Populaire au point de donner lieu à des lancements anticipés chez plusieurs institutions financières, le nouvel abri fiscal d’Ottawa est qualifié par l’industrie de plus grande révolution depuis l’invention du REÉR en 1957. Or, des sondages révèlent une méconnaissance du CELI chez plusieurs Canadiens. Une importante tâche de communication incombera aux conseillers qui veulent tirer parti de cette nouvelle avenue d’affaire.À partir du 1er janvier 2009, les Canadiens auront une autre façon d'épargner à l'abri de l'impôt. Toute personne de 18 ans et plus pourra cotiser jusqu'à 5 000 $ par année dans le compte d'épargne libre d'impôt (CELI). Les gains et revenus d'intérêts produits par le CELI seront exempts d'impôt et le particulier pourra en retirer des sommes à sa guise. Chaque retrait augmentera d'autant l'espace de cotisation disponible et le CELI n'est affecté d'aucune limite, à vie. Tant de qualités ne peuvent passer inaperçues dans un système où subsistent bien peu d'abris fiscaux.

Le nouveau compte d'épargne libre d'impôt pourrait représenter un marché d'une valeur de 20 milliards de dollars (G$) dès 2009, estime une étude de CIBC Marchés des capitaux, publiée le 11 septembre dernier et réalisée par Benjamin Tal.

D'ici cinq ans, l'actif détenu dans ces comptes atteindrait 115 G$, pour représenter une économie d'impôt potentielle d'environ 2 G$ pour les particuliers, montre l'étude.

En 1999, la Grande-Bretagne a tenté la même aventure que le Canada. Son Individual Savings Account (ISA), abri fiscal similaire au CELI, a connu un succès soutenu. Depuis le début de l'expérience britannique, le nombre de comptes ISA a en effet connu une croissance moyenne de 6 % par année. Après un an, la proportion d'adultes qui détenaient un ISA atteignait déjà 22 %.

Au Canada, le CELI fait déjà une entrée remarquée chez les institutions financières. Avant même la date d'entrée en vigueur, elles se succèdent pour annoncer la venue prochaine du CELI dans leur gamme de produits. Plusieurs banques et assureurs offrent le pré-enregistrement aux clients existants et potentiels. Une initiative qui permet à l'institution de créer le compte avant la fin de l'année et de le rendre accessible rapidement dans les premiers jours de 2009.

« Les Canadiens ont tout intérêt à investir dans le CELI afin de réduire leur fardeau fiscal », affirme Peter Aceto, président directeur-général d'ING Direct.

Les clients ont répondu à l'appel. Le 30 octobre dernier, la banque dit avoir déjà ouvert 100 000 comptes d'épargne libre d'impôt, en moins d'un mois. Une offre attrayante explique ce succès : ING Direct propose de payer le double d'intérêt sur la somme déposée dans le compte transitoire jusqu'au 31 décembre, soit 6 %. Ensuite, les avoirs sont transférés dans un CELI. « Nous sommes la seule institution au pays qui a une offre simulant les avantages dont les Canadiens bénéficieront l'an prochain. Le double des intérêts est même meilleur que ce que le CELI offrira en janvier », ajoute M. Aceto.

Approcher les clients

De son côté, Sun Life offre depuis juin des certificats de placement garanti à des taux plus élevés afin d'immobiliser les actifs avant de les transférer automatiquement au CELI le 1er janvier. « C'est une bonne façon d'approcher les clients à l'avance et de s'assoir avec eux pour déterminer comment ce compte peut leur être utile », dit Kevin Strain, vice-président principal, assurance et investissement individuels chez Sun Life. En septembre, Sun Life annonçait que son CELI offrirait aussi des produits de fonds, de rentes et de régimes collectifs dès l'an prochain.

Pour sa part, Desjardins Sécurité financière (DSF) a mis sur pied le compte Transition DSF qui permet à ses clients de déposer des sommes à un taux d'intérêt avantageux en attendant l'ouverture du CELI. Le directeur principal, développement de produits et mise en marché individuel, Claude Paré, estime que cette offre permet aux conseillers de renseigner très tôt leurs clients sur les avantages du CELI pour leur planification fiscale. En septembre, DSF annonçait également la venue du CELI au sein de ses régimes de retraite. Pour sa part, le CELI individuel s'étend aux certificats de placement garantis (CPG), aux CPG boursiers, aux fonds négociés en bourse, à ses autres fonds de placement et aux fonds à garantie de retrait minimum Hélios.

