Grâce aux efforts du Bureau d’assurance du Canada (BAC), le Québec pourrait compter à nouveau sur un groupe de travail composé de différents corps policiers dont le mandat spécifique sera de combattre le vol auto.
Charles Rabbat, directeur de la division des enquêtes du BAC, Québec et Maritimes, avait révélé au Journal de l’assurance en mai dernier qu’il était allé à la rencontre des membres de l’Association des directeurs de services de police du Québec pour les sensibiliser au fléau du vol auto. Les efforts du BAC commencent ainsi à porter leurs fruits, dit-il.

« Les policiers de Montréal, Laval, Longueuil, ainsi que ceux de la Sûreté du Québec et des autres corps provinciaux, commencent à s’échanger de l’information. On voit qu’un groupe de travail informel se forme. La police travaille plus qu’avant les dossiers de vol auto. C’est un bon pas pour nous », dit-il.

M. Rabbat ajoute qu’il va continuer à travailler pour mettre en place les bases d’un tel groupe de travail. « Le ciment des fondations est pris. On doit maintenant travailler à bâtir le reste de la maison », dit-il.

Le BAC a aussi porté une bonne partie de ses efforts pour combattre le vol auto au Port de Montréal. Le BAC et ses partenaires de l’Agence des services frontaliers du Canada et de la Gendarmerie Royale du Canada ont mis la main sur 360 véhicules volés au Port de Montréal, moins que les 500 repérés en 2010.

« Cette baisse nous a éclairés sur certains points. Les voleurs sortent du Québec les véhicules qu’ils y ont volés. Certains sont aussi envoyés dans des ateliers de démantèlement (chops shops), qui sont à l’extérieur de Montréal. Il y a aussi beaucoup d’exportation », dit-il.

M. Rabbat rappelle que le Québec a le plus bas taux de recouvrement de véhicules volés au Canada. À cet effet, il souligne que les véhicules retrouvés sont souvent des modèles plus vieux, abandonnés dans les rues.

Il ajoute que le BAC et ses partenaires n’ont pas eu une année extraordinaire au Port de Montréal. Toutefois, ce sont encore un peu plus de 600 véhicules volés qui ont été retrouvés au Port d’Halifax en 2011, ce qui est légèrement supérieur au niveau de 2010.

« Il y a beaucoup plus de voleurs qui transportent les véhicules volés par les États-Unis. On doit découvrir comment ils les passent à la frontière. Nous avons toutefois quelques idées là-dessus », dit-il.

Vols de véhicules lourds à la hausse
M. Rabbat révèle aussi que les assureurs membres du BAC ont mandaté son service d’enquête pour qu’il se penche sur la hausse des vols de véhicules lourds. « Le vol d’un véhicule lourd peut représenter une perte de 200 000 $ pour un assureur. On voit beaucoup de vols de camions-remorques. Auparavant, on retrouvait le camion, mais pas le conteneur qu’il transportait ou sa marchandise. Maintenant, de plus en plus de camions disparaissent », dit-il.

Le vol de véhicules lourds va ainsi du simple tracteur de ferme au bulldozer en construction. « On voit des machines volées au Québec se retrouver aux États-Unis. Pour dissuader les voleurs, on voit certains entrepreneurs en construction peindre leurs engins en rose ou en orange très voyants pour qu’ils soient plus faciles à repérer. On leur demande aussi de mettre des gros collants avec le nom de leur compagnie. Ça prend beaucoup de travail pour retrouver de tels engins. Graver en gros leur nom sur ceux-ci les rend plus inaccessibles », dit M. Rabbat.

Le BAC, en collaboration avec le Groupement des assureurs automobiles (GAA) et la Société d’assurance automobile du Québec (SAAQ), poursuit aussi ses efforts en publicité. « On ne répètera jamais assez aux gens de barrer leurs portes et d’éteindre leur véhicule lorsqu’ils ne sont pas à l’intérieur de celui-ci. On va continuer à le faire. Aussi, nous avons sensibilisé les policiers communautaires de Montréal à parler de vol auto aux jeunes. Bien souvent, le joy ride est lié à la consommation d’alcool au volant. Les jeunes peuvent aussi être tentés de voler un véhicule pour les pièces dans le but de modifier le leur », dit-il.

