MISE EN SITUATION

En assurance de dommages, le réseau des assureurs à courtage est confronté à plusieurs défis, dont la reconquête des parts de marché perdues au profit des assureurs directs. Le 14 janvier, à Montréal, le Journal de l’assurance a réuni des dirigeants de cabinets de courtage avec des représentants de l’assureur RSA Assurance. La discussion de trois heures a permis d’évoquer diverses pistes pour améliorer l’efficacité des cabinets et valoriser la contribution du courtier à la sécurité de la clientèle.

 

Bonne lecture!

Serge Therrien, Président et éditeur
Alain Castonguay, Journaliste

 


Le tandem courtiers-assureurs doit améliorer son efficacité

 

Pour mieux contrer la machine bien huilée des assureurs directs, le tandem assureurs à courtage et courtiers doivent améliorer leur efficacité à tous les niveaux. Et les courtiers doivent solliciter de nouveaux clients et leur offrir des produits qui correspondent davantage à leurs besoins actuels.

C’est le grand constat qui est ressorti de la table ronde sur le courtage organisée conjointement par le Journal de l’assurance et l’assureur RSA Assurance, au début du mois de janvier.

Glen Bates, vice-président, Québec, de RSA, tire des distinctions entre le courtage en vigueur au Québec avec ce qui se passe ailleurs. « Il y a plus de bannières au Québec, et plus de courtiers émetteurs de polices. Les courtiers du Québec sont aussi plus nombreux à faire de la souscription qu’ailleurs au Canada. Ça ajoute surement à l’efficacité », dit-il.

Selon Robert Beauchamp, président du Groupe Invessa, il n’y a pas de recette miracle pour améliorer l’efficacité. « Le succès du courtier passe désormais par la réussite d’une multitude de tâches. Pour rester concurrentiel et libérer des capitaux qu’il doit utiliser pour favoriser la croissance de ses affaires, le courtier doit penser la réingénierie de ses processus d’affaires. Ce ne sont pas tous les clients qui sont bons pour le courtier ou qui trouveront ce qu’ils cherchent dans un cabinet de courtage. Nous devons mieux cibler les clients », dit-il.

Pendant des années, ajoute Yannick Jetté, PDG du Groupe Jetté, les courtiers se fiaient au bouche-à-oreille pour obtenir de nouvelles affaires. Depuis cinq ans, les cabinets sont plus nombreux à solliciter eux-mêmes de nouveaux clients. L’efficacité passe aussi par une meilleure maitrise des outils technologiques qui permettent d’accélérer et de faciliter le travail, poursuit-il. Les courtiers doivent améliorer leur gestion des relations avec la clientèle. « La hausse des frais postaux annoncée récemment ajoute de la pression sur ce plan. »

 


 

 

 

 


 

Jean Bilodeau, PDG de BC Assur, déplore le manque général de planification chez les assureurs à courtage. « Ça devrait être une obligation. On doit avoir un plan stratégique sur trois ans, avec les valeurs respectives des courtiers et de l’assureur, de leurs objectifs, ainsi que de leurs marchés ciblés », dit-il en précisant que son cabinet a un tel plan stratégique. Souvent, ce sont les moyens requis pour appliquer le plan dans la réalité qui sont insuffisants, dit-il.

Yves Brassard, président du Groupe Viau, constate le même problème. « On a tous eu des discussions stratégiques avec les assureurs, mais on n’est pas très bons dans le suivi. » L’assureur veut plus de polices, dit-il, mais il refuse de nombreux clients que lui apportent les courtiers sous diverses raisons, notamment en assurance habitation.

MM. Bilodeau et Jetté collaborent à un comité où l’on tente d’appliquer les ratios nord-américains au contexte québécois. « Ça va plus loin que l’aspect financier; on se préoccupe aussi des opérations. » Le Regroupement des cabinets de courtage d’assurance du Québec (RCCAQ) participe aussi depuis deux ans avec les assureurs à un comité où il est question des processus d’affaires entre les courtiers et les fournisseurs de produits.

