Les dégâts causés par le passage de l’ouragan Fiona dans l’est du Canada le week-end dernier sont considérables, mais les assureurs canadiens devraient être en mesure de supporter cette perte sans trop de problèmes.
La firme DBRS Morningtar Canada a publié une note, le 27 septembre, pour commenter les impacts de Fiona sur le marché de l’assurance de dommages dans les provinces de l’Atlantique.
« Fiona sera probablement l’un des pires désastres naturels de l’histoire des Maritimes », indique Patrick Douville, vice-président assurance de l’agence de notation au Canada.
« Les estimations initiales montrent que les dommages assurés devraient atteindre une fourchette entre 300 et 700 millions de dollars. C’est une somme importante, mais pas suffisamment élevée pour affecter de manière importante la santé financière des grands assureurs de dommages, lesquels sont très présents dans cette région du pays », ajoute M. Douville.
Selon la note de DBRS, si l’on considère la taille relativement petite du marché de l’assurance de dommages au Nouveau-Brunswick, en Nouvelle-Écosse, à l’Île-du-Prince-Édouard ou à Terre-Neuve-et-Labrador, le volume de réclamations devrait se comparer à d’autres désastres naturels survenus ailleurs au pays, lesquels ont été absorbés sans problème par l’industrie.
Les données fournies par MSA Research montrent que les quatre provinces représentaient 1,8 milliard de dollars (G$) de primes directes souscrites en 2021, soit 5,9 % du marché canadien de l’assurance habitation.
L’ensemble du marché de l’assurance de dommages dans ces quatre provinces est estimé à 4,8 G$. Les primes d’assurance habitation représentent donc 37 % de ce marché. On précise que Fiona a aussi causé des dommages aux véhicules des particuliers de même qu’aux biens des entreprises.
Un signal aux investisseurs
Le Portail de l’assurance s’est entretenu avec Nadja Dreff, vice-présidente principale en assurance pour le groupe des institutions financières mondiales chez DBRS Morningstar Canada.
Mme Dreff souligne que les dommages assurés reliés à la tempête Fiona seront largement associés aux vents violents, lesquels sont inclus dans les polices, et beaucoup moins aux inondations. Pour ce type de sinistre, on sait que l’avenant est moins populaire chez les consommateurs.
« L’assurance inondations est encore peu répandue », dit-elle. « En conséquence, il ne devrait pas y avoir beaucoup de réclamations reliées aux dégâts causés par les inondations dans les Maritimes », ajoute-t-elle.
Ce constat est valable pour tout le Canada, souligne Nadja Dreff. « Pendant longtemps, cette couverture n’était pas offerte par les assureurs. Ils n’avaient pas les modèles prévisionnels adéquats pour bien évaluer ce risque et le tarifer en conséquence », dit-elle.
L’estimation initiale des dommages de 300 M$ à 700 M$ est vraiment très préliminaire, reconnaît Mme Dreff. Elle ajoute que cette évaluation ne comprend pas les réclamations qui viendront des Îles-de-la-Madeleine, qui font partie du territoire du Québec et qui ont aussi été durement frappées par Fiona.
« Les assureurs prendront des semaines, voire des mois avant de chiffrer les indemnités versées en lien avec la tempête Fiona », indique-t-elle.
En publiant cette note le 27 septembre, l’agence voulait surtout envoyer un signal pour rassurer les marchés financiers. « C’est une grosse tempête, un sinistre majeur, il y a beaucoup de dommages. Mais en aucune manière, il ne faut voir cela comme étant un fardeau tel que cela menace la santé financière des assureurs », dit-elle.
Ian en Floride
Au moment de l’entretien mené par le Portail de l’assurance, l’ouragan Ian se préparait à toucher terre en Floride, après avoir ravagé Cuba. Est-ce que l’agence publiera le même genre de note pour commenter l’impact de cette tempête sur l’industrie américaine de l’assurance ? « Il est vraiment trop tôt pour le dire », dit-elle.
Les premières prévisions faites sur les dégâts possibles causés par Ian variaient de 10-20 milliards de dollars américains (G$ US) à 200 G$ US. « Dans certains cas, on mélange les dommages assurés aux pertes économiques et aux coûts de reconstruction », souligne Mme Dreff.
Petit marché, mais dommages en hausse
Depuis 1983, selon les données du Bureau d’assurance du Canada rapportées par l’agence dans sa note, à aucun moment une catastrophe naturelle survenue dans les Maritimes n’a fait partie du top 10 des pires pertes de l’année.
Fiona aura un impact négatif sur les résultats des grands assureurs canadiens, mais l’effet sur leur ratio de solvabilité sera négligeable. « Il est évident que si une tempête de cette taille frappe une grande métropole densément peuplée, les dommages assurés grimpent de manière exponentielle », souligne Nadja Dreff.
Dans une note datée du 14 septembre, l’agence soulignait que les assureurs doivent revoir leur évaluation des risques et la tarification en raison de la fréquence et de la sévérité plus élevée des désastres naturels. Cette précaution vaut aussi pour les provinces canadiennes, estimait DBRS Morningstar dans sa note sur Fiona.
Les pertes découlant des désastres naturels ont atteint en moyenne 71 G$ US par année entre 2012 et 2021, comparativement à une moyenne annuelle de 50 G$ US pour la décennie précédente.