Le vol de pièces demeure aussi présent, mais moins qu’il aurait pu l’être compte tenu du tremblement de terre au Japon, qui a affecté les constructeurs automobiles établis dans ce pays. « On craignait beaucoup pour les véhicules de marque Mitsubishi, car leur usine était près de l’épicentre. Les gros fabricants se sont toutefois vite adaptés et nous n’avons pas vu d’augmentation de vols de véhicules japonais, à notre grand étonnement. Soit ces fabricants ont été fort débrouillards ou bien les voleurs se sont approvisionnés ailleurs qu’au Québec », dit M. Rabbat.

Le vol coute aussi cher
Pour Freddy Marcantonio, vice-président, développement des affaires et de la distribution, de TAG, le problème du Québec demeure le bas taux de recouvrement des véhicules volés, qui n’est que d’un véhicule sur trois. « Même si le nombre de vols a chuté, le vol auto coute aussi cher aux assureurs qu’il y a dix ans. La valeur moyenne des véhicules a monté. Elle a même doublé comparée à ce qu’elle était il y a six ou sept ans. Les deux phénomènes rassemblés causent un vrai problème », dit-il.

Il ajoute que le changement de garde des voleurs est une autre cause du taux de vol élevé au Québec. « Avant, 60 % des véhicules étaient volés pour les pièces, contre 40 % pour l’exportation. Cette année, on a bien vu que c’était fini. On voyait la tendance s’inverser depuis quelque temps, mais là, c’est clair. Ce sont 65 % des véhicules volés qui sont destinés à l’exportation », dit-il, tout en précisant qu’il est conservateur en avançant ce chiffre, qu’il croit aussi être plus élevé.

Un véhicule volé pour les pièces peut rapporter de 10 000 $ à 15 000 $ à un réseau clandestin, parfois 20 000 $ s’il s’agit d’un véhicule plus couteux. M. Marcantonio rappelle que les voleurs de pièces ont toutefois quelques dépenses, dont la location d’un garage, ainsi que l’embauche de quelques hommes de main pour détacher les pièces des voitures et tenir un inventaire. Sans oublier que 80 % du véhicule vont aux poubelles.

En s’orientant vers l’exportation, ils ont pu réduire significativement leurs dépenses, tout en faisant gonfler leurs gains. Aujourd’hui, une de leurs seules dépenses est de louer un entrepôt pour un mois, sous un prête-nom, dit M. Marcantonio. Ils ne font que voler le véhicule et l’exportent dans les pays de la péninsule arabique, au Congo ou en Afrique du Sud, entre autres.

Il ajoute qu’en volant, par exemple, un Jeep Cherokee d’une valeur de 40 000 $ au Québec, le crime organisé ira chercher 80 000 $ pour ce véhicule dans ces autres pays. Leurs autres dépenses sont l’exportation, environ 5 000 $, et le cout du vol lui-même, qui coute entre 1 500 $ et 3 000 $.

André Boulay, vice-président exécutif de TAG, relate que son équipe a épinglé un voleur au cours de la dernière année qui avait laissé une liste de véhicules à voler derrière lui. Les modèles les plus recherchés pour les voleurs étaient ceux qui lui rapportaient le plus d’argent. Comme par hasard, tous les véhicules lui rapportant le plus d’argent avaient été biffés de la liste, dit-il.

Les voleurs ciblent aussi les pays qui ont peu de commerce intérieur et pas de manufactures pour exporter leurs véhicules, dit M. Boulay. Comme tout ce qui est importé dans ces pays est taxé, les voleurs remettent le véhicule à neuf et le revendent presque neuf. Ils profitent toutefois d’un vide dans la loi de certains pays, comme dans les Caraïbes, pour économiser la taxe d’importation, ajoute-t-il. Ils s’arrangent avec des douaniers et rentrent le véhicule dans ces pays comme s’il leur appartenait. Ils ne sont pas taxés dans ce cas, même s’ils doivent théoriquement garder le véhicule.

Faiblesse du dollar américain
Les voleurs profitent aussi de la faiblesse du dollar américain. « On commence à voir des véhicules volés aux États-Unis transiter par le Canada pour être envoyés à l’exportation. Ils jouent sur le taux de change. Certaines circonstances donnent encore plus de valeur au véhicule volé », dit M. Boulay.