En octobre

Groupe Investors, annonçait la possibilité d'ouvrir un CELI à partir de ses fonds, de ses rentes certaines et de ses CPG. Pour sa part, Standard Life rendait le CELI disponible par l'entremise de ses régimes collectifs en novembre. Plusieurs autres assureurs et banques ont aussi annoncé leur intention d'offrir un CELI le 1er janvier 2009 ou plus tard.

La course pour courtiser les futurs cotisants laisse présager que les dépôts dans ce compte ne tarderont pas à croître, même s'il ne s'agira pas toujours d'argent neuf. Par exemple, un investisseur peut transférer ses actifs non enregistrés dans le CELI et continuer à les faire fructifier à l'abri de l'impôt, escompte Peter Aceto d'ING Direct.

Deux raisons expliquent toutes ces offres anticipées, estime quant à lui Gordon Gibson, premier vice-président et directeur général du service aux particuliers de la Financière Banque nationale (FBN). Les institutions financières veulent s'assurer la plus grande part de marché possible et éviter un engorgement administratif en janvier prochain.

Sensibiliser le client

Tout semble bien beau du côté des institutions financières. Par contre, le manque de connaissances du produit au sein de la population pourrait freiner le succès qu'elles anticipent.

Selon un récent sondage

Harris/Decima teleVox, seulement 3 % des répondants ont une connaissance approfondie du CELI. Moins de la moitié des répondants (45 %) ont déclaré en avoir une vague idée et 40 % n'en avaient jamais entendu parler. Le sondage a recueilli ses données entre le 18 et le 24 septembre 2008 auprès de 2 100 Canadiens. Face à ces résultats, Kevin Barber, vice-président, recherche sur les produits chez Fidelity Investments, soutient que les conseillers financiers jouent un rôle primordial dans la sensibilisation des Canadiens. Selon lui, le conseiller doit rencontrer ses clients le plus tôt possible pour lui révéler les avantages fiscaux qu'offre le CELI ainsi que son rôle dans sa planification fiscale.

Par ailleurs, un récent sondage du Groupe Investors montre que moins de 46 % des Canadiens planifient ouvrir un CELI. Pour les autres, leur résistance proviendrait du manque de connaissance du produit puisque près de la moitié d'entre eux se disent incertains quant au fonctionnement du CELI ou bien ils admettent ne pas connaître cet abri fiscal.

Aussi, la popularité du CELI pourrait être limitée auprès de la population à faible revenu. CIBC Marchés des capitaux prévoit que les Canadiens à faible revenu pourraient se tourner vers le CELI parce leur faible taux d'impôt ne leur permet pas de profiter pleinement de la déduction fiscale du REÉR. Mais la banque d'affaires estime que seulement 5 % des individus qui gagnent moins de 20 000 $ cotisent à un REÉR.

Gordon Gibson, de FBN, prévoit pour sa part que la majorité des cotisations proviendra des mieux nantis.

M. Gibson cite l'exemple de la Grande-Bretagne, où une plus grande proportion des gens possède un compte libre d'impôt dans la population aisée que dans la population moins favorisée. Ainsi, un peu plus de 50 % des individus qui possèdent un ISA se trouvent dans la tranche de revenu la plus élevée alors que pour la tranche la plus basse, la proportion tombe à près de 35 %, selon les données de HM Revenue & Customs (agence du revenu britannique), citées par CIBC dans son étude.

CELI ou REÉR?

Le CELI n'est pas qu'un événement médiatique. Il changera aussi des aspects importants de la planification financière. Le conseiller devra entre autres déterminer pour son client s'il est plus avantageux pour lui de cotiser au CELI, au REÉR ou aux deux (voir tableau Caractéristiques des régimes d'épargne enregistrés). Le conseiller devra aussi vérifier si ses clients détiennent des comptes non-enregistrés qui pourraient bénéficier d'un abri fiscal. « Le transfert de l'épargne dans des comptes imposables vers le CELI est une façon simple de réduire le fardeau fiscal », croit Kevin Barber.

Selon les experts en fiscalité consultés par le Journal de l'assurance, les deux comptes se complètent lors d'une planification financière. Frank Di Pietro, directeur de la planification fiscale et successorale chez Mackenzie, dit d'ailleurs que : « Le degré d'utilisation de chacun des comptes dépend de la situation du client, mais il est primordial que les deux aillent de concert. »

Dans quelles circonstances devrait-on alors prioriser le CELI? Selon Kevin Strain, de Sun Life, les conseillers doivent comparer le taux marginal d'impôt de l'individu au moment où il cotise par rapport au taux marginal prévu au retrait. Si les deux taux sont similaires, comme c'est souvent le cas pour les mieux nantis, il n'y a pas de différence entre le CELI et le REÉR. En outre, les gens fortunés qui peuvent contribuer le maximum au REÉR, soit 20 000 $ pour l'année d'imposition 2008, gagneront à ajouter tout excédent au CELI, et ainsi faire fructifier leurs économies à l'abri de l'impôt pour des projets à plus court terme.

