ont des procédures et des règles de gouvernance qui dictent leurs activités. C’est l’un des aspects positifs qui ressort de cette situation délicate », conclut M. Masnyk.
Des MGA qui choisissent la voie de l’encadrement volontaire
Selon Mark Abraham, bien que les MGA en assurance de dommages ne soient pas actuellement tenus d’obtenir un permis sous la Loi sur les courtiers d’assurance inscrits, plus de 80 MGA ont volontairement choisi de se soumettre au processus d’inscription du RIBO. Ce faisant, ils s'engagent à suivre les mêmes exigences réglementaires applicables aux courtiers.
Cela comprend : la tenue en fiducie des primes des clients; l’obtention d’une assurance de fidélité et d’erreurs et omissions conforme aux exigences minimales du RIBO; le respect du Code de conduite, de la Loi et des lignes directrices de RIBO, ainsi que d’autres obligations légales; et l’ouverture à un processus officiel de plaintes et d’enquêtes.
« Un cadre réglementaire ne peut pas tout prévenir — pas plus que les lois ne peuvent empêcher tous les crimes —, mais il accroît considérablement la responsabilisation et offre une réelle protection aux consommateurs », souligne M. Abraham.
« En tant qu’organisme de réglementation, nous sommes bien positionnés pour collaborer avec les courtiers et l’ensemble du secteur des MGA en assurance de dommages afin de mettre en place des standards robustes et cohérents. Nous encourageons tous les MGA à se soumettre volontairement à l’encadrement et à viser les mêmes standards élevés que les courtiers », conclut-il.
Réaction des autorités réglementaires
Le Portail de l’assurance a sollicité les commentaires de l’Autorité ontarienne de réglementation des services financiers (ARSF) à propos de l’impact de la mise sous séquestre de TruStar Underwriting Inc., dans la foulée des manquements allégués.
« L’ARSF a pour mission de protéger les consommateurs et de s’assurer que les entités qu’elle réglemente respectent leurs obligations », indique Ashley Legassic, responsable principale des relations médias et du numérique à l’ARSF, à Toronto.
« Un séquestre désigné par la cour mène actuellement une revue des opérations de TruStar Underwriting. L’ARSF suit de près le déroulement du processus. Étant donné la nature active du dossier, nous ne commenterons pas davantage pour le moment. »
« Nous poursuivrons nos activités de surveillance et fournirons des mises à jour, au besoin », ajoute-t-elle.
Des documents de la Cour supérieure de justice de l’Ontario datés du 24 décembre 2024 précisent que Grant Thornton Limited a été nommé séquestre et gestionnaire « de tous les actifs, entreprises et biens de TruStar utilisés dans le cadre de ses activités commerciales ».
Le Portail de l’assurance a également contacté Grant Thornton au sujet du dossier. « En raison de notre rôle dans ce dossier actif, nous ne pouvons pas commenter », a répondu Lindsay Barnes, directrice principale des communications externes chez Doane Grant Thornton LLP, à Toronto.