Autre problème : l’important volume de conteneurs qui transitent par le Port de Montréal, qui avoisine les 1,5 million d’unités par année. Seuls 10 % d’entre eux sont inspectés. « Le concept de la douane y est appliqué. S’ils inspectaient tout le monde qui s’en va à Plattsburgh, il y aurait une file d’attente incroyable. C’est la même chose pour les conteneurs », dit M. Boulay.

Il ajoute que Montréal est victime d’une conjonction de facteurs. Tout d’abord, elle dispose d’un port de mer facilement accessible par la mer, ce qui n’est pas le cas de Toronto, par exemple. Ensuite, le Grand Montréal dispose d’un bassin de véhicules rêvés pour les voleurs, qu’une province comme le Nouveau-Brunswick ne possède pas.

Différents modus operandi
Michael Lendick, directeur national de la sécurité et des relations policières de Repérage Boomerang/LoJack Canada, dit aussi que les vols automobiles au Québec sont de plus en plus destinés à l’exportation.

« Les voleurs ont tendance à se procurer les clés à l’avance. Pour cela, ils ont différents contacts au sein des concessionnaires automobiles. Ils ont aussi de plus en plus recours à l’électronique. Ils vont chercher l’information pertinente dans l’ordinateur de bord du véhicule ciblé et la transmette à un complice, qui attend non loin de là dans un autre véhicule et qui fait une copie de la clé. On fait maintenant face à des organisations criminelles et non plus à des criminels de petite envergure », dit-il.

Charles Rabbat souligne aussi que les voleurs ont plusieurs modus operandi. Toutefois, pour des raisons d’enquête et pour ne pas dévoiler son jeu aux voleurs, M. Rabbat n’a pas dit quelles étaient leurs nouvelles méthodes. Il confirme aussi que voler un véhicule rapporte au moins 1 000 $ à l’auteur du larcin.

Attention aux VGA
André Drolet, directeur national, développement des affaires, de Sherlock, met en garde les assureurs contre les véhicules gravement accidentés, communément appelés VGA. Selon M. Drolet, qui est aussi président d’Info-Crime Montréal, les VGA demeurent l’une des belles portes d’entrée pas trop fatigante pour les voleurs au Québec.

« Il est important d’avoir une politique d’authentification des véhicules. Nous, on a en une. Si cette authentification n’est pas là, on ne marque pas le véhicule. On voit que le vol auto se maintient et même régresse. Tant mieux ! Ça amène une baisse des primes. Ça a aussi entrainé une baisse des rabais pour les produits contre le vol automobile. C’est normal que les assureurs le fassent. Toutefois, ils doivent continuer de faire une distinction entre ceux qui ont une bonne politique et ceux qui n’en ont pas. Il ne faut pas minimiser le marquage. Ça ne doit pas devenir un outil de promotion banal. Il faut garder l’intensité du marquage », dit-il.

M. Drolet souligne que les assureurs ne baissent pas les bras en matière de vol auto, ce dont il se réjouit. Toutefois, il déplore la tendance de certains assureurs à accréditer des entreprises sans faire les vérifications nécessaires.

« Nous sommes les seuls à marquer des roues Mag. Est-ce que ça intéresse l’industrie ? Si elles ne sont pas marquées, ça veut dire que les lumières avant et arrière ne le sont peut-être pas nécessairement. Ça élimine la dissuasion. Je compare le tout à un patron qui permet à son employé de venir travailler sans cravate. Un jour, c’est le veston qu’il laisse tomber pour ensuite adopter la chemise plus sport. Jusqu’au jour où le patron se rend compte que le look est important. C’est toutefois difficile de revenir en arrière une fois que le pli a été pris », dit-il.

C’est pourquoi les assureurs ne doivent pas baisser leur garde à l’égard du vol auto, selon M. Drolet. La pertinence du message doit demeurer, car les résultats sont là. Vérifier l’authentification des VGA est une autre action qu’ils peuvent prendre pour contribuer à réduire le vol », dit-il.

M. Drolet note aussi que le marché d’assurance se resserre. « Le vol auto entre en compétition avec d’autres calamités qui affectent les assureurs, comme les dégâts d’eau et les tremblements de terre. Si on connait un printemps pluvieux comme l’an dernier, le vol auto ne sera pas en haut de la liste des priorités. Ça demeure un danger », dit-il.