Plusieurs grandes sociétés d’assurance sont pointées du doigt dans un récent rapport où l’on fait état de leur « complicité » avec l’armée israélienne dans le cadre du conflit en cours au Proche-Orient. Deux assureurs connus au Canada sont ainsi ciblés et ils ont accepté de commenter les allégations au Portail de l’assurance.
Le rapport, intitulé Ensuring Genocide : The Insurance Industry and Israel’s War Machine, a été publié le 26 mars dernier, et les divers groupes qui ont endossé le rapport ont tenu des manifestations devant les établissements des mêmes assureurs en Europe et au Royaume-Uni.
Le rapport publié par Boycott Bloody Insurance est signé par Monika Nielsen, qui a aussi mené les recherches. Derrière cette campagne, on trouve une grande variété d’organisations propalestiniennes, dont plusieurs mènent depuis des années des appels au boycottage du même genre contre les sociétés faisant affaire avec l’État d’Israël et qui participent ainsi à la colonisation des territoires occupés.
Le rapport fait état des liens entre plusieurs grandes sociétés d’assurance et un groupe de 16 entreprises qui fournissent ou transportent de l’équipement, des technologies ou des armes pour le compte de la défense israélienne. Pour chacune des entreprises, le rapport cite un événement où le matériel vendu à l’armée israélienne a causé des morts dans la population à Gaza ou ailleurs en Palestine.
Ces liens peuvent être directs par la couverture de la responsabilité civile de ces fournisseurs. La recherche a permis de retrouver l’assureur qui assure 12 de ces 16 entreprises.
Les liens sont aussi établis par l’entremise des placements faits par les assureurs dans le capital de ces 16 sociétés. Parfois, le même assureur est présent dans les deux activités.
Les fournisseurs ciblés sont BAE Systems, Boeing, Caterpillar, Elbit Systems, General Dynamics, Honeywell International, L3Harris, Leonardo, Lockheed Martin, Northrop Grumman, Oshkosh Corporation, Rheinmetall AG, Rolls-Royce, Textron et ThyssenKrupp.
Elbit Systems est le plus gros sous-traitant du ministère de la Défense d’Israël. Le transporteur danois Maersk est aussi visé dans le rapport pour son rôle dans l’approvisionnement en armes par les cargos qu’il exploite entre les États-Unis et le Proche-Orient.
Allianz entretient des liens d’affaires tant comme assureur ou à titre d’investisseur dans ces 16 sociétés. Cette société a été particulièrement ciblée par les manifestations de la fin mars en raison de la police qu’elle a émise pour Elbit Systems.
Aviva plc (13), AXA (13), Zurich (7), RSA-Intact (7), AIG (4) suivent dans cette liste des assureurs accusés de « complicité » dans ce qui est qualifié de génocide à Gaza. Les compagnies d’assurance Chubb, QBE et Liberty Mutual émettent les polices d’assurance responsabilité civile pour une de ces entreprises.
Comme assureur
RSA, filiale appartenant à Intact Corporation financière, est responsable de la couverture d’assurance de Boeing, qui manufacture des munitions et des hélicoptères utilisés par Israël à Gaza. La police est en vigueur jusqu’au 30 septembre 2025.
AIG apparaît comme assureur de quatre sociétés. Northrop Grumman fournit des pièces et des technologies pour les bateaux et les avions militaires. Rolls-Royce fabrique les moteurs qui font rouler les tanks par l’entremise d’une filiale. L3Harris manufacture quelque 1 600 composantes pour les avions F-35. L’assureur couvre aussi le transporteur maritime Maersk.
Zurich est mentionné comme assureur des sociétés Caterpillar, General Dynamics et Honeywell. La première fournit le bulldozer D9. La deuxième produit des bombes, dont la MK-84. La troisième fournit des composantes pour les équipements militaires.
Comme investisseur
Le rapport énumère aussi les investissements faits par les compagnies d’assurance dans les 15 entreprises directement associées à l’armée israélienne (en excluant Maersk). On précise que l’assureur AIG ne publie plus de détails sur ses investissements et que son portefeuille est géré par la société BlackRock. Les montants qui suivent sont en dollars américains.
Cinq assureurs détiennent ainsi des investissements totalisant 1,7 milliard de dollars (G$) dans ces 15 fournisseurs. Allianz est le deuxième investisseur en importance, avec des placements évalués à plus de 452 millions de dollars (M$). Cet assureur détient des parts de chacune des 15 entreprises ciblées dans le rapport.
Les assureurs AXA (12) et Zurich (4) ont aussi des investissements dans certaines de ses entreprises pour des sommes respectives de 177 M$ et de 180 M$.
Aviva, qui exploite une filiale au Canada, est le plus important investisseur avec des placements totalisant 881 M$ dans 12 de ces 15 fournisseurs militaires. Cela représente 51,5 % des placements qui ont été retrouvés par l’autrice du rapport. Des placements ont aussi été faits par Aviva et AXA dans Maersk, mais les sommes ne sont pas incluses dans le total.
