Alors que les projets d’ordres professionnels pour représenter les conseillers financiers se multiplient, Luc Labelle, PDG de la Chambre de la sécurité financière, souligne que la profession n’en a pas besoin, puisque son organisme remplit déjà ce rôle. Il rejette ainsi du revers de la main les projets de l’Institut québécois de la planification financière (IQPF) et de l'Association professionnelle des conseillers en services financiers (APCSF, ancien RICIFQ).

« L’IQPF est une association qui a un rôle précis dans la structure règlementaire, et qui a l’exclusivité de la formation des planificateurs financiers. Ça les distingue de ceux des autres associations. L'APCSF a son projet, dans lequel il dit vouloir encadrer les conseillers financiers. Aspirer à une telle chose signifie mal connaitre l’encadrement des conseillers financiers du Québec, car la Chambre est leur ordre professionnel dans la province », a souligné M. Labelle, en entrevue exclusive au Journal de l’assurance.

On compte présentement 45 ordres professionnels au Québec. Ceux-ci sont sous l’égide du ministère de la Justice du Québec, qui a confié leur encadrement à l’Office des professions du Québec (OPQ). Une structure similaire existe dans le domaine financier. Le ministère des Finances du Québec a confié à l’Autorité des marchés financiers la supervision du secteur. Celle-ci a délégué à son tour l’encadrement des diverses professions qui la composent à des organismes d’autorèglementation, comme la Chambre.

45 ordres professionnels au Québec

« 45 ordres encadrent les professionnels d’une profession, qui ont pour mission d’assurer la protection du public et la discipline. Ce qu’ils font de plus que la Chambre, c’est l’entrée en carrière, par exemple le Tableau des médecins. En finance, c’est l’Autorité des marchés financiers qui gère l’entrée en carrière. On ne verra pas d’autres ordres professionnels dans le secteur de la finance. D’ailleurs, quel problème y a-t-il avec l’encadrement actuel? », demande M. Labelle.

Selon le PDG de la Chambre, la seule raison d’être d’un ordre professionnel est d’assurer la protection du public. « L’IQPF dit vouloir valoriser la profession. On en fait un bout. L'APCSF prétend pour sa part qu’il pourrait radier les professionnels qui se sont fait sanctionner en assurance ou en investissement des deux côtés. C’est déjà le cas, car on le fait. Il y a beaucoup de désinformation qui circule », dit-il.

Impossible de séparer l'acte conseil de l'acte de distribution

M. Labelle croit aussi qu’il est impossible de séparer l’acte conseil de l’acte de distribution que pose le conseiller financier. « Ce qui fait un professionnel, ce n’est pas la quantité de diplômes, mais plutôt le fait d’être encadré par une organisation. C’est de savoir ce que ton client n’a pas et ce dont il ignore avoir besoin. On peut comparer le tout à une visite chez le médecin. On va le voir pour obtenir un remède, mais on ne sait pas d’avance ce qu’il va nous prescrire. Le client n’est pas en mesure de savoir si la mesure que le conseiller lui propose est la bonne. Il va chercher un conseil. C’est pourquoi le conseiller doit mettre l’intérêt du client en premier », dit-il.

Pour le PDG de la Chambre, le modèle d’autorèglementation actuel est gagnant. « Nous offrons un encadrement intégré des différentes facettes de l’industrie. On ne veut pas que le client devienne un expert des types de profession. Qu’il s’appelle conseiller financier ou planificateur financier, ça ne change rien pour lui. Si l’IQPF devient un ordre, on se retrouvera avec deux syndics et deux comités de discipline. Que fera-t-on si les deux n’arrivent pas aux mêmes conclusions? »

Financement de la Corporation : les discussions s’animent

M. Labelle a aussi abordé la question du financement de la Corporation des professionnels en services financiers, qui chapeautera les 20 sections régionales de la Chambre ne dépendant plus de celle-ci. La Chambre versera 1,8 million de dollars (M$) sur trois ans à la Corporation, qui volera ensuite de ses propres ailes.

« Ça a soulevé des questions lors de notre assemblée générale annuelle en juin. Nous avons l’appui de la majorité des gens qui sont dans nos sections, car les 20 sections ont adhéré au projet. L'APCSF n’aime pas cela. Pourtant, le but de la Corporation est de fournir de la formation à ses membres. On ne lui donne pas de l’argent pour qu’elle se lance dans la représentation de ses membres. Toutefois, on ne pourra pas l’empêcher de le faire si elle le décide », dit le PDG de la Chambre.

