On ne peut pas dire que Geoffrey Soucy a été chanceux ces 12 dernières années : il a dû affronter deux incendies de domicile, une commotion cérébrale lui occasionnant des troubles de la mémoire, une perte d’emploi et des problèmes financiers.
Le jugement tombé le 2 août 2023, qui l’oppose à Intact Compagnie d’assurance, révèle qu’une incapacité croissante à démontrer sa bonne foi s’ajoute à la liste de ses infortunes et s’avère lourde de conséquences.
Immédiatement après l’incendie survenu à sa résidence principale, le 27 septembre 2020, qui fut l’objet de ce récent jugement, d’abord les pompiers, puis les policiers, puis la compagnie d’assurance et, enfin, la juge Nicole Tremblay, concluent que le témoignage de M. Soucy n’est qu’un tissu de mensonges. Seule la cour criminelle, également interpellée par les forces de l’ordre, n’a pas encore prononcé son verdict.
Les avocats de M. Soucy plaident que la mauvaise foi se situerait plutôt du côté de l’assureur, qui place son assuré dans une position fort inconfortable en retardant son indemnisation. Entretemps, Intact aurait également réglé l’hypothèque de la maison de façon à se l’approprier.
Ces délais entraîneront d’ailleurs une poursuite en dommages et intérêts de la part de M. Soucy, s’ajoutant aux coûts reliés à son installation temporaire, et à ceux toujours croissants des travaux imminents. Ces aléas amènent plusieurs modifications de la réclamation déposée en cour à l’encontre d’Intact, dont la somme s’élève dorénavant à 543 757,57 $.
Après plusieurs journées de procès, le tribunal condamne plutôt l’assuré à payer diverses sommes totalisant 253 954,51 $ à l’assureur, plus les intérêts et l’indemnité additionnelle.
Dans un camp de chasse, il y a longtemps…
Les avocats d’Intact se présentent également en Cour avec des requêtes concernant plusieurs sommes déjà versées relativement à ce sinistre. Ils y ajoutent la réclamation des sommes versées en indemnisation pour un précédent incendie, d’une résidence secondaire couverte par Intact, survenu le 18 décembre 2012. Cette demande rétrospective s’appuie sur un nouveau récit des faits de ce premier incident, relaté le 21 mai 2021, par M. Soucy. Cette version n’aurait que très peu à voir avec celle que le sinistré aurait livrée du même événement, le 15 janvier 2013.
En effet, dans la version de 2013, M. Soucy prétend qu’il est allé seul à son camp de chasse, afin de le vider, avant de le vendre. Le feu y aurait été causé par la surchauffe du panneau solaire, alors qu’il se trouvait à l’intérieur du camp. Dans la seconde version, il prétend s’y être rendu avec un ami, afin de préparer une fin de semaine de pêche en famille. Tous deux auraient quitté les lieux en laissant le poêle allumé. L’incendie se serait déclenché en leur absence. L’ami cité par M. Soucy nie avoir été présent.
Dans le cadre de son procès de 2023, M. Soucy demande une révocation de ses aveux judiciaires, en amenant, à l’appui, les preuves médicales de ses amnésies. Il se bute au refus de la Cour supérieure, qui ne croit pas que son état puisse expliquer autant d’incohérences, dans un récit qui comprend non seulement des lacunes, mais aussi beaucoup d’informations, selon toute apparence, inventées.
Elle évoque à M. Soucy la responsabilité liée à ses aveux, en citant à l’appui les articles 2850 et 2852 du Code civil.
Subjectif, mais valable
Ce premier échec à convaincre la juge joue sur la suite du procès, bien au-delà de la perte des 25 000 $ versés en indemnisation pour cet incendie de 2012 : les avocats d’Intact utilisent aussi ce manque de crédibilité pour appuyer leur demande d’annulation ab initio (depuis le premier jour de son application) de la police d’assurance qui couvrait la maison de M. Soucy lors du sinistre de 2020.
La juge répond positivement à cette réclamation d’Intact, même si les raisons de cette demande d’annulation peuvent être qualifiées de subjectives, selon les termes de la loi et de « risque moral » par la juge. Par opposition, les critères objectifs se limitent à ceux auxquels un assureur raisonnable pourrait adhérer pour fixer les conditions ou l’acceptation d’une couverture, comme l’âge ou le sexe.