M. Bilodeau affirme que chaque assureur soumet ses ratios financiers et propose des outils aux cabinets de courtage, mais sur le plan des opérations, il y en a peu. Les cabinets doivent donc développer ces outils. « Des assureurs nous disent : «Tu devrais faire telle chose». On ne sait pas toujours l’origine de ce ratio et quel est son objectif », dit-il.

M. Jetté souligne que bon nombre de cabinets sont de petite taille et qu’ils sont en outre dirigés par des « vendeurs dans l’âme » d’abord. « Ce ne sont pas tous les propriétaires de cabinets qui peuvent faire des rapports financiers et des statistiques complexes », dit-il.

Denis Allard, vice-président des ventes, Québec, chez RSA, confirme qu’il est nécessaire d’établir des outils d’évaluation de la performance des cabinets. « Pendant longtemps, les revenus des cabinets augmentaient. Quand les affaires vont bien, on n’est pas portés à se poser trop de questions. »

Il y a dix ou quinze ans, note M. Brassard, le volume augmentait grâce aux augmentations de primes et au succès élevé du renouvèlement. « Le contexte a changé; la rentabilité n’est plus là. Il faut couper ici et là. »

[caption id="attachment_10953" align="aligncenter" width="590"]Crédit photo: Réjean Meloche Crédit photo: Réjean Meloche[/caption]

Il déplore le temps mis par les assureurs à réagir lorsque les courtiers suggèrent des méthodes pour améliorer l’efficacité du réseau. M. Brassard cite en exemple l’absence de formulaire unique en assurance automobile. « Chaque assureur a sa raison précise de faire les affaires d’une telle manière. Ce n’est pas du tout efficace. Ça fait longtemps qu’on en parle, et on en fait, des réunions. Tout cela pour réaliser des tâches complexes, afin de vendre un produit dont les marges de profit sont de plus en plus faibles. »

M. Jetté ajoute de son côté que l’objectif qu’il ne faut jamais perdre de vue est l’efficacité du système retenu. En assurance habitation, un autre secteur où les marges sont de plus en plus minces, cette complexité est un frein, dit-il.

M. Beauchamp constate que les cabinets sont de plus en plus nombreux à se retirer du marché de l’assurance de personnes pour se concentrer sur leurs clients commerciaux.

S'adapter à son réseau

M. Allard a tenu à rassurer tous les courtiers. « L’assureur a tout intérêt à ce que son réseau de distribution soit efficace. Il n’a pas le choix. On n’impose pas un modèle de transaction : on s’adapte. »

Marie-Josée Fiset, directrice générale du Groupe Soly, Chabot, Ranger, confirme cette nécessité d’établir de bonnes relations avec les assureurs. « Si tu as un beau plan d’affaires, que tu es plein de volonté, mais que tu n’as pas de fournisseurs, ça ne va pas loin. Les assureurs sont de moins en moins nombreux », rappelle-t-elle.

M Brassard constate que la concurrence féroce oblige les courtiers à concentrer leurs affaires auprès d’un plus petit nombre de fournisseurs.  « Avant, tu donnais tel volume à tel assureur et tu n’en entendais plus parler pendant dix ans, raconte M. Brassard. Ce n’est plus comme ça. En retour, le courtier s’attend à obtenir plus de services de l’assureur s’il concentre chez lui un bon volume d’affaires. Et c’est correct. Tant qu’à y être, il me semble qu’on pourrait arrêter de couper ici et là, et se concentrer plutôt à être plus efficaces. »

Collaboration plus étroite

MM. Jetté et Bilodeau confirment que la rapidité de la prestation de service de l’assureur est aussi primordiale que le cout de la prime. M. Jetté ajoute que cette rapidité est encore plus nécessaire pour les nouveaux clients. « Comme cabinet, solliciter de nouveaux clients représente des investissements importants. Tu veux décrocher le compte, tu as des attentes. »

M. Beauchamp dit que pendant longtemps, les assureurs comptaient sur les courtiers pour obtenir la croissance de leurs affaires. Ils ont désormais compris que cela devait être une responsabilité partagée. La collaboration entre les fournisseurs et les distributeurs est meilleure.