Il réitère que la Chambre assistera la Corporation uniquement pour qu’elle se dote d’infrastructures lui permettant de générer des revenus. « Elle aura une dynamique associative et régionale. On ne s’immiscera pas là-dedans », dit M. Labelle.

Il mentionne aussi qu’il y a eu un précédent en la matière concernant une telle démarche. Les régulateurs canadiens avaient forcé Investment Dealers Association of Canada (IDA) à se défaire de sa structure associative. « Un rapport avait recommandé qu’elle soit scindée. Eux aussi ont financé le démarrage. On ne fait rien d’incorrect », dit-il.

M. Labelle souligne que si la Chambre avait continué de financer les sections régionales pour les dix prochaines années, il lui en aurait couté 5 M$, puisque la Chambre débourse annuellement 500 000 $ pour faire vivre les sections régionales. « Là, on part avec un montant de 1,8 M$ sur trois ans. Ce sera fini après. Pour nos membres, qui cotisent, c’est une position extrêmement responsable », dit-il.

Décision rendue fin septembre

Le PDG de la Chambre espère être fixé sur le sort de la Corporation d’ici la fin septembre. La consultation à cet effet, menée par l’Autorité et la Chambre, s’est conclue le 4 septembre.

« Ce serait une belle avancée pour la Chambre, la profession et l’industrie. Ce serait aussi une belle avancée pour notre mission. On pourrait se concentrer davantage sur la protection du public. C’est un projet qui est stimulant. On souhaite qu’il aboutisse. Nos chances sont excellentes », dit M. Labelle.

Le PDG de la Chambre souligne aussi que la création de la Corporation amènera une révision du collège électoral de la Chambre. Auparavant, deux sièges du conseil étaient élus en fonction des régions de la Chambre. Des délégués régionaux élisaient aussi le corps électoral de la Chambre. Le tout sera revu à l’automne.

Loi 188 : miser sur l’autorèglementation

Face à la révision prochaine de la Loi sur la distribution des produits et services financiers, M. Labelle dit n’avoir qu’une seule grande attente : que le gouvernement continue à miser sur l’autorèglementation. « Le projet de loi 188 avait amené une paix relative dans l’industrie. On s’attend à ce que l’auteur du rapport quinquennal lui donne une certaine couleur, qui sera interprétée de différentes façons à droite et à gauche », dit-il.

L’autorèglementation est une formule qui présente de nombreux avantages, dit M. Labelle. « Elle est proche de la pratique. Nous avons des membres qui gouvernent, car ils connaissent mieux la pratique. C’est un concept répandu en Occident et ça y est devenu une force. Il faut miser là-dessus! »

La formule actuelle amène aussi un contrôle des couts accru. M. Labelle rappelle d’ailleurs que la Chambre est l’OAR qui performe le mieux en matière de productivité au Canada. « Le payeur est en même temps membre. Quand il cotise davantage, il faut lui expliquer pourquoi », dit le PDG de la Chambre.

Il ajoute que la Chambre a évoqué la possibilité d’ajouter des pouvoirs avec le temps. « Si l’occasion se présente, on rappellera cette option. On table là-dessus pour aller plus loin », dit M. Labelle.

Toujours en conflit avec les banques

La Chambre traine aussi son conflit avec les grandes banques canadiennes, qui refusent de laisser son syndic accéder aux informations des employés congédiés par l’une d’entre elles. « Elles ne collaborent plus avec nous depuis 2011 concernant ce sujet. Ça leur donnait mauvaise presse. Ce n’est pas la raison qu’elles nous ont donnée, mais c’est le mobile », dit M. Labelle. Il rappelle que sans ces informations, la Chambre est incapable d’aller de l’avant avec un certain nombre de dossiers. Elle a ainsi décidé de poursuivre CIBC pour obtenir une jurisprudence avec les autres banques en la matière.

« C’est un peu choquant de devoir en découdre sur le terrain juridique, alors qu’il s’agit aussi d’une lutte un peu politique. Il ne faut pas oublier qu’il n’y a, au Québec, que les banques qui ne se sont pas dites en désaccord avec la commission unique pancanadienne des valeurs mobilières. Les banques sont aussi de juridiction fédérale. Elles ont malheureusement choisi de protéger leur réputation plutôt que le public », déplore M. Labelle.