Avec le projet de loi 150, la possibilité que les courtiers soient obligés de présenter quatre propositions fait craindre aux grossistes de se retrouver avec un lot grandissant de demandes qui n’aboutiront pas.
Si la tâche s’annonce plus facile en assurance des particuliers, c’est une autre paire de manches pour l’assurance des entreprises, plus spécialement pour les risques en sous-standard. C’est ce qu’indique Sébastien Gabez, directeur financier et vice-président pour le Québec chez APRIL Canada.
« J’imagine mal le concept pour des risques comme le camionnage, où il y a tout juste quatre assureurs. Si la mesure des quatre soumissions se concrétise, ce qui me semble plutôt comme un vœu pieux, nous serons là pour les courtiers. Nous croyons que la mesure pourrait engranger un surplus d’activité, dans lequel cas nous serons prêts à les recevoir et à servir nos courtiers », souligne-t-il.
« Du travail jeté à la poubelle »
Si la mesure est adoptée telle quelle, lorsqu’un courtier présentera quatre soumissions à son client, une seule d’entre elles sera acceptée. Trois fournisseurs auront donc fait le travail de soumission sans que celle-ci se concrétise en vente. Tous les grossistes interrogés par le Journal de l’assurance appréhendent une hausse des demandes qui ne se traduiront pas en nouvelles affaires.
« Je ne peux pas me permettre de travailler juste pour faire compétition à Intact Assurance ou pour aider le courtier à remplir cette exigence. Sur 100 soumissions, nous en écrivons entre 15 % et 18 %. Imaginez-vous tout le travail jeté à la poubelle ? », souligne Pierre Chicoine, président de Profescau.
« Nous voulons bien offrir le service aux courtiers. Nous voulons que cela se fasse dans le cadre d’une relation d’affaires juste et équitable, renchérit Sébastien Gabez. On ne veut pas donner des soumissions uniquement dans le but de donner des soumissions. Il faut qu’on ait le sentiment que le courtier nous sollicite dans le but de faire cette affaire avec nous. Nous prioriserons nos efforts dans un contexte où, potentiellement, nous aurons une hausse grandissante des demandes. »
M. Chicoine déplore que le gouvernement n’ait pas fait la différence entre les segments d’assurance des particuliers et des entreprises. Il affirme que cela pourrait créer une certaine insécurité chez les courtiers.
« Ces derniers peuvent mal paraitre aux yeux des clients parce qu’on ne leur aurait pas présenté quatre soumissions avant le projet de loi. Les courtiers doivent expliquer que leur rôle n’est pas celui de “magasineur”, mais plutôt de conseiller. »
Dans certains cas, deux soumissions seraient suffisantes, dit M. Chicoine. Dans d’autres, il ne serait pas possible d’en présenter quatre, ajoute-t-il. « Je ne sais pas dans quelle mesure les courtiers pourront faire jouer le jeu des quatre propositions aux assureurs et aux grossistes. »
Relation à revoir
Guy Boissé, vice-président des ventes chez Groupe d’assurance Totten, affirme devoir prendre des mesures pour resserrer les critères de soumission. « Nous devons rehausser le niveau de prime que l’on demande. Nous n’avons pas encore statué sur le seuil. Nous voulons nous assurer de ne pas avoir à gérer des comptes qui n’en valent pas la peine. »
M. Boissé dit aussi que le projet de loi 150 forcera les grossistes à revoir leur relation avec les courtiers. Il garde tout de même une lueur d’espoir. « En contrepartie, cela va créer de nouvelles occasions qui n’étaient pas présentées aux grossistes. »
Il craint toutefois que le fait de devoir faire plus de demandes à différents assureurs ou grossistes augmente les cyberrisques auxquels les courtiers font face. « Les courtiers devront mettre tous leurs comptes sur le marché, l’information sur les assurés se promènera davantage. Si j’étais un cabinet, je mettrais l’accent sur la protection des données, puisqu’un plus grand mouvement de celles-ci augmente les chances d’une brèche informatique », souligne-t-il.
Pour Jean-François Raymond, président de Groupassur, l’enjeu pour les grossistes face au projet de loi 150 ne se situe pas auprès de l’obligation des courtiers de proposer quatre soumissions, mais plutôt au statut du cabinet de courtage lié à la propriété de ceux-ci par des assureurs.
« Si un cabinet de courtage devient une agence parce qu’il a des liens financiers avec un assureur et qu’il concentre auprès de celui-ci, le volume qui se trouvait auparavant chez le grossiste ira à l’assureur propriétaire », explique-t-il.
Meilleure transparence
Or, pour Sébastien Gabez, cette mesure s’avère plutôt une bonne nouvelle pour l’intérêt des clients. « Si le projet de loi amène plus de transparence dans la relation client-courtier, c’est forcément bon. Si un client va voir un agent, il sait qu’il va voir un représentant de l’assureur. Quand un client va voir un courtier, il suppose que le courtier est son représentant, et non celui de l’assureur. Il paie pour la transparence et la neutralité que sous-entend le titre de courtier. Il veut que le courtier aille chercher la meilleure offre sur le marché en fonction de ses accès au marché », dit-il.
Somme toute, l’avenir du projet de loi 150 est toujours incertain. « Le projet de loi n’est pas coulé dans le béton. C’est donc difficile de prévoir les effets qu’il pourrait avoir. S’il est adopté, nous devrons nous préparer pour être en mesure d’offrir le service et de donner les soumissions », dit M. Gabez.
« J’ai de gros doutes que le projet de loi 150 soit adopté, vu la lenteur avec laquelle le projet de loi 141, qui réforme la Loi sur la distribution des produits et services financiers, est étudié », confirme M. Raymond, qui est aussi vice-président du conseil d’administration de la Chambre de l’assurance de dommages.