Ce sont ceux qui savent que leur revenu annuel grimpera dans les prochaines années, tels les étudiants, les récents diplômés et les jeunes familles qui doivent prioriser le CELI. Lorsqu'ils atteindront un salaire plus élevé, ils pourront commencer à cotiser aussi au REÉR pour bénéficier des déductions. Une stratégie s'offrira : retirer les sommes accumulées dans le CELI et les transférer dans le REÉR.

Frank Di Pietro, de Mackenzie, donne en exemple le cas du nouveau diplômé qui entre sur le marché du travail. Même si son salaire n'est pas très élevé, il désire épargner en vue d'une première maison ou d'une voiture. « Le CELI est tout indiqué pour lui puisque les retraits se font sans pénalité », dit-il. M. Di Pietro ajoute que ce jeune professionnel pourrait retarder les cotisations REÉR aux années ultérieures puisque, dans l'immédiat, elles n'apportent pas d'économies d'impôt significatives, vu son faible taux marginal d'imposition.

En général, il est donc préférable de cotiser au CELI lorsque le taux de déduction est bas et de cotiser au REÉR quand ce taux est élevé.

Le CELI peut corriger une anomalie du système fiscal canadien. Le REÉR peut s'avérer un outil d'épargne-retraite inadéquat pour les Canadiens à très faible revenu.

Sylvain Chartier, directeur planification fiscale, planification Financière Banque Nationale mentionne les travaux effectués par l'Institut C.D. Howe en 2001 (voir encadré en page 14).

Les retraits du FERR pénalisent les retraités à faible revenu, rappelle M. Chartier : chaque dollar de revenu de pension ou de placement ampute en effet de 50 cents le Supplément de revenu garanti alloué par le gouvernement fédéral. À l'opposé, les retraits du CELI n'affectent pas les prestations gouvernementales basées sur le revenu. Ce compte pourrait donc devenir le produit de choix des moins nantis pour épargner en vue de la retraite.

Les aînés de 71 ans trouveront un allié avec le compte d'épargne libre d'impôt. À cet âge, ils se retrouvent souvent limités dans leurs options d'épargne puisqu'ils sont tenus de convertir leur REÉR en FERR. Ils sont ainsi contraints de retirer un montant minimum à chaque année. Ceux qui se retrouvent avec un excédent de revenu gagneront à déposer les sommes dans le CELI, estime Claude Paré, de DSF. Cela permettra aux actifs de continuer à croître à l'abri de l'impôt, sans effets sur leurs autres prestations.

Le CELI en collectif

Un autre sondage prédit du succès aux institutions financières qui offriront le CELI dans le cadre de leur régime collectif. Selon un document de Hewitt & Associés, « les employeurs qui abordent l'intégration d'un CELI de façon stratégique peuvent se démarquer, démontrer leur innovation et leur engagement à l'égard de leurs employés et renouveler l'intérêt de ces derniers à participer aux programmes de sécurité financière de l'organisation ».

La société, qui offre des services en ressources humaines, a effectué un sondage en juin dernier auprès de 250 employeurs. Les résultats indiquent que 43 % des employeurs interrogés ajouteraient probablement ou certainement le CELI à leur programme d'avantages sociaux. Puis, un autre 45 % d'entre eux n'étaient pas certains, mais ne rejetaient pas l'idée d'offrir éventuellement un CELI collectif.

Desjardins Sécurité financière, Sun Life et Standard Life font partie des compagnies d'assurance qui offriront aux employeurs la possibilité d'ajouter un CELI à leur régime collectif de retraite en janvier prochain.

Selon le directeur principal, développement et mise en marché, épargne-retraite collective chez DSF, Éric Filion, « la réaction des employeurs est très positive et plusieurs d'entre eux devraient ajouter le CELI au cours des prochains mois. La revalorisation des avantages sociaux est un atout pour attirer et conserver les meilleurs employés. C'est une façon de se distinguer de nos concurrents ».

M. Filion ajoute que l'engouement est plus prononcé chez les groupes où on retrouve des hauts-salariés. « Le REÉR de ces participants est souvent rempli à capacité », indique-t-il. Le CELI offre alors de l'espace supplémentaire pour faire fructifier les avoirs à l'abri de l'impôt.

« Si le lancement et la communication entourant le CELI sont efficaces et bien orchestrés, ce produit pourrait être très avantageux pour les employés et constituer un avantage concurrentiel pour les employeurs », affirme Mazen Shakeel, conseiller principal en régies de retraite chez Hewitt.