M. Allard note d’ailleurs la transition d’une certaine attitude des courtiers, qui étaient auparavant très réticents à partager les renseignements sur leur clientèle à leur fournisseur. « Le client appartient au cabinet. On nous le disait clairement. Nous comprenons maintenant que nous devons faire front commun pour mieux comprendre les besoins de nos clients. Les assureurs sont souvent présents pour accompagner les courtiers lorsqu’ils rencontrent de gros clients en assurance commerciale, une situation moins fréquente auparavant », ajoute-t-il.

M. Bilodeau ajoute que le courtier doit se distinguer par la qualité de son service, son approche client et ses produits. « Et l’assureur fait partie du produit. Le prix ne doit pas être le seul facteur. Beaucoup d’assureurs ont graduellement dénaturé leurs produits en offrant d’abord une prime. Le client veut certes payer la juste prime, mais ce qu’il veut au départ, c’est être en sécurité. Quand le client est rassuré, la prime est toujours secondaire. »

M. Beauchamp n’est pas du même avis. Il aimerait que les autorités règlementaires surveillent plus étroitement certains segments de marché où les concurrents se croient à l’époque du « Far West ». Il cite l’exemple la garantie de remplacement (« valeur à neuf ») vendue par les concessionnaires automobiles. « Les concessionnaires font fi de toutes les règles, si je me fie à ce que mes clients racontent. Ils font n’importe quoi. Ils ont pleine liberté d’action parce qu’ils ne sont pas surveillés. »

M. Jetté rappelle que 90 % des polices de ce type sont vendues par les concessionnaires, alors que la prime qu’ils demandent est plus élevée que celle que les clients peuvent obtenir sur le marché. L’écart serait de 30 % à 40 %, voire de 60 %, disent les courtiers présents. Ils entendent aussi que des clients se font dire ouvertement par des concessionnaires que leur taux de financement sera modifié à la baisse s’ils acceptent cette garantie de remplacement.

Produits méconnus

M. Beauchamp ajoute que si les cabinets de courtage veulent mieux concurrencer les assureurs directs, ils doivent faire preuve de plus de rigueur dans leur démarchage, et sortir des créneaux classiques qu’ils occupent déjà. « Les directs ont beaucoup de rigueur. Ce sont des machines bien huilées. Ils ont des scénarios de vente, des méthodes à suivre. Dans le courtage, ça fonctionne plus en fonction de la volonté personnelle des gens de promouvoir ce produit ou tel autre. »

M. Jetté souligne justement qu’il est important d’améliorer l’efficacité de ses opérations, afin de libérer du temps consacré à la promotion de nouveaux produits. Différentes idées ont été lancées, notamment l’assurance juridique et l’assurance voyage en avenant à la police du propriétaire occupant.

M. Beauchamp ne croit pas que l’innovation de produits suffira à ralentir l’évolution du marché. « Le courtage doit récupérer des clients. C’est bien d’ajouter des accessoires aux polices, mais il est pressant de trouver des clients. Augmenter la prime moyenne par client, c’est un bon objectif. En dollars, on augmente notre part de marché. Mais ça ne durera que le temps que les directs nous imitent et offrent le même produit pour moins cher. »

Le cabinet dirigé par Jean Bilodeau est multidisciplinaire et offre aussi de l’assurance vie collective aux entrepreneurs, en plus de l’assurance de dommages. Pour mieux concurrencer les directs, il aimerait pouvoir s’associer à une institution financière en vue d’offrir des services bancaires.