Or, à l’avis de la juge, le contexte démontrant que le client est peu digne de bonne foi, comme ses antécédents criminels ou le risque élevé qu’il représente par son attitude, mérite aussi d’être pris en considération.
La force de la qualité probante
Après avoir tranché la question de l’annulation de la police, la juge Nicole Tremblay aurait pu s’arrêter là, puisque la réclamation principale se trouvait, par le fait même, rejetée aussi. Elle poursuit néanmoins l’exercice, ce qui contribue à la compréhension du contexte qui mène Intact à réclamer 228 954,51 $, pour des montants déjà versés à M. Soucy, à ses créanciers, aux services en sinistres et à quelques autres fournisseurs.
À titre d’introduction à cette seconde partie, la juge Tremblay insiste sur l’importance, pour un magistrat, de constater les preuves incontournables et le nombre de celles-ci, mais aussi de soupeser leur qualité. Et dans cette cause, son analyse qualitative s’applique de façon particulièrement détaillée à la valeur des deux experts, venus évaluer l’étrange façon dont Soucy entreposait son fusil thermique, identifié comme cause de l’incendie, qui fut laissé sans surveillance, à pleine force, dans une zone hautement inflammable.
Des incohérences en série
La juge Tremblay rejette le témoignage d’un expert et retient le suivant, qui s’appuie, entre autres sur la scène générale de l’incendie, l’orientation du fusil thermique et sa distance des éléments inflammables, la présence de combustible, le bruit que M. Soucy aurait pu entendre et le délai prévisible, selon la documentation, qui lui permettait de se constituer un alibi.
M. Soucy affirme aussi plusieurs autres faits qui vont à l’encontre des preuves apportées par les pompiers, les policiers ou les évaluateurs. Ainsi le coût du matériel à remplacer et les dommages causés par l’eau ne concordent pas davantage avec les preuves apportées que sa prétention que « tout aurait bougé » dans son sous-sol, après l’incendie de 2020.
D’autres éléments éveillent la méfiance du juge, dont les graves problèmes financiers de M. Soucy, qui offrent un bon mobile à réclamer son assurance. Qui plus est, en contre-interrogatoire, Soucy avoue qu’il a menti, lors de ses précédentes rencontres avec les représentants des assurances : sa situation d’endettement et sa dépendance financière envers sa conjointe auraient été bien au-delà de ce qu’il prétendait.
Cours civils et actes criminels
Durant l’enquête, le sinistré aurait aussi manifesté vivement, verbalement et dans ses médias sociaux, son intention de régler rapidement sa réclamation d’assurance, en fournissant les preuves demandées et en collaborant avec la police, qui lui proposait de passer au polygraphe. Mais ses gestes ont démontré peu de cohérence avec ses paroles, au point qu’une présomption de désistement a même dû être jugée, en 2021, relativement à cette affaire.
Devant de telles difficultés, contrastant avec le zèle des représentants d’Intact à fournir les rapports demandés, la juge déduira que l’assureur a pu agir davantage en fonction d’une interprétation « raisonnable », et non par mauvaise foi, lorsqu’il a décidé de retenir certaines indemnités. Elle souligne aussi que le rôle d’une cour civile n’est pas de punir, mais bien de compenser les dommages. Il n’y aurait donc pas lieu d’imposer ici à Intact des dommages et intérêts, que la décision finale sur les redevances ait tourné, ou non, en sa faveur.
Mais en vertu de ce jugement, Intact obtient finalement gain de cause sur tout ce qu’elle demande. Et la juge Tremblay impose l’entièreté des frais judiciaires à M. Soucy, en multipliant, au passage, les mentions relatives au mensonge et à la fabulation pour justifier ses décisions.
Au terme de ces propos, elle précise toutefois que son devoir, comme juge civiliste, consiste à établir une présomption à partir de la balance des probabilités, et ce, même si elle doit se pencher sur une action présumée frauduleuse. La force probante exigée est alors moins lourde que pour le criminel, parce que les conséquences pour les parties sont également moins graves : « Elles ne mettent pas en cause la liberté de l’individu », souligne-t-elle.