Même si DBRS n’a pas encore révisé à la baisse les cotes de crédit des grands assureurs de dommages en fonction des changements climatiques, ceux-ci influencent un grand nombre de facteurs qui déterminent l’évaluation de l’agence. Si on ne parvient pas à mitiger les risques climatiques, la solidité financière des assureurs de dommages sera analysée plus rigoureusement, précise DBRS dans sa note du 14 septembre 2022.
« Nous lisons les rapports et les études sur les changements climatiques, et nous savons que les désastres naturels seront plus fréquents et plus sévères. Cela, les assureurs le savent déjà depuis longtemps, car leurs résultats financiers en subissent les impacts », indique Nadja Dreff.
Les coûts des sinistres naturels pourraient largement dépasser les indemnités versées aux assurés dans le passé. L’agence souligne qu’elle maintient les cotes de crédit des assureurs « pour l’instant ».
Plus les pertes assurées seront élevées, plus les assureurs devront ajuster leurs primes en conséquence, ce qui rendra l’assurance moins abordable et accentuera la vulnérabilité des communautés, ajoute DBRS dans sa note.
« Nous savons qu’il y aura plus de catastrophes reliées aux changements climatiques », poursuit Nadja Dreff. Les rapports du Groupe intergouvernemental sur l’environnement et le climat (GIEC) le répètent depuis des années et il est temps d’agir.
« Ce que nous disons aux assureurs est qu’ils doivent mettre à jour leurs modèles afin de ne pas se limiter qu’à l’analyse des pertes subies dans le passé. Ça ne suffit plus à prédire le futur », insiste Mme Dreff.
Les modèles prévisionnistes des assureurs doivent ainsi être révisés avec minutie en fonction des données scientifiques les plus récentes, selon Nadja Dreff.
Prévoir l’évolution du climat demeure un exercice complexe, ajoute DBRS dans sa note, comme on peut le voir dans les nombreux scénarios d’émissions de gaz à effet de serre (GES) soumis par le GIEC dans son rapport publié en mars 2022. Selon l’agence, il faut aussi considérer les incertitudes géopolitiques qui menacent l’atteinte des cibles de réduction des émissions de GES.
La réassurance
Les assureurs auront de plus en plus recours à la réassurance pour gérer leurs risques, et après des années de hausses modérées, l’indice du coût de la réassurance de Guy Carpenter a connu sa plus forte hausse en 16 ans au premier semestre de 2022, avec une indexation de 15 % lors des renouvellements.
« La réassurance connaît des cycles de ce genre. C’est un marché global, il y a de la concurrence, des conditions variables dans les polices, et une grande diversité de réclamations. Quand les taux de réassurance grimpent, c’est pour compenser les pertes subies en raison d’une tarification insuffisante des risques du passé. Le cycle haussier dure un temps, puis ça revient à la normale », explique Mme Dreff.
Les variations des taux d’intérêt jouent un rôle important dans l’intérêt des investisseurs envers les titres des sociétés d’assurance, selon Nadja Dreff. Les risques d’inflation et les changements climatiques sont aussi des facteurs qui influencent les coûts de la réassurance.
L’aide arrive
Dès le 25 septembre, les ministères de la Sécurité publique et de la Protection civile du Canada annonçaient la création d’un programme conjoint avec la Croix-Rouge canadienne pour aider les personnes touchées par l’ouragan Fiona. Le gouvernement fédéral a ainsi promis de mettre un dollar pour chaque dollar qui sera remis par les citoyens canadiens et les entreprises dans les 30 prochains jours.
Les Canadiens qui souhaitent faire un don financier pour aider les victimes de l’ouragan Fiona peuvent le faire par l’entremise du site de la Croix-Rouge au Canada, en composant le numéro 1-800-418-1111 ou en envoyant le message FIONA par SMS au 20222 pour faire un don de 10 $.
Plusieurs banques et institutions financières ont annoncé des dons à la Croix-Rouge pour venir en aide aux sinistrés. Des assureurs canadiens ont fait de même : Aviva Canada (100 000 $) et la Financière Sun Life (100 000 $) ont fait leur annonce dès le 26 septembre, tout comme Intact Corporation financière (150 000 $). La compagnie d’assurance Gore Mutual a ajouté 50 000 $ le 27 septembre.
De son côté, le Bureau d’assurance du Canada annonce le déploiement de son Pavillon mobile d’aide communautaire (CAMP) en mode virtuel. Le centre d’information peut être joint au 1-844-227-5422 et sera animé par l’expertise de personnel spécialisé provenant des assureurs membres du Bureau. Les experts répondront aux questions générales des sinistrés sur la couverture de leur habitation, de leur véhicule ou de leur entreprise. Un site web dédié à l’aide aux sinistrés de l’ouragan Fiona a aussi été créé.
Dans son communiqué du 26 septembre 2022, le Bureau rappelle la liste des sinistres qui sont généralement couverts par les polices d’assurance de dommages et les sinistres qui exigent un avenant à la police.
Le Bureau rappelle aussi qu’il collabore avec les autorités publiques pour créer un programme national d’assurance inondation afin d’élargir la couverture au 1,54 million de propriétés qui n’ont pas accès à cette assurance faute de couverture offerte par les assureurs ou en raison de son coût exorbitant.