Intact, par l’entremise de sa filiale RSA, détient le plus petit portefeuille avec des placements de 21,3 M$ dans six de ces entreprises, le plus important étant dans BAE Systems pour 7,3 M$. Cette société est décrite dans le rapport comme étant le plus important producteur d’armements militaires du Royaume-Uni, notamment pour sa participation dans le chasseur F-35. BAE fabrique aussi le lanceur d’obus M109.
Les réactions
La majeure partie des investissements faits par Aviva se concentre dans quatre fournisseurs : BAE Systems (345 M$), Rolls-Royce (238,6 M$), Caterpillar (106 M$) et Honeywell (89,3 M$).
Selon Hazel Tan, porte-parole d’Aviva Canada, « Aviva n’exerce aucune activité dans la région et n’a aucune exposition de capitaux dans des entreprises israéliennes ». Dans le cadre de son engagement comme investisseur responsable, « Aviva a les mêmes attentes envers les entreprises qui font partie de son portefeuille ».
La société s’emploie « à améliorer le rendement des entreprises en matière de gestion des risques liés aux droits de la personne, et nous désinvestirons si nécessaire », indique la porte-parole.
Comme entreprise responsable, Aviva a publié sa Déclaration relative à la souscription qui repose sur les facteurs ESG et qui « définit les types d’organisation que nous n’envisageons pas d’assurer », ajoute Mme Tan. Elle a refusé de confirmer l’exactitude des chiffres rapportés concernant les placements faits par Aviva.
De son côté, Caroline Audet, responsable des relations médias et des affaires publiques d’Intact Corporation financière, confirme que la société a pris connaissance du rapport de Boycotte Bloody Insurance. « Intact et toutes ses marques s’engagent à mener leurs activités avec intégrité et dans le respect de toutes les réglementations et normes en vigueur », précise-t-elle.
Assureurs étrangers
La porte-parole d’Allianz, Zsofia Wolken, a transmis une réponse un peu plus détaillée à la requête du Portail de l’assurance. Elle précise que l’assureur ne commentera pas le cas particulier de chacune des sociétés assurées en raison de la confidentialité des contrats qui lient les parties.
« Le secteur de la défense joue un rôle essentiel en fournissant les moyens nécessaires aux politiques de sécurité nationales et régionales. Allianz reconnaît le droit des États souverains à s’armer, mais applique certaines restrictions aux activités liées au secteur de la défense. Conformément aux conventions internationales, Allianz exclut les investissements de ses fonds propres ainsi que les assurances commerciales dans les armes controversées telles que les armes biologiques et chimiques, les armes à sous-munitions et les mines antipersonnel, et exclut également les investissements de ses fonds propres dans des entreprises produisant des armes nucléaires qui ne relèvent pas du Traité de non-prolifération », indique Mme Wolken.
La société déclare suivre les recommandations de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) et de l’Organisation des Nations unies (ONU) concernant l’investissement responsable et fait ses choix à partir de sources publiques d’information en provenance des organisations non gouvernementales (ONG) spécialisées dans le respect des droits de la personne. « Dans des situations complexes où des facteurs géopolitiques entrent en jeu, nous évaluons soigneusement notre implication en tenant compte du contexte plus large et de la position de la communauté internationale », ajoute-t-elle.
La compagnie précise qu’elle adhère aux traités internationaux et aux sanctions qui limitent les exportations vers les pays en guerre, comme le prévoit son document Allianz Sustainability Integration Framework. « Notre engagement en faveur d’une prise de décision responsable est inébranlable et nous nous engageons activement dans un dialogue et maintenons des canaux de communication ouverts avec nos parties prenantes, y compris les ONG et les investisseurs, dont les intérêts et les préoccupations pèsent sur les décisions commerciales d’Allianz », conclut Mme Wolken.
Chez AXA, Ziad Gebran, directeur des relations de presse, souligne que « les investissements d’AXA sont conformes aux lois et réglementations applicables et l’entreprise dispose d’une politique claire en matière de droit de l’homme, qui est alignée sur les normes internationales » en pareille matière.
Depuis longtemps, la société a aussi une politique d’investissement responsable, poursuit-il. « AXA contrôle ses investissements pour s’assurer qu’ils sont conformes aux listes de sanctions applicables. Cela inclut toutes les entreprises produisant des biens militaires ou à double usage si elles figurent sur des listes de sanctions », note M. Gebran.
Du côté de Zurich, la porte-parole Jennifer Pelat répond par courriel que la société n’a aucun commentaire à faire sur le rapport.
En janvier 2024, la Cour internationale de justice a dit qu'Israël devait prendre, en ce qui concerne le peuple palestinien, toutes les mesures raisonnables en son pouvoir « pour prévenir le génocide », tandis que la Cour pénale internationale a émis des mandats d'arrêt contre le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou et l'ex-ministre de la Défense Yoav Gallant pour crimes de guerre et crimes contre l'humanité à Gaza.