Les demandes de remboursement (réclamations) reliées aux médicaments pour la glande thyroïde et le diabète, ainsi qu’aux antidépresseurs et aux traitements du cancer, ont été parmi les plus nombreuses en 2024. Celles reliées aux anti-inflammatoires ont été les plus coûteuses.
C’est le consensus qui s’est dégagé des trois assureurs réunis lors du panel Les tendances liées aux médicaments : qu’est-ce qui affecte les coûts, encore, qui s’est déroulé en ouverture du Congrès Collectif 2025 le 27 février à Montréal.
Chez Beneva, les réclamations en lien avec le traitement du trouble du déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité (TDAH) ont été les plus nombreuses, révèle Gabrielle Côté, pharmacienne, expertise pharmaceutique et gestion des médicaments coûteux, assurance collective, de Beneva. Mme Côté explique que la proportion d’adultes utilisant un médicament pour traiter un TDAH tend à rejoindre celle des enfants et des adolescents.
D’après Mme Côté, la proportion des adultes a augmenté en raison d’une plus grande sensibilisation. « Souvent, nous avons constaté que les parents des enfants diagnostiqués étaient aussi atteints du TDAH, ce qui a engendré une augmentation des réclamations. »
Responsable nationale, gestion stratégique des médicaments, de Croix Bleue Medavie, Marie-Hélène Dugal a observé dans ses régimes que la consommation de médicaments pour traiter le TDAH a augmenté chez les adultes, de 2019 à 2024. « C’est particulièrement le cas chez les femmes et les personnes des générations X et Y. Ce peut être des troubles passés inaperçus plus tôt, ou qui se manifestent en raison de changements liés à la ménopause ou la périménopause, grâce à une meilleure connaissance de la variété des symptômes », pense Mme Dugal.
Parmi les autres réclamations fréquentes, Mme Dugal ajoute que des médicaments arrivent sur le marché pour traiter les maladies respiratoires, à des coûts de plus en plus élevés.
Pharmacien, leader stratégique en programmes de médicaments, chez iA Groupe financier, Frédéric Leblanc observe des tendances similaires à celles cernées par Mmes Côté et Dugal. Outre la fréquence des réclamations, il dit regarder particulièrement l’évolution des coûts. « Des médicaments comme le Synthroid (médicament de AbbVie utilisé contre l’hypothyroïdie) sont extrêmement répandus et remboursés, mais ne sont pas problématiques au niveau des dépenses », observe M. Leblanc.
Molécule de la décennie
Les sémaglutides ont révolutionné la prise en charge du diabète de type 2 et de l’obésité – Gabrielle Côté
L’arrivée des agonistes du récepteur du GLP-1 a inondé les régimes de réclamations. Aussi appelés sémaglutides, ces médicaments sont Ozempic et Wegovy de Novo Nordisk, et Mounjaro de Eli Lilly. Au Canada, Ozempic et Mounjaro sont utilisés pour traiter le diabète de type 2, et Wegovy pour traiter l’obésité. « Les sémaglutides ont révolutionné la prise en charge du diabète de type 2 et de l’obésité », lance Gabrielle Côté. Le diabète de type 2 empêche l’organisme d’utiliser correctement l’insuline qu’il produit.
Elle mentionne que des études recommandent d’élargir les indications thérapeutiques de ces médicaments. Les indications d’un médicament désignent les symptômes ou les troubles sur lesquels il peut agir. Selon Mme Côté, les agonistes du GLP-1 pourraient en effet traiter des cas de comorbidité.
Dans son bulletin Points de repère, Perspectives et tendances santé 2025, Beneva écrit que l’obésité est un facteur de risque important pour plus de 200 maladies chroniques, dont les maladies cardiovasculaires, le diabète de type 2, l’hypertension artérielle, les cancers, les maladies respiratoires et les troubles de santé mentale.
« On n’a pas fini d’en entendre parler dans la prochaine décennie », lance Mme Côté, qui prévoit une multiplication de ce type de médicaments. Elle dit surveiller de près les effets positifs que pourrait avoir cette vague de nouveaux traitements du diabète, et l’élargissement de leurs indications thérapeutiques.
Des génériques et des biosimilaires des sémaglutides pourraient apparaître dans les prochaines années – Marie-Hélène Dugal
Les agonistes des récepteurs du GLP-1 ont commencé à être brevetés il y a déjà quelques années, soulève quant à elle Marie-Hélène Dugal. « Des génériques et des biosimilaires des sémaglutides pourraient apparaître dans les prochaines années », entrevoit-elle.