Le cabinet dirigé par Yves Brassard s’est aussi lancé dans les produits d’assurance vie, mais il constate que les expertises requises pour leur vente sont très distinctes de celles demandées en assurance de dommages. « Nous l’avons fait, mais ça a été très laborieux, au départ. Ça nous a pris dix ans d’efforts. Maintenant, nous avons une vraie division de services financiers, où travaillent six personnes. Ça fonctionne très bien, mais ça prend du temps avant que les efforts rapportent. C’est bon pour la rétention de la clientèle aussi, car si tes clients sont déjà chez toi en assurance vie ou pour un prêt, ils vont y penser davantage avant de te retirer une police en dommages. »

 


 

 


 

La méconnaissance du travail du courtier nuit au courtage

En assurance de dommages, les clients ne font pas la différence entre le produit offert par les courtiers et celui offert par les assureurs directs. Tous s’entendent sur la nécessité de mieux faire connaitre la valeur du travail réalisé par le courtier.

Jean Bilodeau, PDG de BC Assur, déplore que le public en général ne fasse pas la différence entre l’agent d’un assureur direct et le courtier. Selon lui, les campagnes de publicité où le courtier est mis à l’avant-plan sont utiles, mais l’industrie doit collectivement en faire plus.

Marie-Josée Fiset, directrice générale du Groupe Soly, Chabot, Ranger, pense que chaque courtier peut collaborer à cette campagne de valorisation en rappelant aussi souvent que possible à sa clientèle la nature des tâches qu’il réalise. L’efficacité du courtier, à la suite d’un sinistre ou d’une réclamation, est évidente, dit-elle. « Mais si tu fais bien ton travail et qu’il n’y a pas de problème, le client ne verra pas non plus la différence. »

Le plus de renseignements possible

Dans son cabinet, le courtier communique le plus de renseignements possible au client. « On lui dit : «J’ai fait le tour de toutes les compagnies, j’ai comparé les protections, et c’est la meilleure offre que je vous transmets». Il ne faut pas avoir peur de le dire », insiste Mme Fiset.

Denis Allard, vice-président, ventes, Québec, chez RSA Assurance, ajoute qu’il ne faut pas se gêner de mentionner que ce travail de protections et des primes ne sera jamais fait par l’agent d’un assureur direct. « C’est ce qui pourrait permettre d’inverser la tendance. », dit-il.

M. Bilodeau précise que ce message est déjà transmis aux clients de son cabinet. « J’ai des gens passionnés qui veulent vraiment comprendre les besoins des clients et trouver le produit qui leur convient le mieux. Nous avons de beaux exemples où les clients nous disent merci. »

Robert Beauchamp, président du Groupe Invessa, affirme de son côté que, tant que l’écart de prime ne dépasse pas 10 %, le client ne porte pas vraiment attention aux offres des concurrents. « Si tu donnes un excellent service, tu as cet avantage comparatif. » Mais les écarts de plus en plus importants dans les primes offertes par les assureurs directs lui font croire que cet avantage est désormais insuffisant.

[caption id="attachment_10954" align="aligncenter" width="590"]Crédit photo: Réjean Meloche Crédit photo: Réjean Meloche[/caption]

Selon Yves Brassard, président du Groupe Viau, l’importante présence des institutions financières dans le financement hypothécaire explique les écarts de primes offertes en assurance habitation aux propriétaires d’immeubles à logements multiples. « C’est elles qu’on a dans les jambes, et pas seulement dans les lignes personnelles. Le client oublie vite, même s’il te dit : «Je ne veux pas aller avec eux autres, mais je vais les écouter» », dit-il. Quand la prime offerte par les concurrents est plus basse de 50 %, le courtier se trouve vite à court d’arguments. À force de baisser le prix, on présume que de mauvaises surprises guettent ces concurrents. « Mais non, ils n’arrêtent pas de nous soutirer des clients, et leurs ratios ne sont pas mauvais », dit-il.

Yannick Jetté, PDG du Groupe Jetté, constate de son côté que son cabinet demeure encore assez efficace pour recruter de nouveaux clients et obtenir des primes comparables à celles des directs. C’est à l’étape du renouvèlement que le client décide de « magasiner » — s’il n’a pas déjà été approché par un concurrent. C’est à ce moment-là que l’assureur à courtage doit répondre rapidement, dit-il.

Barrière à la sortie

M. Beauchamp croit que les cabinets sont trop occupés à réagir aux appels et aux demandes plutôt que de mieux gérer l’ensemble des relations avec la clientèle. « Il nous faut saisir toutes les occasions de rappeler aux clients quelle est la nature de notre service. » Il lance un défi aux courtiers à l’aider à trouver dix réponses aux clients qui demandent : « Quelle est la différence si on ne fait plus affaire avec un courtier? »

M. Allard a réagi vivement à ses propos. « Si le client qui part pense qu'il ne perd rien, c’est que nous n’avons pas fait tout ce qu’il y avait à faire. »

M. Beauchamp dit avoir en tête de nombreux exemples où ses clients ont été approchés par des assureurs détenus par des institutions financières. Il estime que la clientèle est naturellement plus portée à aller vers ceux-ci que de revenir chez les assureurs à courtage.

Mme Fiset et M. Bilodeau ont aussi vécu des situations où les entrepreneurs se faisaient offrir de meilleures conditions de financement s’ils acceptaient de transférer leur assurance. « On ne peut pas concurrencer ça, ajoute M. Bilodeau. Je comprends mon client de vouloir obtenir un rabais de taux sur sa marge de crédit. Ça fait une différence importante pour lui. »

Des produits uniques

Pour contrer cette perception, les assureurs à courtage doivent mettre sur pied des programmes qui les distinguent, pense M. Allard. Il cite en exemple le cas d’un assureur qui couvre la machinerie spécialisée. Il assurait bon nombre de clients utilisant cette machinerie. L’assureur a ainsi créé un programme commun dans lequel la majorité des clients ont inventorié leurs pièces. Si une pièce défectueuse était disponible chez un autre client, celui-ci l’expédiait chez le concurrent et en commandait une nouvelle auprès du fournisseur. Au lieu de plusieurssemaines d’attente pour la livraison, la pièce était ainsi livrée entre 24 et 48 heures plus tard. Ce service a été entièrement conçu et pensé par cet assureur.

M. Bilodeau rappelle qu’au moment de renouveler la police commerciale ou manufacturière, son cabinet utilise l’outil permanent d’évaluation de la valeur d’une entreprise. « On a la photo, la description de l’équipement, les modifications faites, etc. Si le client s’en va, le nouvel assureur doit refaire toute cette évaluation. C’est la même chose en évaluation des bâtiments, où l’on note un sérieux problème de sous-assurance. Quand il explique cela au client, le courtier peut difficilement être délogé par l’assureur direct », pense-t-il.

Comme client d’une banque, Glen Bates, vice-président, Québec, chez RSA, note qu’il est très difficile d’en sortir quand on lui confie ses épargnes, ses prêts, ses placements, etc. « Changer de banque, c’est très difficile. Changer d’assureur, c’est trop facile. Il n’y a pas de barrière à la sortie. Il faut en créer. Ces liens que vous arrivez à créer, c’est ce qu’on cherche. »

Les assureurs à courtage sont efficaces pour développer des produits et bien tarifer leurs risques, ajoute-t-il. « Mais il faut affiner nos stratégies. Nous devons vivre ensemble une révolution commerciale. Les assureurs ont des forces, des ressources et des moyens financiers que les courtiers n'ont pas. Si on peut arrimer cela avec le réseau de distribution, on aura un bon succès. L’idée est d’en entrer plus dans le moulin, afin qu’il en sorte plus de clients pour le courtage. »

 


Assurance des entreprises : des courtiers déplorent les pratiques douteuses des directs

Les courtiers déplorent que de nombreux assureurs directs profitent de leur poids financier pour solliciter des clients commerciaux en assurance de dommages. Dans certains cas, ces concurrents offrent de l’assurance aux clients en leur promettant des avantages sur d’autres produits financiers. Or, ces « ventes croisées » sont une pratique douteuse, clament les courtiers.