Mme Dugal prévoit que ces médicaments moins chers inciteront les assureurs à les rembourser pour un plus grand nombre d’indications thérapeutiques. À ce chapitre, Frédéric Leblanc observe que des études se penchent sur des agonistes du GLP-1 dans le traitement de la maladie d’Alzheimer.
M. Leblanc dit suivre de près l’évolution des brevets des sémaglutides, particulièrement l’Ozempic, approuvé par Santé Canada en janvier 2018. Il rappelle que le Mounjaro, lancé l’an dernier, commence à susciter des remboursements. « Sa version pour la perte de poids est disponible aux États-Unis sous la marque Zepbound, et arrive au Canada. Une multitude de molécules de l’agoniste du GLP-1 se développent », ajoute-t-il. M. Leblanc se dit persuadé que dans 10 ans, on sera rendu beaucoup plus loin sur l’utilité de ces médicaments dans la réduction des comorbidités reliées au diabète et à l’obésité.
Des pubs qui dérangent
Cette stratégie publicitaire crée un effet sur la demande des patients – Frédéric Leblanc
En attendant les génériques, des publicités diffusées à grande heure d’écoute dans les médias traditionnels moussent les marques Ozempic et Wegovy, note Frédéric Leblanc. « La réglementation canadienne interdit de préciser leur utilité, mais cette stratégie publicitaire crée un effet sur la demande des patients et probablement un effet indirect sur leur médecin », dit M. Leblanc.
« Il revient à l’assureur de bien en gérer leur utilisation, en mettant en place des mécanismes comme l’autorisation préalable », ajoute-t-il. iA Groupe financier l’a fait avec Ozempic (avant l’arrivée de Wegovy), pour qu’il soit utilisé avant tout pour traiter le diabète.
Beneva et d’autres assureurs ont fait de même. Gabrielle Côté dit que la demande suscitée par les publicités d’Ozempic a amené l’assureur à repenser sa stratégie d’autorisation préalable, réservée auparavant aux médicaments de 10 000 $ et plus. Il s’agit du seuil des médicaments de spécialité.
« Nous avons réalisé qu’il ne faut pas seulement mettre les efforts sur les médicaments dispendieux, mais aussi sur ceux qui le sont moins. Par exemple, des médicaments qui coûtent de 3 000 $ à 5 000 $ par année risquent d’avoir un fort impact s’ils suscitent beaucoup de demandes », explique-t-elle.
Marie-Hélène Dugal parle pour sa part du phénomène des médicaments contre des maladies communes « dont le prix se rapproche du seuil psychologique des médicaments de spécialité ». Elle évoque le cas du Mounjaro, approuvé par Santé Canada en 2021 pour le traitement du diabète de type 2. « Pris à sa dose maximale, le prix de ce médicament contre le diabète peut approcher les 10 000 $ », remarque Mme Dugal.
L’usage croissant de ce médicament pris à cette dose pourrait faire mal aux régimes. L’autorisation préalable de ce médicament permet selon elle de trouver l’équilibre entre coûts et retard dans le traitement de l’assuré. « Les choses se sont calmées en 2024 du côté du diabète, depuis que les assureurs ont mis des mesures en place pour que les médicaments contre le diabète soient utilisés… pour traiter le diabète », constate Mme Dugal.
Inflammations en tête des dépenses
Quant aux réclamations en médicaments les plus coûteuses, les panélistes ont pointé du doigt les maladies inflammatoires. À Croix Bleue Medavie, Marie-Hélène Dugal constate que « ce sont les maladies inflammatoires qui mènent le bal ». « C’est de là que vient la croissance des dépenses des régimes », ajoute-t-elle.
C’est aussi le cas dans les régimes de Beneva. Gabrielle Côté mentionne le Trikafta, de Vertex Pharmaceuticals. Trithérapie composée des ingrédients ivacaftor, tezacaftor et ezacaftor, le Trikafta traite la fibrose kystique et peut coûter par assuré autour de 300 000 $ par année, rapporte Mme Côté. Le Trikafta a commencé à être commercialisé au Canada en juin 2021.
Mme Côté dit que les indications thérapeutiques du Trikafta se sont élargies à d’autres maladies inflammatoires, telles que la polyarthrite rhumatoïde, la maladie de Crohn, les colites ulcéreuses et le psoriasis. « Les maladies inflammatoires créent une grosse pression sur les régimes », affirme-t-elle.
Même son de cloche du côté de Frédéric Leblanc. « Les maladies inflammatoires combinées au diabète représentent près de 25 % des dépenses des régimes au Canada », ajoute-t-il. « Il faut gérer les anti-inflammatoires par l’autorisation préalable, et s’assurer d’une meilleure utilisation des biosimilaires, lorsque cela est possible », estime M. Leblanc.