Tout en soulignant que la situation peut varier d’une région à l’autre, Marie-Josée Fiset, du Groupe Soly, Chabot, Ranger, constate que depuis un an ou deux, les écarts sont plus importants. « Pour une simple police de propriétaire occupant, ce n’est plus 100 $ de moins : ça peut aller jusqu’à 400 $ », dit-elle.

Mme Fiset ajoute qu’il se passe la même chose en assurance des entreprises, où elle a vu l’assureur direct d’une institution financière bien connue offrir un rabais de 50 % sur ce que le client payait auparavant. « Même si ton cabinet existe depuis 50 ans, mets-toi à la place du client : si tu pouvais couper 20 000 $ dans tes dépenses, tu le ferais aussi. » Selon elle, ce contexte de féroce concurrence explique que son cabinet a recruté moins de nouveaux clients en 2013 qu’auparavant.

Robert Beauchamp, du Groupe Invessa, constate aussi de grands écarts du côté des primes. « Le marché évolue, mais nous le connaissons mal. Ce n’est pas juste une question de meilleure segmentation du marché, ou simplement de recrutement de nouveaux clients. Ça dépasse l’actuariat et l’analyse de risque. C’est une stratégie commerciale. »

Jean Bilodeau, de BC Assur, pense que si les primes plus basses sont offertes au départ par les directs, l’écart se réduit au renouvèlement. Il note que les assureurs à courtage aussi offrent un prix plus bas aux nouveaux clients. « Si je regarde mes nouveaux clients, je les récupère chez les directs. Et la prime de renouvèlement n’est pas la même que pour une nouvelle affaire. Ça sort d’un côté; ça revient de l’autre. »

Mme Fiset raconte le cas d’un assureur qui lui a même suggéré de tout simplement annuler une police commerciale et de considérer le renouvèlement comme une « nouvelle affaire » afin que le client obtienne le rabais. « Ça n’a aucun sens! C’est beaucoup de travail, un nouveau client. On ne peut pas faire ça pour tout le monde. »

M. Beauchamp exprime un doute à l’égard des pratiques commerciales de certains assureurs directs. « Comment font-ils pour déclarer de telles performances en demandant la moitié du prix? Je veux bien qu’ils se reprennent graduellement au renouvèlement, mais je me questionne. »

« Ça ne veut pas dire que les entrepreneurs qui vont chez les directs ne reviendront pas. Ça joue dans les deux sens », pense Denis Allard, de RSA Assurance. Ce que les clients perdent en allant chez un direct, « c’est l’expertise et les capacités que nous avons et qui n’existent pas chez nos concurrents ».

M. Beauchamp insiste sur l’importance de cette concurrence sur le prix. « J’ai perdu des clients que je considérais comme des amis. Ils m’ont expliqué leur situation. » Souvent, ils se font imposer un mandat de leur conseil d’administration de réduction générale des dépenses. « Ils me disent : «Fais ce que tu peux, mais je dois aller au marché, si je ne le fais pas, je perds mon emploi». Ils n’ont pas le choix », raconte-t-il.

Yves Brassard, du Groupe Viau, est d’accord avec son collègue. « S’ils ont un problème financier, les clients doivent couper quelque part. Il faut comprendre que nous vendons un produit abstrait. Tant qu’il n’y a pas d’évènement à signaler, le papier reste dans le tiroir. Pour plusieurs d’entre eux, ce n’est pas une sécurité qu’ils achètent, c’est un poste de dépense comme un autre. »

M. Beauchamp répète que même si c’est un client perdu de temps en temps, les directs n’arrêtent jamais, et chaque petit gain de sable finit par faire une grosse différence sur une longue période. C’est ce qui fait le plus mal aux courtiers. « On se rassure en se disant que ces assureurs vont finir par se planter. La réalité est que, après dix ou quinze ans d’efforts, ils occupent le marché parce qu’ils y sont allés graduellement. »